Ecrit par S. Es-Siari|
Le taux d’endettement suscite des divergences. La non prise en considération des Entreprises et établissements publics (EEP) dans le calcul de la dette publique laisse un goût d’inachevé. D’aucuns considèrent que tout en tant cantonnée à la dette du Trésor, la dette publique perd de sa pertinence.
Tel qu’il se présente, le PLF2022 dans son actuelle mouture suscite des questionnements. Entre un projet audacieux et un projet d’austérité, le débat est intense.
D’aucuns le considèrent comme audacieux à cause des 245 Mds de DH budgétisés dans la rubrique investissements publics. D’autres plus sceptiques estiment que vu le manque de mesures fiscales incitatives pour une réelle relance économique en ces temps de crise, le PLF 2022 est un projet d’austérité. D’après-eux, si le projet ne se déclare pas comme d’austérité au regard de la profonde récession qui ronge l’économie, il ne s’éloigne que de peu.
Au milieu des divergences, nait également un autre sujet de discorde notamment celui lié à la préservation des équilibres macroéconomiques. Est-il opportun de laisser ou non filer le déficit budgétaire dans de pareilles circonstances ? Faut-il s’endetter davantage pour sauvegarder les activités et protéger les emplois ? Ou bien est-ce que l’endettement a atteint des seuils insoutenables qui risquent d’empirer davantage la situation ?
Autant de questions lancinantes qui interpellent dans un contexte de crise. En effet, bien que l’équipe au pouvoir se veuille rassurante quant au niveau d’endettement actuel au Maroc, les analystes et économistes restent sur leur faim. Nombreux sont ceux qui pointent du doigt le manque de communication trop criard sur la dette des Entreprises et Etablissements Publics (EEP) allant même jusqu’à considérer que la non prise en considération des EEP dans le taux d’endettement induit en erreur l’opinion publique.
D’ailleurs questionné, sur le niveau d’endettement actuel et l’enjeu de la non prise en compte de la dette des EEP, par les députés et pourquoi se limiter uniquement aux taux d’endettement du Trésor, le ministre délégué chargé du Budget s’est voulu très rassurant. Selon ses propos, la consolidation des comptes (Trésor + EEP) pourrait amoindrir le taux d’endettement à celui actuel de 76% du PIB ». Au contraire, nous sommes pour la consolidation des comptes tel que stipulé dans la Loi Organique des Finances parce qu’elle va permettre de réduire le taux d’endettement », annonce F. Lakjaa.
Il illustre ses propos par l’exemple d’un Etablissement public qui certes a une dette importante mais il ne faut pas oublier que ledit établissement a également un actif qu’il faut par ailleurs compter. L’exemple suivant est valable pour les autres EEP. Donc selon les propos du ministre délégué chargé du Budget, la consolidation des comptes aboutirait à une réduction du taux d’endettement actuel.
Jusqu’à quel degré pouvons-nous nous fier aux propos du ministre chargé du Budget ?
Interrogé sur la question, l’économiste Mohammed Benmoussa rejette en bloc les explications de Lakjaa qui ne sont que le reflet d’une grande confusion. Il rappelle à cet égard que le Maroc ne publie pas de comptabilité patrimoniale (de l’Etat du Maroc) mais d’une comptabilité de flux comme le montre les Lois de Finances (charges & dépenses). Il insiste sur le calcul de la dette par rapport à la richesse du pays et non par rapport au patrimoine. Dans l’analyse des finances publiques des Etats, la norme internationale retenue est avant tout la capacité de remboursement.
Or, la capacité de remboursement se mesure par les revenus de l’année et non pas par rapport aux actifs financiers (que nous ne connaissons pas encore actuellement). C’est pour dire que le taux d’endettement doit être mesuré par rapport à la capacité de remboursement du pays qui n’est que le PIB.
Autre point important évoqué par Benmoussa : pourquoi se libérer des engagements par signature que l’Etat prend vis-à-vis des EEP sachant que le Maroc a choisi dans sa stratégie de domicilier une partie importante de l’investissement public dans le bilan des Entreprises et établissements publics alors que dans d’autres pays elle est logée dans le budget général de l’Etat.
Donc la dette publique n’a aucune pertinence si elle est cantonnée à celle du Trésor faisant fi de celle des Collectivités territoriales et celle des EEP. « Il faut donc absolument recourir à la consolidation des comptes et mesurer le taux d’endettement par rapport à la richesse du pays à savoir le PIB ». Il ajoute par ailleurs que la dette publique exacte est de 1030 Mds de DH et que c’est 94% du PIB et non pas 76% comme annoncé par Lakjaa.
En attendant la consolidation des comptes, les organisations internationales pointent du doigt le taux d’endettement du Maroc qui ne fait qu’augmenter. La plus récente est la Banque africaine du développement qui dans son dernier rapport annonce : « Entre 2010 et 2020, la dette publique de l’Algérie a bondi de 10,5% à 53,1% de son PIB. Ce même ratio est passé de 69,6% à 90,2% en Égypte, 43,9% à 59,5% en Mauritanie, 49% à 76,1% au Maroc et 39,2% à 87,6% en Tunisie ».
La situation est d’autant plus alarmante lorsque l’endettement ne sert pas à financer les investissements productifs, créateurs d’emplois et de valeur ajoutée comme recommandé dans la Loi Organique des Finances (LOF). Une autre paire de manches.