La rapide propagation du Coronavirus a pris de court tout le monde et s’est traduite par l’annulation de grandes manifestations y compris au Maroc. Le secteur de l’événementiel est frappé de plein fouet. Ce qui interpelle sur le degré de capacité à anticiper et gérer ce type de crise. Le point avec Nabil Ouchagour, Directeur général d’Atlantis Advisors.
EcoActu.ma : Pour limiter la propagation du Coronavirus, il a été décidé le report et l’annulation de nombre d’événements et de salons professionnels au Maroc. A part quelques gros événements, les autres annulations sont passées presque inaperçues. Peut-on en déduire que nombre de ces manifestations n’avaient-elles aucune valeur ajoutée ou à portée limité ?
Nabil Ouchagour : Le gouvernement a publié une circulaire jeudi interdisant des évènements selon des critères bien définis et nommant pour consultation les walis et gouverneurs. Les évènements dont on entend parler sont les plus grands et sont, majoritairement, portés par le gouvernement. Autrement, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. D’un côté, ce sont des évènements qui ont demandé une mobilisation de ressources considérables. De l’autre côté – dans la partie invisible de l’iceberg- se trouvent des entreprises plus fragiles face à de tels changements.
Dans le même ordre d’idée, il a été constaté ces dernières années un recours massif à l’événementiel, notamment économique sans commune mesure avec la réalité du marché marocaine. Comment expliquer cette tendance ?
Cette tendance est tirée principalement par l’Etat plutôt que par le secteur privé. Depuis les tournées du Roi Mohammed VI en Afrique, le Maroc s’est positionné comme un hub pour les rencontres sud-sud ; et idéal, à travers sa position géographique, pour les rencontres entre nous Africains et d’autres partenaires mondiaux.
Ces rencontres se sont intensifiées depuis que le Maroc a rejoint l’Union Africaine. Contrairement, à d’autres organisations internationales, le rôle de la société civile africaine est important dans l’UA et donc, en parallèle d’une diplomatie active, il est important de créer des liens à travers des espaces de dialogue et d’échanges avec les leaders d’opinion des autres pays africains.
Enfin, n’oublions pas le plus grand évènement de l’histoire du Maroc, la COP 22 et qui a été possible grâce à une montée en compétences progressive de certains prestataires de l’évènementiel.
Cette industrie a tellement fleuri cette dernière décennie, qu’il est légitime de se demander si ce n’est pas de nature à trop éclater ce marché ou au contraire à son développement ?
Cette tendance a créé une bulle composée de quelques grandes structures pouvant accompagner tous types d’évènements et une majorité de petites structures, très fragiles, se partageant ce qui reste. Si on compare cette évolution aux différentes étapes d’une bulle boursière, on a vécu la phase euphorique, on attendait la phase éclatement du marché. Il est possible que la situation économique engendrée par le Coronavirus dans le monde, impactant ainsi l’économie marocaine, soit un accélérateur de cette phase. Ne survivront à cette éclatement/effondrement que les organisateurs ayant pleinement intégré le digital dans leurs approches.
Est-ce que la tenue de conférences, de séminaires, de salons… est l’unique moyen pour communiquer des informations, présenter un service ou un produit ?
Non et il est temps de prendre en compte les autres manières plus subtiles de faire passer les messages d’une organisation à ses cibles. Nous avons tendance à considérer l’évènementiel comme une finalité en soit alors que ce n’est qu’un moyen. Un communicant se doit de garder en vue, l’essentiel de l’enjeu d’une organisation, c’est-à-dire l’impact et le résultat voulu. Le métier de communicant est récent au Maroc, et qui connait en parallèle des mutations continues. Pour dire les choses telles qu’elles sont : dans un marché qui ne rémunère pas encore le travail intellectuel à sa juste valeur, les opérateurs se trouvent obligé de présenter des offres composées majoritairement de livrables « concrets » (évènementiels, affiches.) afin de rentabiliser le travail intellectuel, quand il y en a.
Aujourd’hui, la data disponible dans le web permet une réponse quasi « chirurgicale » à la majorité des enjeux de communication. Ne pas utiliser ces données, c’est continuer à travailler avec une bougie après l’invention de l’électricité.
Quid des manifestations à caractère commercial ? Le digital peut-il être une alternative ? Et quel intérêt présente-t-il en termes de coûts et de gain de temps ?
Le digital est une partie de tous types de manifestations. Il est dans le meilleur des cas complémentaire, qui optimise l’impact d’un évènement et développe sa portée. Et dans les pires scénarios une alternative complète à une manifestation. Preuve en est, la société américaine de physique qui devait rassembler les plus grands chercheurs dans le monde à Genève a converti son évènement entièrement en digital, en offrant une plateforme aux chercheurs afin qu’ils puissent y enregistrer leurs interventions.
Il y a des opportunités dans toute crise, le premier secteur qui en sortira gagnant est le digital et tout ce que ça offre comme alternatif de travail et de collaborations. Cisco, Microsoft et Google ont annoncé dans la semaine qu’ils allaient déployer gratuitement certaines fonctionnalités avancées de leurs outils de travail à distance pour une période donnée. L’idée est de prévenir les infections au coronavirus en invitant les employés à travailler à la maison.
On parle beaucoup de communication de crise ces temps-ci, qu’en est-il ?
Même si l’épidémie s’arrête aujourd’hui, la crise économique mondiale est inévitable. Le journaliste Eric Le Boucher a publié une chronique « Le coronavirus va tuer plus de PME que d’êtres d’humains ». Par ailleurs, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a déclaré que « la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de coronavirus Covid-19 dans le monde pourrait avoir de graves répercussions économiques, avec un manque à gagner mondial s’élevant à 2.000 milliards de dollars, dont 220 milliards pour les pays en développement ».
La communication de crise est une des composantes essentielles de la gestion de crise. Cependant, attendre une crise pour mettre en place une gestion de crise, il est déjà trop tard. Une gestion de crise se prépare en amont. Elle se prépare par la mise en place de process, de relais d’informations selon les niveaux d’alerte, d’une commission, de training et de simulation selon les différents scénarios.