Ecrit par Imane Bouhrara |
Le prochain gouvernement n’a même pas encore été formé que les enseignants contractuels ont repris le chemin de la rue. Ce qui augure d’une rentrée sociale des plus corsées, surtout pour le secteur de l’éducation nationale objet de promesses électorales mielleuses. Continuerait-il à discréditer le rôle d’intermédiation des syndicats ou bien opèrera-t-il une rupture dans la démarche qui a prévalu à ce jour ?
La rentrée sociale promet d’être houleuse. Avant même sa formation, le prochain exécutif devra faire face au reliquat des deux mandats dirigés par le PJD (dont le RNI a fait partie depuis 2013) mais aussi concrétiser ses promesses électorales. Et sur ce dernier point, les partis politiques ont fait preuve de largesses sans égales. L’heure est de passer à la caisse et de s’acquitter de sa dette. Inutile de rappeler ces promesses, qui viennent allonger davantage la liste des revendications syndicales.
Un enjeu que la prochaine majorité ne doit pas occulter dans un contexte économique difficile à cause du Covid-19 qui exacerbe les tensions sociales, à l’heure même où l’on veut relancer l’économie et jeter les bases du nouveau modèle de développement. Un vent de scepticisme souffle déjà sur les acteurs syndicaux qui ne se font pas trop d’illusion.
Abdellatif Killech, acteur politique et syndical et membre du bureau exécutif de la CDT contextualise la rentrée sociale 2021-2022 : « elle intervient après les élections générales du 8 septembres, pauvres en compétitivité politique et de confrontation des idées, et marquées par la persistance de pratiques malsaines, selon beaucoup d’observateurs. Ce qui les vident de la teneur démocratique que doit avoir un tel événement politique sur la scène nationale. Or la pratique politique est la base de la démocratie, donc toute perversion de l’action politique déteint sur le reste ».
Ce qui taraude également le syndicaliste, est que le parti arrivé premier aux élections (RNI) dont est issu le chef de gouvernement désigné fait partie de la majorité sortante et celle d’avant, ce qui implique sa responsabilité politique à l’instar des autres partis du gouvernement dans les politiques publiques dont le volet social était totalement marginalisé voire absent.
« Nous n’avons pas eu de dialogue social structuré et productif, qui pourtant est l’instrument démocratique et canal de communication par excellence entre exécutif et les différentes centrales syndicales pour répondre dignement aux revendications sociales », poursuit Abdellatif Killech.
« Pire encore, lors de ces deux derniers mandats gouvernement, nous avons assisté à la prise de décisions injustes envers la classe ouvrière de manière générale et la famille de l’enseignement. Particulièrement en matière d’exercice des libertés syndicales et du droit à la manifestation, la grève, avec des prélèvements sur les salaires », ajoute-t-il.
Parmi les remontrances des syndicats contre l’exécutif, figure le vote de la Loi-cadre 51-17 relative au système de l’éducation par la majorité au Parlement. « A la FDT, nous considérons cette loi-cadre comme la suite de l’enchaînement visant la destruction de l’école publique. En effet, que ce soit le partenariat public-privé, la promotion du privé au détriment du public ou encore le cadre contractuel qui torpille la stabilité sociale et professionnel des enseignants, sont autant d’éléments qui œuvrent dans ce sens », explique A. Killech.
Sans oublier les LF 2020 (et la LFR 2020) et 2021 qui témoignent du peu d’intérêt accordé aux secteurs sociaux notamment l’éducation et la santé, à l’heure même où la crise du Covid-19 a alerté le monde sur l’enjeu stratégique de ces deux secteurs et de l’importance du développement de leur capital humain pour amorcer les crises notamment sanitaires. Sans oublier les services publics comme autres impératifs du développement du pays.
« S’il y a une réelle volonté politique pour réformer l’enseignement au Maroc, il faut retirer la loi cadre et ouvrir une nouvelle phase de discussion pour faire de l’enseignement un levier de développement et de construction d’une société de savoir. Sans oublier la Santé et les autres services publics. La crise pandémique a montré que le privé n’a pas assumé la responsabilité, on l’a vu avec les écoles et les cliniques », estime le syndicaliste.
Dans un tel contexte de défiance, la question est de savoir si le prochain exécutif gardera la même ligne de conduite que ses prédécesseurs en négligeant les aspects sociaux ou bien y aurait-il une rupture ?
« Tout notre souhait est qu’il y ait une prise de conscience que les enjeux du développement passent par le traitement des revendications sociales. Plus généralement, l’emploi, le logement digne, le droit à l’enseignement et plus particulièrement les droits des travailleurs, notamment dans l’enseignement dont le dialogue social est tout bonnement au point mort face à des décisions unilatérales du ministère », déplore Abdellatif Killech.
Les promotions ont été gelées, les revendications sociales sans réponse, le statut général sur lequel les centrales syndicales avaient travaillé avec l’exécutif depuis 2014 qui n’a pas encore vu le jour… sans oublier les engagements pris, notamment l’accord du 26 avril 2011 dont plusieurs points sont restés lettre morte.
Il y a lieu à ce niveau de rappeler tout de même qu’à tout cela s’ajoutent les promesses électorales faites par les différents partis politiques particulièrement le trio de tête bien parti pour composer le prochain exécutif. Si la précarisation des conditions des travailleurs et le faible engagement des autres parties prenantes en faveur du dialogue social persistent, autant dire que le prochain exécutif avancera sur un terrain glissant s’il discrédite le rôle d’intermédiation des syndicats.
« Sans oublier les revendications sur lesquelles, les négociations ont été épuisées notamment l’exercice des droits et libertés syndicaux, consacrés dans la constitution. Notre souhait est de voir le prochain gouvernement véritablement associer les partenaires sociaux pour désamorcer la tension sociale actuelle », conclut Abdellatif Killech.
En tout cas, le gouvernement gagne à entamer son mandant sans trainer des conflits sociaux dans ses pattes. En effet, dans le contexte de crise que nous vivons, la majorité ne doit pas se focaliser sur les partenaires économiques et négliger les partenaires sociaux car point de relance sans paix sociale et point de modèle de développement efficient sans émancipation du capital humain.