Lors des précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes (IGOC) régissant les produits financiers dérivés. Les explications données par O. Bakkou nous ont permis de saisir les spécificités de cette règlementation. Ces spécificités ont trait au fait que les produits financiers dérivés font l’objet d’un encadrement règlementaire assez strict. Cet encadrement soulève la question naturelle concernant la pertinence économique de ce cadre règlementaire. Cette question fera l’objet du présent entretien avec O. Bakkou.
EcoActu.ma : Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les produits financiers dérivés ?
Omar Bakkou : Les dispositions de la règlementation des changes régissant les produits financiers dérivés sont consignées dans une section de l’Instruction Générale des Opérations de Change-24(l’IGOC-24), intitulée « Instruments de couverture ».
Cette section définit, d’une part, les opérations relatives aux produits financiers dérivés librement réalisables entre le Maroc et l’étranger, et, d’autre part, les modalités de réalisation de ces opérations.
Ces deux composantes de la règlementation des changes applicable aux instruments de couverture soulèvent bien évidemment la question concernant leur pertinence.
Pour la réponse à cette question, il serait judicieux d’analyser séparément la pertinence de chacune de ces composantes.
Quelle est votre analyse concernant la pertinence économique des dispositions relatives aux produits financiers librement réalisables en vertu de la règlementation des changes ?
A l’instar de toutes les transactions économiques, les opérations relatives aux produits financiers dérivés peuvent en principe faire l’objet d’échanges extérieurs entre le Maroc et l’étranger.
Ces échanges peuvent logiquement être effectués dans le sens suivant :
-Les résidents vendent des produits financiers dérivés aux non-résidents ;
-Les résidents achètent des produits financiers dérivés auprès de non-résidents.
Ces opérations ne peuvent pas, dans la réalité, être effectués librement, au regard des dispositions de la règlementation des changes.
En effet, cette règlementation ne permet pas aux entités résidentes de vendre des produits financiers dérivés aux non-résidents.
En revanche, ladite règlementation permet aux entités résidentes d’acheter des produits financiers dérivés auprès des non-résidents, mais sous des conditions bien déterminées.
Ces éléments suggèrent ainsi que le cadre règlementaire régissant les produits financiers dérivés est un cadre pouvant être qualifié comme étant :
-totalement restrictif pour les « opérations de vente de produits financiers dérivés par les résidents aux non-résidents » ;
-partiellement restrictif pour les « opérations d’achat de produits financiers par les résidents auprès de non-résidents ».
Ce cadre règlementaire est, de mon point de vue, impertinent.
Pourquoi ?
Les raisons différent selon qu’il s’agit d’«opérations de vente de produits financiers dérivés par les résidents aux non-résidents » ou d’ « opérations d’achat de produits financiers par les résidents auprès de non-résidents ».
Quelles sont les raisons que vous avancez pour qualifier comme étant impertinent le cadre totalement restrictif prévu en matière d’«opérations de vente de produits financiers dérivés par les résidents aux non-résidents »?
En principe les produits financiers dérivés sont vendus par les banques.
Ces dernières s’engagent à l’occasion de la vente des produits précités aux entités non-résidentes à verser des devises à ces entités en cas de réalisation du risque couvert.
Cet engagement impacte la position de change des banques en question, laquelle position demeure règlementée par la règlementation prudentielle de la Banque centrale.
Cette réglementation habilite les banques à contracter un certain nombre d’engagements avec l’étranger dans la limite de certains seuils (la position de change ne doit pas dépasser 20% de leurs fonds propres).
Ces éléments suggèrent que les opérations de vente de produits financiers dérivés par les banques aux non-résidents (offre de couverture aux non-résidents) doivent en principe bénéficier d’un cadre libéral dans le cadre des limites fixées par la règlementation prudentielle.
Et quelles sont les raisons que vous avancez pour qualifier d’impertinent le cadre partiellement restrictif prévu en matière d’«opérations d’achat de produits financiers dérivés par les résidents auprès de non-résidents » ?
L’analyse des dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations « d’achat de produits financiers dérivés par les résidents auprès de non-résidents » permet de relever que cette règlementation se caractérise par un cadre libéral conditionnel.
Ce constat se fonde sur l’idée que ces dispositions permettent aux entités résidentes d’acheter des produits financiers dérivés auprès des non-résidents, mais sous trois conditions bien déterminées.
Ces conditions présentées de manière détaillée dans le précédent entretien soulèvent bien entendu plusieurs questionnements concernant leur pertinence.
Toutefois, il convient préalablement à l’analyse de la pertinence de ces conditions de s’interroger sur une question fondamentale concernant le périmètre de la règlementation des changes. Autrement dit faudrait-il que la règlementation des changes se mêle de l’encadrement règlementaire de cette opération financière bancaire ou plutôt qu’elle transfère cette compétence à la règlementation prudentielle ?
De mon point de vue, cette compétence doit être transférée à la règlementation prudentielle, et ce, afin d’harmoniser les dispositions de la règlementation des changes régissant les produits financiers dérivés avec celle relatives aux placements financiers des banques.
En effet, cette dernière disposition autorise les banques à effectuer des opérations de placement à l’étranger, c’est-à-dire des opérations financières, et ce, conformément aux modalités et conditions fixées par Bank al Maghrib.
Ces modalités et conditions définies par une circulaire de Bank Al Maghrib fixent, d’une part, le montant maximum pouvant être investi à l’étranger par les banques (la position de change ne doit pas dépasser 20% de leurs fonds propres), et d’autre part, les types d’instruments financiers pouvant être acquis par ces entités.
Ces instruments doivent en principe, pour des raisons de cohérence, inclure ceux relatifs aux produits financiers dérivés.
Ces éléments suggèrent que les opérations « d’achat de produits financiers dérivés par les banques auprès de non-résidents » (demande de couverture auprès de couverture aux non-résidents) doivent en principe bénéficier d’un cadre libéral dans le cadre des limites fixées par la règlementation prudentielle.