L’Algérie connaît depuis le 22 Février 2019 un immense mouvement de contestation qui a culminé le 8 Mars 2019 avec des manifestations à Alger et dans plusieurs autres villes, regroupant des centaines de milliers d’Algériens. La cause principale de ce mouvement est la candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat présidentiel. L’étincelle a eu lieu à Khenchela quand un maire pro-régime a refusé d’accueillir dans sa ville les opposants à la candidature du Chef de l’Etat. Des citoyens se sont alors rassemblés devant la mairie et ont décroché de la façade l’affiche géante de Bouteflika.
Rappelons que Abdelaziz Bouteflika a été élu Président de la République algérienne en 1999, puis successivement réélu en 2004 (85% de voix) et 2009 (90,2% de voix). Il a été victime en 2013 d’un grave accident vasculaire cérébral. Son état de santé s’est dégradé progressivement, avec une mobilité réduite et des apparitions publiques de plus en plus rares. Il se fait réélire en 2014 (81,5% de voix) sans intervenir durant la campagne. Le 24 Février 2019, Bouteflika âgé de 82 ans est hospitalisé à Genève pour des soins de santé. Son directeur de campagne a déposé sa candidature le 3 Mars 2019 pour les élections présidentielles prévues le 18 Avril prochain.
La candidature de Bouteflika a été soutenu au départ par le clan présidentiel qui est constitué des partis FLN (Front de libération nationale) et RND (Rassemblement national démocratique), du FCE (Forum des Chefs d’Entreprise) et de l’Etat-major de l’armée. Cependant, face à une opposition désorganisée la rue est seule capable d’imposer une transition. Le 7 Mars 2019, le Chef de l’Etat algérien a adressé un avertissement aux manifestants où il appelle « à la vigilance et à la prudence quand à une éventuelle infiltration de cette expression pacifique » et promet s’il est élu, d’entreprendre de profondes réformes politiques et de ne pas être candidat à un sixième mandat. Cet appel ne semble pas avoir être entendu, puisque le lendemain 8 Mars à l’occasion de la journée internationale de la femme, les Algériens sont descendus en masse dans les rues du pays afin de dire non au cinquième mandat, et en exigeant le changement du système politique actuel en Algérie.
Devant l’ampleur des manifestations et leur caractère notoirement pacifique, le clan des partisans de la candidature de Bouteflika s’est fissuré. C’est ainsi que la puissante organisation nationale des Moujahidine (ONM) a rejoint le 5 Mars le rang des manifestants. D’autres organisations ont suivi l’ONM, dont l’Association des anciens du Ministère de l’armement et des liaisons générales (ancien service de renseignements), et plusieurs branches locales ou syndicats affiliés à l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens). De son côté, l’opposition légale tente de se positionner en alternative. C’est ainsi que Ali Benflis, l’opposant lors des deux dernières élections présidentielles, a retiré sa candidature pour les élections du 18 Avril 2019 qu’il dénonce comme une compétition « biaisée et faussée ». Il a interpellé les autres membres de l’opposition pour traduire en initiatives et action politique les aspirations exprimées par le peuple algérien. Les leaders de l’opposition sont tombés d’accord pour demander le report de l’élection présidentielle du 18 Avril prochain.
De retour à Alger le 11 Mars 2019, le Président Bouteflika a diffusé un important message au peuple algérien, où il renonce à sa cinquième candidature à l’élection présidentielle du 18 Avril 2019, qui sera reportée à une date ultérieure. Il annonce également un changement du gouvernement, et l’instauration d’une Conférence nationale inclusive et indépendante, qui sera chargée de promouvoir des réformes et de rédiger un projet de Constitution. Enfin sera instituée une Commission électorale nationale indépendante pour veiller à des élections présidentielles libres, régulières et transparentes.
Ces décisions sont une incontestable victoire pour le peuple algérien qui a manifesté avec courage et discipline pendant trois semaines à Alger et dans les autres villes du pays. On peut cependant se poser la question concernant l’application effective de ces décisions. D’ores et déjà, le Premier ministre et le Vice-Premier ministre qui ont été désignés pour former le nouveau gouvernement font partie du système : le premier ayant exercé les fonctions de ministre de l’Intérieur, et le second de ministre des Affaires Etrangères. Ce sont les semaines et les mois à venir qui permettront de répondre à cette question. En tous cas, nous ne pouvons que souhaiter un changement du système politique en Algérie permettant l’instauration dans ce pays d’une véritable démocratie.
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)