Ecrit par Imane Bouhrara |
Plus de dix ans après la crise des Subprimes, les mêmes nœuds gordiens qui étranglent les potentialités du Maroc persistent encore. Une classe moyenne forte, une industrie compétitive et un marché intérieur développé… ont manqué à l’appel lors de cette crise Covid-19. Pourtant, des économistes marocains, notamment Driss Benali, n’ont de cesse listé les obstacles que le Maroc est appelé à aplanir.
Quelle analyse Driss Benali, l’économiste marocain, aurait-il fait de la conjoncture économique actuelle exacerbée par la pandémie ? Hélas, il nous a quittés en 2013 mais a laissé derrière lui un trésor académique à qui sait lire.
Un héritage qui nous parle encore et surtout aujourd’hui au lendemain du choc créé par le Covid-19. « Si le Maroc avait une classe moyenne forte et une industrie compétitive, il pourrait développer son marché intérieur et ainsi compenser la perte des marchés extérieurs touchés par la crise malheureusement notre marché intérieur est faible et les chocs externes de plus en plus violents », disait-il. Un discours intemporel qui s’applique au contexte marocain à ce jour, les freins d’hier étant encore ceux du présent et risquent même de prendre en otage les perspectives d’un fort développement du pays.
«… l’économie du Maroc est une économie dynamique mais fragile d’une part, et d’autre part, elle est bloquée par la rente au niveau supérieur et la rente au niveau inférieur, la rente de certaines couches sociales ; car l’économie marocaine n’est que partiellement libérale. C’est une économie qui se veut ouverte, une économie de marché, mais qui a une compétitivité faible », expliquait Driss Benali dans ses différentes interventions.
Il ne niait pas les avancées réalisées par le Maroc mais insistait à dire que la question de la fracture sociale reste posée. Comment réduire la fracture sociale aujourd’hui ?
« Pour réduire la fracture sociale, il faut édifier une classe moyenne au Maroc, c’est la seule solution… Un autre moyen de réduire la fracture sociale est l’enseignement : l’école peut donner à chacun la possibilité d’une ascension sociale…Enfin le système fiscal, qui permettrait de réduire la fracture sociale et de soutenir la croissance, doit être réformé ; aujourd’hui il ne contribue pas à créer des emplois, il ne permet pas l’émergence d’une classe moyenne et il dissuade la création d’entreprise. L’assiette fiscale est limitée et le taux d’imposition élevé freine la constitution de cette classe moyenne nécessaire à notre économie ».
Certes le Maroc a fait des avancées phénoménales dans plusieurs domaines mais ces freins historiques à l’émergence demeurent entiers et accentuent la vulnérabilité du pays à encaisser un nouveau choc.
Pourtant, d’aucuns estiment que le choc Covid-19 ne sera pas le dernier ce qui montre l’urgence de faire sauter tous les verrous liés à la fracture sociale, le capital humain, la compétitivité de l’économie, l’efficience du système éducatif…
Il faut reconnaître que Driss Benali n’est pas le seul économiste qui alerte sur les risques guettant l’économie et la société marocaine. Mais ils sont rares encore de la fibre de Benali ou Aziz Blal à livrer l’analyse économique sans fioriture ni langue de bois pour ne citer que Najib Akesbi, Noureddine El Aoufi, Rajae Mejjati, Saïd Dkhissi, Nouzha Lahrichi, Ahmed Ghazaoui et tant d’autres qui constituent l’école marocaine de l’économie.
Tels des soldats de l’ombre, ils continuent à produire un contenu de valeur et d’un précieux inégalé en déphasage total avec d’autres composantes de la société, au point qu’ils sont éclipsés dans une société qui ouvre les bras à la médiocrité rampante et dans un paysage médiatique qui s’engouffre de plus en plus dans les méandres du buzz et la quête du « trafic »… mais aussi dans une scène politique aux discours de plus en plus creux.
Et contrairement au politique trop collé à l’instant présent et à gérer le quotidien, quand il lui arrive de le faire, l’économiste en bon historien et visionnaire, dispose, lui, de la légitimité académique d’élaborer la « méthode » pour appréhender les grandes problématiques qui s’opposent à une nation.
Bien évidemment, on peut imaginer qu’il est plus facile à trouver des solutions dans la théorie que de les mettre en application, les machines politique et économique, sont telles des mammouths qui nécessitent du temps et de la volonté pour les faire changer de direction. Mais rien n’empêche de prêter l’oreille à l’élite académique qui indique les voies à suivre et les chocs à anticiper.
Mais nul n’est prophète en son pays !
Nouveau modèle de développement
Que nous réserve l’avenir en 2022 et les années suivantes ? Inutile de tirer le tarot ni consulter la boule de Crystal de Madame Irma. L’avenir se prépare sinon, on le subit. Planification, perspectives, projections, feuille de route, politique stratégique, référentiel de développement… le Maroc devrait bien trouver une voie à emprunter, mais laquelle ? C’est tout l’essence de la mise en place de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement et de son travail tout au long d’une année, comme disait Benali, « interroger le passé pour comprendre le présent » et prévoir l’avenir.
Et voilà, plus de six mois se sont écoulés depuis la présentation du Rapport de la CSMD au Souverain le 25 mai 2021 et toujours aucun signe du Pacte national de développement. Certes, entre temps l’équipe gouvernementale a changé mais tous les acteurs sont restés les mêmes que ce soit l’Etat, la société civile, les parties politiques, les institutions ou les acteurs économiques.
Pourtant, plus aucune nouvelle sur d’éventuelles réunions de toutes les parties prenantes pour l’élaboration de cette « Feuille de route 2035 ». Sincèrement, plus important que cette feuille de route est le débat et dynamique qui peuvent et doivent être créés au sein de notre pays. Surtout en cette période de calme plat, de silence ou de flottement où l’on a l’impression que les élites ne communiquent pas entre elles et où chacun travaille en silo (surtout ce qu’il ne faut pas faire) …
Avec le débat, peut-être trouvera-t-on enfin, une voie de milieu, de réalisme qui conjugue l’idéalisme de l’économiste et l’opportunisme du politique… pour répondre aux attentes des Marocains.
1 comment
Mais la classe moyenne est déjà là, voyez le salaire moyen dans la fonction publique 8.000 Dh (4 fois le SMIG) et il s’approche du SMIG dans les pays développés qui ont dix fois notre revenu par tête. Regardez le nombre de 4×4 qui circulent، le nombre de villas de luxe, etc.
Ce qui nous manque c’est une culture de l’effort et de l’abnégation comme celle de l’Asie. Il y a aussi ce manque de goût pour le risque qui fait que nos investisseurs préfèrent la pierre à l’industrie. Notre appétence pour les idées de gauche est une paresse intellectuelle qui cache la vraie source des problèmes. L’existence de la rente, la corruption et le non respect des règles démocratiques sont liés au niveau culturel des citoyens et leur niveau de vie. Cette faille est à l’origine du laisser aller qui encourage toutes les dérives.