Ecrit par Soubha Es-Siari I
Au-delà de l’enthousiasme affiché au lendemain du lancement de ce programme d’aide directe, certes révolutionnaire, la réflexion sur sa durée dans le temps est plus que capitale. A ce titre, l’Etat est appelé à mettre de l’ordre dans ses finances notamment en matière de recettes. Pour ce faire, il doit aller chercher l’argent là où il se trouve. Les détails.
Le programme d’aide sociale directe, qui sera mis en œuvre dès la fin de l’année, constitue une véritable initiative inspirante et louable, basée sur une approche inclusive pour garantir des conditions de vie digne. C’est le rêve de tout un marocain depuis belle lurette. Depuis l’annonce par le Souverain le 13 octobre à l’occasion de la session automnale du Parlement de ce programme qui va coûter aux alentours des 25 Mds de DH, beaucoup d’encre a coulé sur ses vertus et sur les prémices de la réalisation in fine d’un Etat social.
Ce programme va instaurer un bouclier social selon les dires du Chef de gouvernement devant les deux chambres du parlement. Et pour cause, il est question de cibler la population vulnérable, très fragilisée et atténuer les charges de compensation ayant atteint 38 Mds de DH en 2022. En 2023, la facture serait un peu moins importante mais reste tout de même élevée. Le leitmotiv aujourd’hui est que l’aide cible la population démunie et mettre un terme aux charges de compensation ayant servi délibérément même les nantis.
En attendant l’inévitable réforme de la caisse de compensation dont les charges pèsent lourdement sur le budget, comment seront financés les 25 Mds de DH auxquels s’ajouteront les 10 Mds de DH nécessaires à l’AMO et les 10 Mds de DH destinés à l’aide au logement ? Si les réponses sont toutes faites pour le prochain exercice et les budgets sont quasiment bouclés, quid de la durabilité dans le temps du système de protection sociale ?
Une question tout à fait légitime dans un contexte très contraignant marqué par une rareté des ressources financières suite à une succession de crises ayant pour toile de fond la flambée des cours des matières premières. Le pire est que d’autres crises économiques risquent de pointer du nez à tout moment avec des effets sociaux à la pelle.
Ce programme, à titre d’indication, cible 60% des familles qui, aujourd’hui, ne sont pas couvertes par les régimes de couverture sociale existants. Il fait également focus sur les enfants dans la mesure où l’aide est un prélude à leur scolarisation. Le but étant d’assurer l’autonomisation de ces enfants, la génération future, appelés à contribuer à l’avenir à la création de richesses.
L’enjeu de ce programme est donc crucial dans la mesure où il est appelé à créer une jeunesse prémunie contre les crises économiques, contre les différents aléas parce que la maturité de la société en dépend. En guise de rappel, le mauvais classement du Maroc dans le dernier rapport sur le développement humain et les deux points perdus sont dus essentiellement à la santé et à la mauvaise qualité de l’enseignement qui entraîne dans son sillage le décrochage scolaire.
Où trouver l’argent ?
Sur le plan méthodologique, il va sans dire qu’avec le démarrage du RSU c’est la population qui est effectivement dans le besoin qui va bénéficier de l’aide directe. A ce titre, il ne faut pas omettre que le Maroc s’en est bien tiré avec la crise du Covid et que cette frange de la société a été servie d’indemnités versées par l’Etat pour faire face aux effets négatifs tels que la perte d’emploi, la réduction drastique des salaires avec le travail partiel… Autrement dit, le Maroc pourrait bien capitaliser sur cette expérience.
Sur le plan financier, de par les milliards de dirhams qui vont être mobilisés, ce programme multidimensionnel a besoin de la soutenabilité budgétaire pour une durabilité dans le temps. De prime abord, il est utile de rappeler que le programme de protection sociale se compose de deux piliers : santé et aide directe.
S’agissant des aides directes et pour une soutenabilité budgétaire. Nous avons besoin sans nul doute de l’élargissement de l’assiette fiscale. Aujourd’hui, nous pouvons nous targuer du fait que la Direction Générale des Impôts dispose de moyens technologiques pour maîtriser les contribuables, lutter contre la fraude fiscale à travers le recoupement de la data et ce pour un élargissement de l’assiette.
Le second levier est en lien avec le Nouveau modèle de développement (NMD) qui table sur un taux de croissance de 6%. Donc le gouvernement a intérêt à mettre en place les politiques publiques nécessaires pour faire sortir le Maroc de la fourchette de croissance 2 à 3% vers un taux de 5 ou 6%. C’est de cette manière que le Maroc pourrait absorber toute cette population et garantir la soutenabilité budgétaire à ce programme.
Sinon et faute de réalisation de tels scénarios et si le Maroc reste bon an mal an dans un taux de croissance oscillant autour de 3%, le gros va peser lourdement sur le budget de l’Etat. Or nous savons très bien que les ressources proviennent essentiellement de la fiscalité directe. Donc si nous ne parvenons pas à assurer une croissance forte, le système pourrait devenir tellement coûteux et risquerait de ne pas tenir longtemps. Dans ces conditions, il faut soit recourir à une hausse drastique de l’impôt soit à l’endettement.
Pour l’économiste Khalid Benali intervenant dans une émission sur Medi1TV, pour assurer la soutenabilité du programme, le Maroc a besoin d’un revenu national brut disponible important à même de supporter les taxes. Aussi et selon ses propos, créer de la croissance n’est pas suffisant, il faut la transformer dans un mécanisme de redistribution en développement.
D’après l’économiste, si on recourt uniquement à l’imposition sans créer une équité fiscale, le système pourrait s’essouffler. Quant on opte pour ce qui est prévu dans le NMD, la réforme fiscale pourrait rapporter 2 à 3% de points supplémentaires au PIB chaque année. Il plaide même pour la création d’un fonds de secours de gestion.
Au-delà de l’enthousiasme affiché suite au lancement de ce programme révolutionnaire, la réflexion sur sa durée dans le temps est plus que capitale. A ce titre, l’Etat est appelé à mettre de l’ordre dans ses finances notamment en matière de recettes. Pour ce faire, il doit aller chercher l’argent là où il se trouve.
L’article 39 de la Constitution est clair à ce sujet : « Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente Constitution, créer et répartir… » Il n’a y a aucune raison que dans les temps qui courent des Marocains fuient l’impôt en toute légalité ou illégalité. Et cela nécessite un vrai courage politique parce que chaque fois que l’Etat décide d’une imposition et qu’il ya une levée de bouclier, il fait marche arrière.
Une chose est sûre : le Maroc est en train de changer de visage avec l’ensemble des réformes menées et qu’il compte mener. Pour réaliser à bon escient ses projets, l’Etat est appelé à s’armer de courage.
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