Dans son dernier baromètre trimestriel, l’assureur de crédit Coface s’est attelé sur la problématique des défaillances en 2020 en faisant le focus sur les entreprises zombies ayant bénéficié de mesures de soutien pour faire face à la plus forte récession depuis 1946.
Il rappelle ainsi que banques centrales, avec, à la fois, des baisses de taux d’intérêt directeurs et des programmes d’achat d’actifs (y compris dans certaines économies émergentes) ont contribué à faciliter l’accès des entreprises aux financements à des conditions favorables.
Les mécanismes de prêts garantis mis en place rapidement par de nombreux gouvernements ont aussi joué un rôle, ces prêts, et autres soutiens à la liquidité ou injections de capitaux des États ou d’autres acteurs du secteur public représentant 6 % du PIB mondial à la fin du 3e trimestre 2020 d’après le FMI. Les entreprises ont également bénéficié d’une partie des mesures de relance budgétaires engagées par les gouvernements afin d’atténuer les effets de la crise. En dehors de la baisse de recettes et de l’augmentation de dépenses liées à la récession (stabilisateurs automatiques), les reports ou annulations du paiement d’impôts et charges, ou encore les mesures de chômage partiel, représentaient aussi environ 6 % du PIB mondial.
Pour les entreprises, le soutien est d’autant plus fort que sa structure est différente : quand des plans d’investissement en infrastructure étaient privilégiés après la crise de Lehman, il s’agit davantage, cette fois-ci, d’aides directes aux entreprises. Et, enfin, les amendements temporaires aux procédures de défaillance d’entreprises, en particulier en Europe, ont aussi permis d’éviter des faillites. Au final, malgré la plus forte récession mondiale depuis 1946, le nombre de défaillances d’entreprises a reculé dans la plupart des pays en 2020 et dans toutes les régions : -22 % en zone euro, -19 % en Asie Pacifique et -3 % en Amérique du Nord. Le nombre de défaillances dans le monde a été l’année dernière 12 % plus bas qu’en 2019.
Des entreprises ont donc été sauvées en s’endettant à des conditions favorables sur les marchés obligataires et/ou via les prêts bancaires classiques et ceux garantis par les États, profitant de l’effet d’aubaine, alors qu’elles auraient fait faillite sans cette crise.
Sans ces mesures de soutien gouvernementales, nous estimons que les défaillances auraient augmenté de 36 % dans le monde en 2020. Mais si le recours accru à l’endettement a permis d’éviter beaucoup de défaillances, cette montée de l’endettement des entreprises dans un contexte de taux d’intérêt bas et d’activité économique en berne fait craindre la multiplication d’entreprises « zombies », c’est-à-dire toujours en vie, mais trop endettées pour investir et croître.
La Banque des Règlements Internationaux (BRI) recensait d’ailleurs déjà 16 % d’entreprises zombies en France en 2017, contre seulement 4 % en 1990, et 22 % contre 3 % au Royaume-Uni. En Italie, elle rapportait 15 % d’entreprises zombies contre anciennement 2 %, en Espagne 13 % contre 6 %, et en Allemagne 10 %. Même constat aux Etats-Unis: 18 % des entreprises étaient considérées comme zombies en 2017 contre 9 % en 1990. En Europe, Coface estimait il y a trois ans que 4,6 % d’entreprises en France pouvaient être considérées comme zombies en 2016, 3,7 % en Allemagne, 5,3 % en Italie et 6,2 % en Espagne. Ces chiffres diffèrent de ceux de la BRI, les critères retenus étant différents. Si le niveau de ce ratio dépend du périmètre retenu, les études existantes s’accordent à dire que le nombre de ces entreprises a augmenté ces dernières années. La crise actuelle va-t-elle accélérer ce processus ?
Apparu au Japon dans les années 1990, ce phénomène d’entreprises zombies était entretenu par les banques qui, dans la nécessité de renouveler des lignes de crédit à ces entreprises stagnantes pour ne pas enregistrer de perte à leur bilan, consacraient trop peu de ressources aux jeunes entreprises en forte croissance, altérant ainsi le processus de destruction créatrice. Si le faible nombre de défaillances, les taux bas et la montée de l’endettement des entreprises laissent penser qu’il y a effectivement davantage d’entreprises zombies et ainsi un risque accru de « japonisation », d’autres indicateurs sont à regarder pour se faire une idée plus précise
La dynamique de l’investissement donne aussi un indice de l’état d’avancement du processus de « japonisation » d’une économie, les entreprises « zombies » étant généralement trop endettées pour en réaliser. De ce côté-là, les perspectives pour 2021 semblent plus mitigées. Certes, l’investissement s’est contracté fortement en 2020, mais l’ampleur de sa baisse n’a pas, d’après Coface, été aussi forte que celle observée en 2009 aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie et en Espagne. En France, l’ampleur de la baisse de l’investissement et celle du PIB devraient avoir été proches l’une de l’autre.
Le choc sur le PIB a pourtant été plus marqué en 2020. Il ne semble donc pas y avoir eu d’effet multiplicateur de la croissance sur l’investissement, contrairement à une récession « classique ». Toutefois, malgré une reprise partielle cette année, Coface n’anticipe pas un retour de l’investissement à son niveau d’avant crise dans les principales économies matures.
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