Le Maroc comptait 15.735 coopératives en 2015 et chaque mois, 120 coopératives sont constituées, selon l’Office du développement de la Coopération (ODCO). Cela veut dire que nous en sommes à plus de 20.000 entités qui se développent, développent des activités génératrices de revenus et améliorent la situation socio-économique de ses membres. Mais quid du contrôle de ces coopératives et de leur gouvernance ?
Pour pérenniser les acquis cumulés par les coopératives depuis le protectorat à ce jour, elles sont désormais cadrées par une loi qui leur est dédiée.
Et bien que publié dans le Bulletin officiel N° 6696 du 2 août 2018, le Dahir n°1-14-189 du 21 novembre 2014 portant promulgation de la loi n °112-12 relative aux coopératives, n’entre en vigueur que le 31 décembre 2019 (loi 74-16). Une prolongation des délais pour permettre aux anciennes coopératives et à leurs unions d’adapter leurs statuts aux dispositions du nouveau texte.
Le nouveau cadre devait apporter plus de transparence et de gouvernance dans la vie des coopératives au Maroc et protéger les droits des adhérents. D’autant que ces entités dont le nombre excède les 20.000 au Maroc ont pris une importance prépondérante dans le développement socio-économique du Maroc.
Mais il suffit de survoler cette loi pour se rendre compte qu’elle présente quelques limites qu’il faudrait combler impérativement. Dans ce sens l’un des articles les plus flagrants qui ne nécessite pas d’être un expert pour se rendre compte qu’il pose problème est l’article n°75 qui dispose que « Le mandat des commissaires aux comptes peut être renouvelé sans limitation dans le temps ».
Interpellé sur cet article, Issam Maguiri, le Président de l’Ordre des experts-comptables (OEC) révèle d’emblée que l’Ordre n’a été ni impliqué ni consulté dans la rédaction de cette loi notamment sur le volet des dispositions financières qui regroupent les opérations de clôture de l’exercice comptable, la tenue de la comptabilité encore moins la section III relative aux Commissaires aux comptes.
Quand on sait tout l’intérêt accordé à la limitation des mandats et à la rotation des commissaires aux comptes aussi bien dans le public que le privé, pour garantir une meilleure indépendance de l’auditeur, éviter les rapports de complaisance pour garantir au mieux la transparence financière des entités contrôlées, améliorer leur gouvernance et accroitre leur efficience, on ne peut que s’étonner du mandat advetam etrename stipulé par cet article. Comme le rappelle I. Maguiri, « la transparence financière et la bonne gouvernance sont de véritables leviers d’efficience, de performance et de compétitivité ».
Mais pour lui, ce n’est pas la seule lacune de cette loi. « L’article 75 n’est pas le seul à interpeller. L’article 72 stipule que sont tenues de désigner un commissaire aux comptes, les coopératives dont le chiffre d’affaires, à la clôture de deux exercices successifs, dépasse le montant de 10 MDH. La fixation de ce seuil élevé sous prétexte que les coopératives ne trouvent pas suffisamment de commissaires aux comptes (CAC) est dénuée de tout sens », explique-t-il. En effet, l’esprit de protection des adhérents, la moralisation et la sécurisation de la relation entre les actionnaires et la veille à la transparence de gestion et de gouvernance supposent de réduire ce seuil. Le Président de l’OEC est de cet avis et estime que le seuil doit être revu à la baisse et que les coopératives doivent désigner un commissaire à partir d’un chiffre d’affaires de plus de deux millions de DH.
L’autre limite soulevée par ce professionnel est que la mission des CAC dans les coopératives n’est pas une mission d’audit et de certification or cette mission doit être la même que dans les sociétés du secteur privé. « Je pense qu’il faut une révision générale de l’interaction entre la transparence, la reddition des comptes, l’efficacité, la performance,… Faute de quoi, il n’y aura aucun impact sur les PME, les coopératives et le tissu économique. Il faut également combattre l’idée selon laquelle la transparence aura un coût pour la coopérative, alors que c’est exactement l’inverse, la transparence étant un véritable levier de croissance et de viabilité même de la coopérative… », poursuit I. Maguiri.
D’autres articles aussi limitent les effets de la loi notamment le chapitre VIII relatif aux opérations de transformation, de fusion des coopératives qui nécessitent une technicité élevée et qui sont attribuées à des personnes non qualifiées pour le faire … révèle I. Maguiri. Autant de points de blocage qui auraient pu être évités si les professionnels avaient été concertés.
Le législateur a-t-il fait preuve de souplesse à l’égard des coopératives vu leur important impact social et leur contribution à la création d’emplois et de richesse pour des catégories différentes de la société ? Tout prête à le croire.
Il faut rappeler que des propositions ont été formulées par l’OEC lors d’un événement qu’il a organisé en présence de l’ancienne ministre de l’artisanat et de l’économie solidaire Fatima Marouan et l’ODCO. La ministre s’était étonnée d’ailleurs que l’ordre n’ait pas été associé lors de la préparation du projet de loi surtout dans la partie relevant de son cœur de métier, sans que pour autant quelque chose soit entreprise dans le sens de rectifier cela.
« Il faut institutionnaliser, , par la force de la loi, la consultation des professionnels et des experts chacun dans son domaine dans la rédaction des projets de loi vu leur apport important pour rendre les lois praticables. Malheureusement cette culture n’est pas insaturée et c’est ce qui explique que nombre de lois ne sont pas applicables ! », déplore le Président de l’Ordre qui estime que c’est un combat de longue haleine…
Voilà donc qu’avant même son entrée en vigueur, la loi 112-12 se trouve en porte-à-faux par rapport aux objectifs de transparence financière, de bonne gouvernance et par conséquent de protection des droits des membres coopérateurs.
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ad vitam aeternam