Appels répétitifs quelque que soit l’heure, envoi massif de sms, visites à domicile ou au travail, ton menaçant, intimidation… Certains cabinets de recouvrement usent de toutes les méthodes peu orthodoxes pour le compte des établissements de crédit. Mais c’est bientôt fini !
On se croirait dans un western, un de ces films de John Wayne ou Clint Eastwood… Mais, user des méthodes de « Shérif » qui part à la chasse à l’homme pour recouvrer une créance en souffrance en 2019 est scandaleux en plus d’être dans une large proportion illégal !
Pourtant c’est ce que n’hésitent pas à faire certains cabinets de recouvrement de créances en souffrance. L’activité, à ne pas confondre avec l’affacturage, a fleuri au Maroc avec l’explosion des créances en souffrance qui ont atteint à fin septembre 2019 près de 69 Mds de DH, en progression annuelle de 5,1 % selon les statistiques de Bank Al-Maghrib.
Les cas de violation du minimum des droits des clients sont légion, mais voici quelques exemples édifiants de ce que ces cabinets qui opèrent en dehors de tout cadre légal au Maroc sont capables de faire.
Imaginez un retraité qui coule des jours paisibles après des années de dur labeur qui voit sa vie se transformer en véritable enfer en quelques jours seulement. Un cabinet de recouvrement commence à le bombarder de messages sur WhatsApp et ensuite par des relances téléphoniques de numéros de mobile différents à propos d’un prétendu débit cumulé sur un compte bancaire auprès d’une banque de la place.
La victime, puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler tombe des nues : Une demande a été déposée au niveau de l’agence il y a près de dix ans pour clôturer ce compte. Sans oublier la circulaire de BAM de juillet 2016 !
Or, aujourd’hui, la personne au bout du fil lui demande de restituer 20.000 DH immédiatement avant que la maison de cet ancien fonctionnaire de l’Etat ne soit saisie !
Son interlocutrice se présente comme faisant partie de la banque avant de lui expliquer qu’il s’agit d’un cabinet de recouvrement mandaté et qui aurait entamé une procédure de saisie des biens. Pour bien terroriser sa victime, le cabinet lui envoie même le numéro du titre foncier sur WhatsApp.
Paniqué, ce client désabusé était sur le point de passer à la caisse s’il n’avait pensé prendre des avis de son entourage qui lui conseille, à juste titre, de se renseigner auprès d’une association de protection des consommateurs. Cette dernière lui fera comprendre en quoi ses droits ont été bafoués et la démarche à suivre dans pareil cas.
En dehors de la méthode condamnable de ce cabinet, il y a lieu de relever qu’il était en possession de données personnelles et bancaires de ce client. Il y a lieu également de se demander comment ce cabinet a pu obtenir le numéro de téléphone du client qui l’a changé au moins 3 à 4 fois en dix ans, le titre foncier du bien immobilier, le numéro de compte bancaire ainsi que d’autres données, en violation totale de l’article 79 de la loi bancaire qui renvoie à l’article 446 du code pénal marocain et de la loi 09-08 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel.
Un client qui voit ses informations bancaires personnelles divulguées auprès d’un tiers sans son consentement, dispose de toutes les voies légales pour se faire réparer le préjudice subi. Premièrement, il peut porter plainte au pénal contre l’établissement financier à l’origine de ces indiscrétions, puisque comme il est déjà mentionné, il s’agit d’une infraction au code pénal, ensuite il faudrait qu’il poursuive l’établissement financier au civil pour réclamer des dommages intérêts compensatoires de son préjudice…
Tous les moyens sont bons pour faire payer…
Ces cabinets n’hésitent pas à faire appel à des pratiques douteuses notamment en traquant leurs « victimes » à travers leur numéro de sécurité sociale.
C’est le cas d’un salarié qui avait perdu son travail et par conséquent était dans l’incapacité d’honorer un crédit à la consommation. A peine a-t-il retrouvé un boulot et que son nouvel employeur a commencé le paiement des cotisations sociales, que les relances ont repris et les visites mais cette fois-ci à l’adresse de la société mettant le client dans l’embarras vis-à-vis de son employeur. Ces cabinets n’hésitent pas à mettre la pression sur les clients pour payer leurs créances, souvent majorées sans que le débiteur ne puisse contester, d’un seul coup pour éviter des poursuites judiciaires et un long et couteux parcours dans les tribunaux.
Cela va sans dire que dans d’autres cas, les mises en demeure qui parviennent aux clients qui ne payent pas leurs créances sont livrées sans enveloppe pourvu qu’il y ait quelqu’un qui signe l’accusé de réception, soit-il même un invité, pour qu’il prenne connaissance aussi bien du nom du client, de son compte bancaire et de sa situation vis-à-vis de la banque. Une situation qui tombe, rappelons-le, sous le coup du secret bancaire.
Le top est que certains établissements financiers, pour obtenir leur argent, peuvent faire appel à deux cabinets de recouvrement donc la « tête » du client est deux fois mise à prix au sens littéral du terme.
Bank Al-Maghrib va bientôt sévir !
Comme expliqué plus haut, les cabinets de recouvrement opèrent en dehors du cadre légal, non pas parce qu’ils violent à outrance la loi bancaire et celle des données à caractère personnel, mais parce qu’il n’en existe pas tout simplement.
En France par exemple, le recouvrement des créances est une activité strictement réglementée puisqu’il s’agit de récupérer de l’argent auprès d’un débiteur au nom et pour le compte d’un créancier. Aussi, les personnes chargées du recouvrement amiable des créances sont régies par le chapitre IV, de l’article R124-1 à l’article R124-7, du Code des procédures civile d’exécution.
La Belgique est allée encore plus loin en spécifiant les pratiques à bannir par les personnes en charge du recouvrement à l’amiable.
Au Maroc, le régulateur, Bank Al-Maghrib a mis en place plusieurs voies de recours permettant aux personnes lésées de dénoncer les manquements observés auprès de leur établissement de crédit, y compris dans le cadre du recouvrement et ce, dans un souci de renforcement de la protection du consommateur et de la clientèle des établissements de crédit.
Contactée par nos soins, la Banque centrale nous rappelle que les personnes lésées peuvent déposer leurs réclamations respectivement auprès de leurs établissements de crédit, auprès du Centre Marocain de Médiation bancaire ou auprès de Bank Al-Maghrib, conformément aux dispositions légales et réglementaire en vigueur.
Mieux encore, Bank Al-Maghrib nous a informé qu’elle s’apprête à lancer une étude sur les activités de recouvrement des créances dans la perspective d’examiner la mise en place d’un régime juridique encadrant ces activités.
« Bank Al-Maghrib compte, en coordination avec les associations professionnelles, mettre en place un Code d’éthique à adopter par les établissements de crédit pour fixer les bonnes pratiques à observer dans le recouvrement des créances soit directement soit à travers des prestataires », répond-on.
La Fédération nationale des associations de protection des consommateurs, un allié de taille
Mais en attendant que le cadre réglementaire se mette en place, il est important pour tout débiteur de ne pas céder à la panique et prendre connaissance de ses droits et obligations. Dans ce sens, la Fédération nationale des associations de protection des consommateurs (FNAC), s’avère un allié de taille puisqu’elle conseille et accompagne les personnes qui déposent des réclamations auprès d’elle.
Son secrétaire général, Ouadi Madih, n’est pas surpris lorsque dans le cadre de cet article nous lui décrivons le caractère ubuesque des méthodes utilisées par certains cabinets de recouvrement.
« Ces sociétés sont engagées par les banques pour le recouvrement de dettes qui sont parfois très anciennes ainsi que de créances qui ont dépassé les cinq années voire plus. Nous avons eu des réclamations de gens qui ont été même menacées de poursuite s’ils ne paient pas des ardoises datant de vingt ans avant alors que les comptes sont censés être clôturés par les banques », décrit-t-il.
Mais le plus important à savoir est comment réagir lorsqu’un débiteur est dans le collimateur d’un cabinet de recouvrement.
« En tant que fédération, nous opérons à travers les guichets au nombre de 20, qui reçoivent les réclamations mais assurent également l’accompagnent des consommateurs dans leur démarche, notamment auprès de la Commission nationale de protection des données à caractère personnel jusqu’à ce que leur requête soit acceptée, une enquête déclenchée et qu’une décision soit prise dans ce sens », poursuit-il
En effet, comme il le constate, certains cabinets disposent de données personnelles et certains n’hésitent pas à recourir à des méthodes pas réglementaire pour obtenir des informations comme le titre foncier.
Or, la loi interdit le traitement des données sans le consentement des clients, obligeant l’entreprise ou la personne qui utilise ces données à se conformer à certaines procédures de la CNDP. Cette étape est juste zappée par les cabinets de recouvrement. Pour s’en assurer, un client peut faire une réclamation au niveau de la CNDP en téléchargeant un formulaire sur le site et cette dernière ouvrira une enquête et verra si effectivement l’agence dispose de l’autorisation et l’agrément justement concernant le traitement des personnes lésées et prendra les décisions nécessaires, révèle Ouadi Madih.
Toujours est-il que le Secrétaire général de la FNAC appelle les consommateurs à être plus vigilants et vérifier tous les documents qu’ils signent avant de s’engager dans un crédit ou ouvrir un compte bancaire parce que certains établissements peuvent glisser un document que le client signe sans se rendre compte et engage sa responsabilité notamment en autorisant le traitement de ses données.
« Aussi, les consommateurs peuvent-ils nous joindre sur un numéro national 0522244748 ou faire directement une réclamation en téléchargeant l’application MobiConso pour déposer leur plainte sur la plateforme de la fédération », explique-t-il.
Ces guichets Consommateurs apportent soutien, conseil d’orientation et accompagnement dans le règlement des créances. Cependant, la mission de la FNAC se limite pour le moment au règlement à l’amiable.
« Pour aller au-delà, il nous fait des autorisations d’ester en justice pour les associations. D’ailleurs l’une des associations membres de la fédération a déposé une demande dans ce sens depuis le 29 août 2019, sans obtenir de réponse à ce jour, bien que le texte, conjoint entre le ministère de l’industrie et celui de la justice, règlemente ce droit d’ester en justice entré en vigueur depuis mai 2018 », déplore Ouadi Madih.
Ce texte réglementaire prévoit l’obligation du département ministériel de la justice de répondre à l’association dans un délai de soixante jours à partir du dépôt du dossier. Valeur aujourd’hui, cette association n’a pas eu l’autorisation d’ester en justice et n’a pas aussi reçu de refus. Et comme il est connu au niveau de la législation marocaine, une non-réponse dans le délai réglementaire équivaut approbation.
« Mais là n’est pas l’objectif. Cette association ne veut pas ester en justice pour le plaisir mais provoquer une prise de conscience du département de la Justice à ces problématiques et autoriser cette association à exercer librement son droit tel quel la loi le définit.
Malheureusement, nous constatons avec regret que l’administration et département ministériels ne respectent pas leur engagement ce qui impacte très négativement nos conditions de travail et d’accompagnement des consommateurs lésés », conclut-il.
Force est de reconnaître qu’il y a un gap entre les textes et la pratique qui doit être comblé pour éviter que les droits des consommateurs soient bafoués à outrance.