Ecrit par Imane Bouhrara |
La douloureuse défaite de l’équipe nationale de Football face à son homologue égyptienne n’a pas fini de faire des remous. Récemment, l’association nationale des avocats du Maroc a envoyé une missive à la présidente de la Cour des comptes pour auditer les finances de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). Mais que vaut au final ce courrier ?
La défaite de la sélection nationale de football ce dimanche face à l’Egypte au titre du quart de finale de la CAN ne passe pas. Une défaite exacerbée sur les réseaux sociaux où l’on ne demande ni plus ni moins que le départ du président de la Fédération royale marocaine de football, du sélectionneur national et de son conseiller, accusés de tous les maux de la discipline. Il faut dire que ce n’est pas la première volée de bois vert qu’essuie la fédération.
Si les réactions vont de la plus modérée aux excès les plus virulents, l’affaire est sortie des réseaux sociaux lorsque l’association nationale des avocats du Maroc a adressé une demande à la présidente de la Cour des comptes pour auditer les finances de la FRMF.
Une action qui a provoqué des réactions mitigées puisque les uns estiment que cela relève du populisme, alors que certains estiment que dans le fond une association n’est pas habilitée à faire une telle demande, d’autres soutiennent cette initiative qui entre dans le cadre de la reddition des comptes et appellent la Cour des comptes à prendre son courage à deux mains pour vérifier la transparence de la gestion de la FRMF, de ses finances et le respect de la bonne gouvernance au sein de ses murs.
Dans la forme, il n’est pas hasardeux de dire que cette missive n’a aucune valeur obligatoire. En effet, en matière de discipline budgétaire et financière, la Cour des comptes ne peut être saisie que par le Procureur Général du Roi, de sa propre initiative ou à la demande du Premier Président ou d’une formation de la Cour, en cas de découverte d’infractions qui relèvent des compétences de la Cour en matière de discipline budgétaire et financière.
La saisine peut être également faite par le Premier Ministre (Chef du gouvernement), le Président de l’une des Chambres du Parlement, le Ministre des Finances et les Ministres concernés et ce par l’intermédiaire du Procureur Général du Roi près la Cour des comptes et sur la base de rapports de contrôle ou d’inspection, appuyés de pièces justificatives.
Et autant dire que le Chef du gouvernement a pris les devants en déclarant devant la Chambre des représentants le soutien du gouvernement à l’équipe nationale. Son allocution manquait d’argument certes mais il a néanmoins refroidi toute velléité du législatif, particulièrement l’opposition, à fourrer son nez dans ce dossier et faire de la récupération.
Mais dans le fond, la lettre de l’association n’est pas dénuée de sens puisque la Cour des Comptes est habilitée à contrôler la gestion financière de la FRMF au moins pour 2 raisons nous explique un juriste. La première raison est que le contrôle des associations entre dans le périmètre des attributions de la Cour des Comptes.
Faut-il rappeler que l’institution présidée par Zineb El Adaoui s’était déjà livrée à cet exercice en 2015 lorsqu’elle a saisi toutes les associations y compris celles reconnues d’utilité publique dont le nombre s’élevait à 214, qui bénéficient d’aides et de soutiens ou de fonds collectés par appel à la générosité publique, en vue de lui communiquer les situations et les états financiers et comptables détaillés afférents aux exercices 2009 à 2014, dans la perspective de l’élaboration d’un diagnostic relatif au financement des associations au Maroc.
Et ce en vertu de la Constitution de 2011, notamment les dispositions relatives aux associations, et faisant suite à la circulaire du Chef du Gouvernement, n °2/2014 en date du 5 mars 2014 relative au contrôle de l’emploi des fonds publics, et dans le cadre de l’assistance au gouvernement tel que le dispose l’article 148 de la Constitution, ainsi que les attributions dévolues à la Cour des comptes conformément au Code des juridictions financières.
Ce même exercice a été répété en 2019 avec les associations sportives.
La deuxième raison qui habilite la Cour des comptes à faire cet exercice avec la FRMF est que cette dernière est financée en partie, pour près du quart des 800 MDH, recettes annuelles de la FRMF, par des fonds émanant d’organismes publics, notamment la Banque Centrale, la CDG et l’OCP… abstraction faite des droits de retransmission versés par le pôle audiovisuel public représenté par la SNRT.
D’autres considérations habilitent également la Cour des comptes à exercer cet audit. D’abord parce que le sport est considéré comme un service public, surtout le Football. D’ailleurs, l’Article 22 de la loi n° 30-09 relative à l’éducation physique et aux sports dispose « Les fédérations sportives participent à l’exécution d’une mission de service public ». Que dire lorsque le drapeau marocain est en jeu.
L’article 23 stipule que les statuts de ces fédérations doivent comporter des dispositions qui tendent notamment à garantir le fonctionnement démocratique de la fédération ; à l’organisation de la tenue de la comptabilité et à la publication des rapports moral et financier annuels, entre autres.
Aussi, les fédérations, les ligues professionnelles, les ligues régionales et les associations sportives bénéficiant de ce concours, sont-elles tenues de soumettre des rapports financiers annuels aux donateurs, comme précise l’article 82 de ladite loi.
Dans ce sens, la FRMF est soumise aux mêmes dispositions légales qui sont stipulés par ailleurs dans ses statuts tels que modifiés, complétés adoptés par l’Assemblée Générale le 21 avril 2021.
Notamment la commission d’Audit interne qui veille à garantir la conformité et la fiabilité des comptes et vérifie les rapports des réviseurs externes au nom du Comité Directeur de la FRMF.
Pour sa part la Commission des Finances supervise la gestion financière de la FRMF et conseille le Comité Directeur sur les questions financières et de gestion du patrimoine. Elle analyse le budget et les comptes annuels de la FRMF préparés par le Secrétaire Général et les soumet au Comité Directeur pour approbation.
Les comptes et les activités de la fédération sont audités annuellement par un commissaire aux comptes inscrit à l’ordre des experts comptables et qui ne doit pas être adhérent à la Fédération. Aussi, les rapports financiers et moraux en plus d’être certifiés par un commissaire aux comptes, sont-ils publiés.
Donc tous les éléments sont en principe à la disposition aussi bien du grand public que des organismes contributeurs que ceux sensés veiller à leur conformité. Mais là n’est pas la question puisque la conformité des chiffres n’est pas la seule chose remise en doute.
En effet, si avec son courrier l’association nationale des avocats du Maroc ne peut saisir la Cour des comptes, elle pointe des doigts la gouvernance au sein de la FMRF et invite la Cour des comptes à identifier les points de faiblesses qui expliqueraient les mauvaises performances malgré le budget pharamineux de la fédération comparativement à d’autres pays qui malgré leur manque de moyens remportent des consécrations.
L’intérêt de cette missive bien qu’elle n’en fait pas mention, invite en fait la Cour des comptes à s’intéresser au sujet et à s’autosaisir.
En effet, dans le cadre de sa mission d’ordre public, la Cour des comptes peut s’autosaisir bien que cette activité est très rare. A titre d’exemple, sur l’exercice de 2003-2004, sur 61 dossiers, on ne dénombre que 5 auto saisines. Ce n’est pas impossible donc, mais très rare et cela intervient dans des cas précis avec des éléments probants ou des faits graves, sur des sujets qui cristallisent l’opinion publique.
En réalité donc, rien ne l’y oblige sauf la pression de l’opinion publique pour rétablir le principe de la reddition des comptes et les principes de bonne gouvernance inscrits dans la Constitution.
Mais les chances de faire actionner une telle procédure par un simple courrier sont très minimes puisque la Cour des comptes n’a pas réagi aux accusations très graves portées à la FRMF par certains de ses anciens cadres et même sélectionneurs, notamment sur l’absence de la méritocratie et sur les salaires pharamineux versés au personnel de la fédération et qui dépassent souvent ceux des députés et des ministres et dans certains cas les PDG de grandes firmes privées.
La défaite du Maroc face à l’Egypte en 2022 n’est pas sans rappeler sa défaite devant le Bénin en 2019 et bien d’autres casseroles que traîne le sport national de manière générale. Les Marocains sont déçus mais il n’est pas sûr que la Cour des Comptes sensée être à l’écoute de son environnement, réponde à leurs (nièmes) doléances !