Des délais de paiement qui cristallisent les problèmes de trésorerie devenus insoutenables pour les TPE/PME, difficultés d’accès au crédit à cause de la frilosité des banques, concurrence déloyale sur fond de massification des achats publics, et son corollaire la dominance des grandes entreprises, déficit d’informations de transparence et d’accompagnement, persistance de la corruption, sont autant de pierres d’achoppement qui favorisent la mortalité des TPME, souvent sous-capitalisées, militant en faveur d’un changement de paradigme et d’une refonte du système dans son ensemble.
Censées constituer un puissant moteur de la croissance économique, les PME ont vocation à jouer un rôle significatif dans la création de nouveaux emplois sur des marchés où l’offre manque cruellement, le développement du tissu économique national et l’accroissement de la valeur ajoutée produite localement. Pour ce faire, elles doivent être mieux informées de l’existence d’opportunités commerciales avec les pouvoirs publics et être dotées d’un savoir- faire technique pour soigner leur réponse à un appel d’offres.
En dépit des politiques publiques de soutien et d’accompagnement des PME notamment à travers les initiatives de « Maroc PME »; (Moussanada et Imtiaz), le tissu productif comporte un nombre limité de PME structurées capable de se développer et d’augmenter leurs chiffres d’affaires et leurs effectifs.
La perspective de la mise en place d’écosystèmes territoriaux capables de créer une nouvelle dynamique visant la consolidation des relations locales entre collectivités territoriales, grandes entreprises et PME est de nature à favoriser l’émergence de nouveaux entrepreneurs désireux de s’impliquer davantage dans la participation à la commande publique.
Casser les carcans et les craintes des TPME
La question de la commande publique doit être traitée en tant que levier stratégique de développement économique et social, avec une approche globale couvrant l’ensemble des maillons de la chaine de valeur depuis l’étude de l’opportunité et la définition optimale des besoins au plus près de la prestation attendue, jusqu’au contrôle et l’audit, et ce dans le cadre d’une saine concurrence garantissant une relation contractuelle équilibrée entre les parties.
Dans ce sens, les pouvoirs adjudicateurs doivent intégrer la facilitation de l’accès des PME à la commande publique dans leurs stratégies d’achat et innover pour développer une communication pérenne à leur adresse afin d’offrir la plus grande visibilité possible sur leurs besoins et leurs méthodes de contractualisation, stimuler la concurrence et inhiber les facteurs qui jettent l’opprobre sur l’image péjorative des marchés publics.
Cependant, force est de relever que l’exécution des marchés publics est une source importante de distorsion potentielle de la concurrence, une part élevée des entreprises recourant à des paiements illicites pour obtenir des marchés publics.
Ces derniers constituent une source de rente potentiellement importante, lorsqu’on sait que la commande publique représente incontestablement un des principaux déterminants de l’activité économique du pays, pesant une part de 16% du PIB selon le dernier rapport de l’OCDE sur le «diagnostic d’intégrité au Maroc», qui a fortement recommandé de réduire les risques de corruption afin de garantir la qualité des services publics, renforcer la confiance dans les institutions et favoriser l’investissement et la concurrence.
L’importance des dysfonctionnements structurels liés à la lourdeur, à la complexité et à l’opacité des procédures et formalités administratives, ainsi que l’accès difficile au financement, la concurrence du secteur informel et la persistance des pratiques de fraude et de corruption sont, aujourd’hui encore, des carcans régulièrement confirmés par plusieurs enquêtes auprès des entreprises.
Renforcer la communication et les capacités d’accès à la commande publique
Par ailleurs, à la différence de grandes entreprises au riche carnet d’adresses, les TPME ignorent où trouver les informations portant sur les lois et les procédures régissant le processus de la commande publique qui recouvre différents mécanismes contractuels tels que les marchés publics, les délégations de service public, les contrats de partenariat public-privé, etc.
Les TPME ne connaissent pas leurs droits, ne disposent pas souvent des sources d’informations donnant accès aux opportunités offertes par ces mécanismes et ont besoin d’un important effort d’accompagnement afin d’être mieux armées pour formuler une soumission compétitive face aux critères très stricts, voire discriminatoires, sur le profil des soumissionnaires.
Le déploiement de programmes de formations pour défricher le terrain du côté des TPME doit être conduit parallèlement aux mécanismes de dialogue permanent entre acheteurs publics et entreprises et à la simplification des procédures favorisant l’accès de ces structures à la commande publique, notamment via un découpage/allotissement intelligent des marchés, et permettant l’émergence de PME fiables, capables de produire la valeur ajoutée locale et de stimuler les économies des territoires.
Dans le même temps, il y a lieu d’encourager la professionnalisation des maitres d’ouvrages publics, de faciliter le développement de leurs compétences et leur accès au meilleur niveau de qualification à travers le recours aux prestations d’assistance à maitrise d’ouvrage de sorte que les opérations d’achat public soient menées avec les moyens appropriés sur l’ensemble du processus (étude d’opportunité, expression du besoin, formalisation, consultation, exécution, réception, etc.).
Endiguer le fléau des délais de paiements qui collent à la peau
La démocratisation de la commande publique implique de consacrer les principes de moralisation de la vie économique et de transparence des processus d’attribution et d’exécution des marchés, grâce notamment à un suivi et un contrôle efficients, et de lever certains obstacles inhérents aux de délais de paiements longs de l’Etat et des entreprises et établissements publics.
A cet effet, il importe de garantir, via des mécanismes dissuasifs, la maîtrise des délais réels de paiements qui doivent être calculés à partir de la date de dépôt de la facture ou du décompte, tout en veillant à ce que ces délais soient conformes à la législation de façon à ne pas pénaliser trésorerie des TPME, et accélérer le remboursement par l’Etat des crédits de TVA de l’Etat auprès des entreprises, publiques et privées, pour ne pas asphyxier l’économie.
Les délais d’encaissement d’une créance atteignent actuellement des niveaux alarmants, notamment pour les TPME et certains secteurs d’activité, nécessitant l’équivalent de plus de
9 mois de chiffre d’affaires en dehors de la trésorerie de l’entreprise alors que le gouvernement avait porté à 60 jours au maximum le délai de paiement des dépenses relatives aux commandes publique. Même si les délais de paiement du secteur public sont sur une tendance baissière, ironie du sort, c’est l’Etat qui demeure le plus mauvais payeur !!
Ce poison produit un impact majeur sur le besoin en fonds de roulement des TPME, voire leur survie, une avalanche sans précédent de faillites d’entreprises frappe le tissu économique, dont près de 25% sont dues à l’allongement anormal des délais de paiement, avec une tendance structurelle dans le secteur de l’immobilier et le BTP.
Les expériences internationales éprouvées en matière de simplification et d’accélération des procédures de paiements doivent inspirer les instances de régulation pour qu’elles innovent en matière d’encadrement législatif et réglementaire et surtout pour passer de la théorie à la pratique via des mesures concrètes garantissant l’applicabilité de cet arsenal responsabilisation des donneurs d’ordre, encouragement du paiement par factures dématérialisées, obligation de respect de délais fermes de paiement, durcissement de sanctions financières via le rehaussement des taux d’intérêt en cas de retard, diffusion de l’information sur les mauvais payeurs, augmentation des avances minimales pour les marchés signés avec l’Etat et les collectivités territoriales, etc.
Sur un autre registre, des mesures préventives devraient être prises par les maitres d’ouvrages pour se prémunir contre tout risque de conflit d’intérêt moyennant une information transparente du public, et en particulier les soumissionnaires, notamment à travers le portail des marchés publics. On ne peut parler d’Etat de droit sans la garantie d’une stricte séparation des intérêts publics et privés et la prévention de toute culture de clientélisme, de privilèges, d’ententes illicites, de corruption, et in fine de mauvaise allocation des ressources économiques aux dépens des marocains, susceptibles de provoquer la violence dans la résolution des conflits et de menacer la stabilité et la paix sociale.
Par Mohammed BENAHMED
Expert international dans la chaine de financement du développement territorial durable, Mohammed BENAHMED est ingénieur civil de l’EMI, diplômé du cycle supérieur de gestion de l’ISCAE, auteur de plusieurs ouvrages et publications dans les domaines de la gouvernance et le financement des services publics, la régionalisation avancée, la déconcentration, l’urbanisation, le PPP, l’évaluation des politiques publiques, l’économie bleue, les chaines de valeurs agricoles..