En dix ans, la société civile marocaine a pris du volume. De 20.000 associations, le Maroc en comptait près de 210.000 en 2019. Pourtant, la même année, la contribution de ces associations au PIB n’excède guère 1%. La crise Covid-19 a également mis à nu une action très limitée sur le terrain. Décryptage.
La société civile marocaine n’a pas été au rendez-vous de la crise sanitaire. A part quelques actions d’ONG structurées, les autres étaient aux abonnés absents. Pourtant le nombre des associations marocaines est de 209.000 selon les données existantes, soit 10 fois plus qu’il y a moins de 10 ans. Seules 231 d’entre elles sont reconnues d’utilité publique.
L’indice de pérennisation des organisations de la société civile (CSOSI 2019) élaboré par l’Institut Prometheus et qui évalue l’environnement juridique, la capacité organisationnelle, la viabilité financière, le plaidoyer, la fourniture de services, l’infrastructure et l’image publique s’établit à 4,7 en 2019.
Le rapport évalue donc en premier lieu le contexte juridique et relève dans ce sens que pour obtenir un statut juridique, les OSC doivent officiellement déclarer leur création aux autorités.
Sur papier, la procédure de déclaration est relativement favorable, mais en pratique elle revient à un système d’enregistrement, car les autorités doivent effectivement approuver cette déclaration. Le ministère de l’Intérieur assure la tutelle des OSC.
Mais, comme ce fut le cas pendant les années précédentes, en 2019 certaines OSC n’ont jamais reçu leur récépissé ou il a fallu plus de soixante jours pour qu’il soit délivré. En outre, le processus de déclaration est entravé par le fait que diverses autorités imposent des obligations variables, explique-t-on.
Pour ce qui est du statut d’utilité publique, autant dire que c’est un parcours de combattant. D’ailleurs deux ONG ont pu obtenir le sésame sur toute l’année 2019.
En effet, conformément au Dahir n°1-58-376, les OSC peuvent faire une demande de statut d’utilité publique pour pouvoir bénéficier de réductions d’impôts et recevoir des fonds publics. La procédure de demande est lourde et exige que les OSC fournissent un grand nombre de documents certifiés.
Par contre, les fédérations sportives autorisées en vertu de l’article 17 de la loi no 06-87 sur l’éducation physique et les sports reçoivent automatiquement le statut d’intérêt public.
On note d’ailleurs auprès des associations une grande méconnaissance des aspects juridiques et fiscaux.
D’ailleurs, évaluant la capacité organisationnelle, le rapport estime que la capacité organisationnelle des OSC n’a pas changé en 2019. La plupart des OSC marocaines restent fragiles du point de vue institutionnel, et de nombreuses Organisations enregistrées n’existent que sur papier.
Bureaux inadéquats, personnel moyennement qualifié et capacités insuffisantes de communication, faible gouvernance, absence d’autonomie financière (L’Etat contribue à hauteur de 80% dans les ressources financières des associations) … le tableau est plutôt sombre.
Seule lueur dans ce panorama est que certaines OSC marocaines ont pu renforcer leurs capacités organisationnelles au cours des dernières années, principalement grâce à des Partenariats internationaux et nationaux. Il n’en demeure pas moins qu’un grand nombre d’OSC en zone rurale ont besoin d’une assistance Technique personnalisée pour améliorer leurs systèmes et procédures de gestion.
Faible contribution à la démocratie participative
Il fait nul doute que l’émergence d’une société civile au Maroc a porté la voix des populations sur la place publique et a réussi à équilibrer les pouvoirs. D’ailleurs, la constitution de 2011 inscrit noir sur plan la démocratie participative et le rôle et contribution de la société civile.
Mais dans la pratique, le constat est quelque peu différent.
En effet, selon le rapport, les procédures de démocratie participative restent faibles au Maroc. Particulièrement la soumission des pétitions et des motions aux conseils élus.
Malgré une loi organique (n°64-14 du 28/07/2016) les auteurs du rapport jugent le processus de dépôt de motions opaque et exige les signatures de 25 000 électeurs inscrits.
Ensuite, il faut constituer une commission de neuf citoyens pour déposer la motion auprès du parlement et assurer le suivi de ses recommandations.
Guère mieux pour les pétitions, malgré la loi n°44-14 du 28/07/2016. Selon le rapport, entre 2017 et 2019, seulement 70 pétitions ont été présentées dans les 1.500 collectivités territoriales. Seulement cinq pétitions ont été déposées au parlement.
Toutes les pétitions déposées auprès du parlement ont été jugées irrecevables pour des motifs de procédures et vice de forme.
On notera tout de même que quelques-unes ont, au mieux abouti ou pire suscité une prise de conscience du pouvoir citoyen sur l’action politique. Il s’agit notamment de la pétition nationale lancée en décembre 2019 pour l’établissement d’un fonds de prévention et de traitement du cancer a recueilli plus que le minimum de 5.000 signatures valables de personnes inscrites dans la liste électorale exigées par la loi.
En 2019, l’Association des enseignants des sciences de la vie et de la terre (AESVT) a pour sa part convaincu le conseil municipal d’étudier une pétition portant sur de nouvelles politiques de gestion des déchets.
Le changement est certes lent mais il s’opère. En effet, en 2019, de nombreuses régions, y compris Tanger, Tétouan, Al Hoceima et Fès-Meknès, ont établi des conseils consultatifs permettant à divers acteurs locaux de participer aux processus décisionnels régionaux sur les questions les concernant.
Aussi, lors du premier Colloque national de la régionalisation avancée organisé en décembre 2019, les représentants des administrations régionales et locales ont adopté douze recommandations, dont deux visent spécifiquement l’inclusion de la société civile dans le processus politique.
L’une recommande le renforcement des capacités des collectivités territoriales en termes de mécanismes de la démocratie participative et de la communication avec les citoyens et la société civile et l’autre le renforcement de l’ouverture de la région sur le citoyen et la société civile pour leur permettre de contribuer au développement régional inclusif.
Mais des loupés persistent, notamment pour les 3èmes Assises sur la fiscalité auxquelles les organisations de la société civile n’ont pas pu prendre part et leurs propositions ignorées.
Sur un autre plan, il y a lieu de signaler que la société civile marocaine a élargi la gamme des services fournis (gratuitement pour la plupart) à la population et pas uniquement à ses adhérents avec une tendance à la spécialisation, ce qui est en soit une bonne chose.
Aussi, l’évaluation d’impact social est-elle devenue une préoccupation actuelle de la société civile marocaine, selon le rapport de Prometheus. Les OSC développent et distribuent de plus des questionnaires et créent des rapports de suivi et des tableaux de bord pour évaluer l’impact de leurs activités.
Ces évaluations permettent d’identifier les mesures correctives nécessaires à prendre sur le terrain et de capitaliser l’expérience acquise afin de la reproduire ailleurs. Mais les OSC manquent souvent des ressources humaines ou financières nécessaires pour mener de telles évaluations.
Par ailleurs, le rapport note que l’infrastructure sectorielle s’est légèrement améliorée 2019 en raison de la création et l’institutionnalisation de programmes et d’entités de renforcement des capacités des OSC. Dans ces sens, certaines ONG soutiennent à leur tour d’autres associations soit par des subventions ou par des prestations de services gratuites ou des formations comme Irtikae lancé par l’Agence de développement social ou encore les formations programmées dans le cadre du partenariat au gouvernement ouvert (PGO).
Le PGO dont le bilan est mitigé à en croire le Rapport de Prometheus.
Enfin, le rapport souligne que la méfiance et les doutes caractérisant l’image publique des OSC s’atténuent lentement grâce à une communication accrue de la part des OSC avec leurs groupes cibles par différents moyens, y compris les réseaux sociaux et les rencontres en personne.
Mais aussi par la fourniture de services, là où l’Etat pèche. D’ailleurs certaines ONG sont devenues incontournables et partenaires à part entière dans l’action publique grâce à un travail de longue haleine.