Ecrit par Imane Bouhrara |
Il faut croire que le récent mouvement de panique bancaire mondial éprouvé récemment, notamment la faillite de banques aux USA et risque de faillite du Credit Suisse, incite l’Union européenne à accélérer l’achèvement de la mise en œuvre des normes prudentielles pour les banques. C’est ce qui est ressorti du dialogue monétaire trimestriel de la BCE avec la commission des Affaires économiques et Monétaires (ECON) du Parlement européen ou encore la rencontre avec le responsable de l’Autorité bancaire européenne (ABE). Ce qui laisse planer un changement précipité pour les banques marocaines en activité au sein de l’Union.
L’incident de la faillite de banques américaines a failli réveiller de vieux démons que des régulateurs européens commencent à rappeler l’importance du parachèvement de la mise en œuvre des normes Bâle qui doivent justement éviter ce type de scénario.
Dans ce sens, lors de son dialogue monétaire trimestriel avec la commission des Affaires économiques et Monétaires (ECON) du Parlement européen, Christine Lagarde a blâmé l’application partielle par les États-Unis des exigences de Bâle III. Les exigences réglementaires concernant les coussins de liquidités ont été supprimées pour les banques de petite et moyenne taille sous l’administration Trump de sorte que les régulateurs n’ont pas pu anticiper la situation de trésorerie des banques à temps pour éviter une faillite.
Et elle a recommandé au sein du Parlement européen la mise en œuvre complète des exigences de Bâle III.
Justement la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen avait adopté deux rapports sur la réforme du paquet bancaire, un outil de plus, cette fois-ci propre à l’UE, pour renforcer la résilience et la stabilité financière du secteur bancaire européen.
Pour rappel, le paquet bancaire 2021 de la Commission réformant la directive 2013/36/UE et le règlement 575/2013 vise d’abord à parachever la mise en œuvre de l’accord de Bâle III afin de renforcer la résilience du secteur bancaire aux chocs économiques.
Il a ensuite pour objectif de renforcer les outils à la disposition des autorités de surveillance chargées de contrôler les banques de l’Union. Et enfin, de contribuer au renforcement de la résilience du secteur bancaire aux risques ESG.
En quoi cela concerne-t-il le Maroc, si ce n’est de savoir que le système bancaire de son partenaire historique est résilient face aux chocs ? Comme qui dirait que dans le lot il y a un clandestin à bord : c’est la directive 2013/36/UE.
L’alerte a été d’ailleurs donnée par le Wali de Bank Al-Maghrib lors de la séance inaugurale du Forum pour la réduction des coûts des transferts de fonds de la diaspora africaine, tenue à Rabat, le 12 janvier 2023.
Il avait alerté sur les activités d’accompagnement des Marocains du Monde pratiquées depuis des décennies par les banques marocaines en toute transparence et dans le respect des réglementations locales sont depuis quelques années confrontées à un durcissement sans précédent de leurs conditions d’exercice.
D’ailleurs plusieurs autorités bancaires de pays de l’Union avaient décidé de suspendre l’activité d’intermédiation opérée par les filiales bancaires situées en Europe auprès de la diaspora et pour le compte de leurs maisons mères marocaines.
L’entrée en vigueur de cette directive signifie que les conditions de prestation de cette activité vont davantage se durcir. « Ce projet, dont l’adoption est imminente, prévoit l’interdiction pour les banques étrangères non établies dans l’UE d’offrir des services bancaires du pays d’origine directement à leurs clients résidant dans un pays de l’Union » avait alerté le gouverneur de la banque centrale appelant à une action diplomatique d’envergure des pays africains.
Et à raison parce qu’il faut consulter les conditions à remplir pour être considéré comme une “succursale de pays tiers éligible” prévues par la directive telle qu’approuvé par le Parlement européen. En attendant de voir bien évidemment si les négociations interinstitutionnelles entre le Parlement, le Conseil et la Commission européens actuellement en cours vont aller vers le sens de contenir ce durcissement prudentiel à l’égard des banques de pays tiers à l’Europe.
Cette directive ne fait pas jaser uniquement en dehors de l’UE. En Effet, le paquet bancaire 2021, présenté par la Commission européenne en octobre dernier, a été examiné par la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON) et a adopté le mardi 24 janvier, deux rapports sur la réforme: un pour la directive et l’autre pour le règlement.
Il n’en a pas fallu moins pour faire réagir Christophe Hansen, l’eurodéputé du groupe parlementaire PPE et membre de l’ECON qui juge ces rapports allant « à l’encontre de la constitution d’un marché unique des capitaux en dressant les uns contre les autres les grands et les petits pays de l’Union ».
Christophe Hansen dénonce également le nouveau régime gouvernant l’établissement des succursales en provenance de pays tiers dans l’Union européenne. Un régime «qui créera de nouvelles limitations en termes de transferts de capitaux entre des sociétés mères et leurs succursales ». Des limitations qui, pour le député, «mettront à mal le modèle ‘cross-border’ sur lequel est bâti le modèle d’affaires des grandes banques internationales de la Place».
Non, les succursales marocaines ne sont pas dans le viseur
Les déclarations du Wali de BAM ont eu l’effet d’une bombe et beaucoup sont même allés jusqu’à dire que les banques marocaines sont directement visées en raison des records de transferts de MRE.
Certes en temps de crise cette solidarité exceptionnelle dont ont fait montre nos Marocains du monde peut rendre jaloux de même que le succès des banques marocaines en Europe peuvent déranger certains pays, mais cette réforme date bien avant et surtout, les chiffres contredisent une telle thèse.
En effet, au 31 décembre 2020, l’UE comptait 106 succursales de pays tiers (SPT) réparties dans 17 États membres. Le montant cumulé des actifs totaux qu’elles détenaient à cette date s’élevait à un peu plus de 510 milliards d’euros, dont 86 % étaient concentrés dans quatre États membres seulement (Belgique, France, Allemagne et Luxembourg).
Si la majorité des SPT (70 sur 106) détenaient à cette date moins de 3 milliards d’EUR d’actifs, deux SPT détenaient plus de 30 milliards d’euros d’actifs et 14 autres SPT détenaient des actifs compris entre 10 et 30 milliards d’euros (contre 6 à la même date l’année précédente).
A la même, les SPT établies dans l’UE provenaient de 23 pays tiers, les plus nombreuses provenant de Chine (18), du Royaume-Uni (15), d’Iran (10), des États-Unis (9) et du Liban (9). Plusieurs groupes de pays tiers (23) ont des SPT dans plus d’un État membre.
Le Maroc ne figure même pas dans le top 5 des SPT qui semblent empêcher l’UE de dormir de crainte pour sa stabilité financière. Mais si les banques marocaines ne sont pas visées, elles vont tout de même trinquer avec un resserrement réglementaire sans précédent.
En effet si actuellement l’établissement de succursales de pays tiers (SPT) est fondamentalement soumis à la seule législation nationale et est harmonisé dans une mesure très limitée par la CRD, la réforme veut combler l’absence d’exigences communes dans le domaine prudentiel, sur le plan de la gouvernance et en matière de déclaration prudentielle détaillée, ainsi que l’échange insuffisant d’informations entre les autorités chargées de surveiller les différentes entités/activités d’un groupe de pays tiers. Cela commence dès l’agrément jusqu’à la couverture des besoins de liquidités. Evidemment plus d’intermédiation bancaire sans se soumettre à des conditions draconiennes.
Encore heureux que le Maroc ait quitté la liste grise du Gafi, puisqu’en plus de devoir être issue de pays ayant des règles prudentielles similaires à celles européennes, une banque désirant être éligible à l’intermédiation bancaire en Europe, ne doit pas être issue d’un pays tiers à haut risque dont le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme présente des carences stratégiques.
Le risque aujourd’hui n’est pas seulement dans une entrée en vigueur anticipée de cette directive, à la base prévue en 2024, mais également que ce vent de panique ne bouscule et boucle les négociations interinstitutionnelles entre le Parlement, le Conseil et la Commission européens actuellement en cours.
Or le Wali de BAM avait clairement pointé la mouture actuelle de cette directive et son incidence sur les banques marocaines en activités dans la zone euro, notamment BCP et AWB avec 50 filiales dans 7 pays européens.