Écrit par Imane Bouhrara I
L’un des objectifs chiffrés de l’exécutif actuel est de faire intégrer l’économie du Maroc dans le top 50 du classement Doing Business. Un objectif qui peut être atteint en 2021, mais pour quelle finalité ? Un programme quinquennal couvrant la période 2021-2025 serait dans le pipe.
Grâce à l’accélération du commerce transfrontalier, à l’introduction du paiement électronique pour les frais de port, à l’organisation de la dématérialisation des formalités douanières et à la prolongation des horaires d’ouverture des ports, le Maroc a pu améliorer son classement Doing Business en 2020, passant en dix ans seulement de la 128ème à la 53ème place quoique le pays accuse du retard en matière de transferts de propriété, de règlement de l’insolvabilité et plus particulièrement d’obtention de prêts.
Le Maroc est d’ailleurs dans le trio de tête de la région MENA juste après les Emirats Arabes Unis (16ème) et le Bahreïn (43ème) et loin devant l’Arabie Saoudite (62ème), la Jordanie (75ème), la Tunisie (78ème), l’Egypte (114ème) et l’Algérie (157ème).
C’est à se demander in fine à quoi rime l’amélioration de ce classement pour notre économie ?
Le cas de l’Egypte est le plus éloquent puisque c’est l’une des rares économies à avoir réalisé une croissance positive en 2020, sans pour autant avoir un classement reluisant dans le Doing Business qui se veut le baromètre de la Banque mondiale sur la réglementation et la facilité des affaires.
C’est à se demander s’il existe une réelle corrélation entre la réglementation des affaires et les perspectives de croissance et de développement d’une économie ?
Mieux encore, l’Egypte est la première destination des IDE en Afrique en 2020 avec 5,5 milliards de dollars sur les 38 milliards de dollars cooptés par le continent. Suivie du Nigéria et de l’Afrique du Sud, respectivement classées 131ème et 84ème dans le Doing Business 2020.
Aussi, les économies qui obtiennent de bons scores dans Doing Business ont-elles tendance à bénéficier de niveaux d’activité entrepreneuriale plus élevés et de niveaux de corruption plus faibles. Ce qui n’est pas réellement le cas du Maroc. En 2020, le classement du Maroc en matière de corruption s’est détérioré de six places et un point par rapport à 2019, avec un score de 40 sur 100, et est classé 86 sur 180 pays.
Dans ce sens, la Jordanie et la Tunisie mieux classées que le Maroc sur l’indice de la corruption, sont mal classées que le Royaume dans le classement Doing Business.
Pour ce qui est de l’activité entrepreneuriale, la mortalité des entreprises pose un réel problème au Maroc, et la Covid-19 a accentué la tendance. Il s’agit d’une véritable purge !
Malgré tous ces éléments, le Maroc s’est inscrit comme objectif sacro-saint d’intégrer le top 50 du Classement Doing Business. Un objectif cité dans quasiment tous les discours et dont s’enorgueillissent nos responsables au point même que le Maroc envisage d’élaborer un programme quinquennal couvrant la période 2021-2025.
Un objectif qui peut être atteint dès 2021, bien que l’étude Doing Business ait introduit un nouvel indicateur pour évaluer l’efficacité, la qualité et la transparence du système des marchés publics dans le monde. Cet indicateur sera intégré dans le classement Doing Business 2021, qui n’a toujours pas été publié, le classement dans son ensemble devant subir un audit approfondi (rapports entre 2016 et 2020).
En décembre 2020, la Banque mondiale s’était engagée à publier le rapport 2021, probablement à la mi-2021.
Autre incertitude qui plane est que le Doing Business mesure les réglementations concernant 12 domaines du cycle de vie d’une entreprise, or, avec la Covid-19, le secteur privé fait face à une crise profonde.
Quitte à être obsédé par Doing Business, autant avoir une démarche structurée
Il faut signaler que le classement Doing Business a eu un rôle moteur dans l’amélioration du climat des affaires au Maroc. Et la feuille de route 2021-2025 vise à asseoir une démarche structurée pluriannuelle d’amélioration du climat des affaires qui bute toujours sur de nombreux freins.
« Cette nouvelle stratégie devrait tenir compte de certains événements perturbateurs de grande ampleur qui risquent de devenir de plus en plus fréquents à l’avenir. L’exemple de la Covid-19, tout comme celui de la dernière crise financière, sont révélateurs à cet égard. Ces chocs systémiques ont mis les entreprises et les responsables économiques face à une situation inédite induite par des phénomènes imprévisibles, soutiennent les conjoncturistes.
En effet, le CMC soutient que le plan d’action en cours de configuration par la Commission Nationale du Climat des Affaires, répond à certaines questions importantes que se posent les entreprises.
Il s’agit, en priorité, de l’amélioration de la plateforme de simplification des procédures de gestion des réclamations émanant des opérateurs (e-régulation), de la généralisation d’un échange de données informatiques, de l’évaluation de l’application de la loi relative aux sûretés mobilières, de la mise en place du Registre national des nantissements, de la poursuite des efforts en matière de simplification et de dématérialisation des procédures administratives, et enfin la création de guichets uniques.
Cette démarche vise, par ailleurs à renforcer la gouvernance économique et à réduire la taille du secteur informel.
Pour les conjoncturistes, une telle ambition nécessite l’implication du gouvernement, des autorités locales, du secteur privé et de la société civile pour réaliser des avancées tangibles vers une économie plus ouverte, transparente et inclusive et doter les unités productives nationales de moyens leur permettant d’agir rapidement et efficacement face à des scénarios exceptionnels comme ceux occasionnés par la covid-19.
Mais la question majeure demeure, comment créer une corrélation entre l’amélioration de ce score Doing Business et le développement économique et social réel du pays ?
Mieux, à quoi sert d’être un bon élève de ces institutions, alors que les cancres de la classe tirent leur épingle du jeu en attirant les investisseurs, créant de la croissance et des emplois ?
Ou est-ce à la Banque mondiale de revoir ses indicateurs d’analyse ?
Autrement il n’y a pas, pour le Maroc, de quoi se flatter de cet exploit au prix de réformes coûteuses sans rien en retour !
Il vaudrait mieux pour le Maroc de soutenir et renforcer son économie, notamment en mobilisant l’investissement en faveur du secteur privé, en assurant transparence et efficience aux marchés publics et en faisant de la commande publique un outil de développement aussi bien social économique qu’environnemental.
En réalité, Doing Business n’est que l’arbre qui cache la forêt « climat des affaires » sur lequel le pays a encore du pain sur la planche en l’absence d’une fiscalité attractive et stable, d’une réglementation favorable à l’investissement tout en intégrant les dimensions technologique, environnementale et sociale.
Certes le pays a mené plusieurs réformes, qui peut-être satisfont des organismes internationaux, mais tout en ayant un impact limité sur la croissance économique du pays.
L’enjeu pour le Maroc est de faire le tri dans ses choix et priorités économiques, entre répondre aux besoins réels de l’économie et des citoyens, ou continuer à se flageller pour les beaux yeux d’indicateurs sommes tout abstraits.