Si la privatisation tend à accélérer la croissance économique, cela ne colle pas avec le cas de la Mamounia. Les détails.
Élaborer un projet de Loi de Finances dans un contexte contraignant aussi bien au niveau national qu’international n’a pas été une sinécure pour l’équipe au pouvoir. Ajoutons à cela que, conformément aux orientations royales, ledit PLF se veut à forte connotation sociale. Rien que l’Enseignement et la Santé vont absorber un budget de 6,9 Mds de DH. Face à la multiplicité des besoins, l’étau se resserre et le gouvernement se retrouve avec un besoin de financement du Trésor de 27 Mds de DH. D’où la question : comment combler ce gouffre financier ? Dans sa présentation du Projet de Loi de Finances 2019, le ministre de l’Economie et des Finances, Mohammed Benchaâboun, a expliqué que le financement de ce besoin va se faire par le biais des recettes fiscales, l’amélioration de la gouvernance des entreprises publiques et les privatisations avec un montant de 5 Mds de DH. L’Etat va ainsi céder quelques bijoux de famille.
Un Conseil de gouvernement se tiendra demain jeudi 8 novembre sous la présidence du Chef du gouvernement, Saâd Dine El Otmani. Au début de ses travaux, le Conseil examinera un projet de loi modifiant et complétant la loi autorisant le transfert d’entreprises publiques au secteur privé.
Entre autres privatisables, on y trouve dans le projet y afférent, l’hôtel La Mamounia détenu par l’ONCF à hauteur de 62%, par le Conseil de la ville de Marrakech 26% et par la CDG 12%. Donc le projet de privatisation portera sûrement sur les 62% détenus par l’ONCF.
Cette privatisation va s’opérer conformément à l’article 1 de la loi 39-89 autorisant le transfert des entreprises publiques au secteur privé qui stipule : «… sera transféré du secteur public au secteur privé :
- La propriété des participations détenues dans les sociétés, figurant au tableau 1 annexé à la présente loi, par L’État, les établissements publics, les sociétés dont le capital est détenu en totalité par L’État ou les sociétés concessionnaires des services publics ; … ».
Comment l’Etat peut-il prétendre dès lors à 5 Mds de DH ?
Au-delà des modalités de l’opération (totale ou partielle), de la nature des acquéreurs (nationaux ou étrangers), d’autres questions restent en suspens. En effet, avant de procéder à une cession, tous les efforts doivent être consentis pour redresser la situation et restructurer l’entreprise objet de la vente. Le but n’étant pas de céder au privé une entreprise en difficulté, qui risque de générer des problèmes. Au contraire, la politique de privatisation tend à accélérer la croissance économique par la dynamique du secteur privé. Elle doit être à même de favoriser la création d’emplois nouveaux. Bien que ces effets ne peuvent être immédiats.
Or si l’on prend le cas précis de La Mamounia, les derniers chiffres en notre possession montrent qu’au titre de l’exercice 2016, le résultat net déficitaire est de 3,64 MDH contre un déficit de 44,54 MDH au terme de l’année 2015. L’amélioration enregistrée entre 2015 et 2016 s’explique essentiellement par un événement exceptionnel, en l’occurrence la cession d’éléments de patrimoine. Cette cession s’est traduite par une recette de 74 MDH. Autrement dit, la performance affichée ne peut être mise à l’actif de l’exploitation, mais due à un événement non récurrent. La Mamounia n’a donc pas rompu avec l’ère des déficits.
La multiplicité des résultats déficitaires au cours des dernières années a conduit le management de l’hôtel à renflouer la situation nette en procédant au cours de l’exercice 2016 à une augmentation du capital de l’ordre de 40,266 MDH. Cette opération s’est traduite également par la restructuration de l’endettement de l’hôtel vis-à-vis des associés.
Autre écueil et pas des moindres est celui de l’endettement à long terme qui se chiffre à fin 2016 à 455 MDH. Quant à l’endettement à court terme, il se hisse à 94 MDH à la même période.
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Si l’on se fie aux seuls éléments bilanciels, la question qui se pose d’emblée c’est : comment argumenter et appuyer cette cession et faire adhérer le secteur privé à ce projet ?
En effet, l’examen de la situation révèle qu’à travers cette opération, l’Etat vise la préparation de l’éventuelle privatisation de l’Office national des chemins de fer (ONCF). La cession de La Mamounia ne serait en fait qu’un outil et pas une fin en soi.
Cette opération se veut également une réponse des instances compétentes aux remarques de la Cour des comptes, qui dans un rapport sur l’ONCF en 2015 souligne : « l’Office dispose de 18 filiales et participations dont neuf sont en exploitation. Les autres sont en liquidation depuis des années. Certaines filiales ont une situation nette négative et participent négativement au résultat consolidé de l’Office ».
Quid de la recette de la privatisation ?
Le produit de la privatisation atterrira partiellement dans les comptes de l’Etat. L’ONCF n’en verra pas un sou. Pis encore, la sortie de cette participation du patrimoine de l’ONCF se traduirait par une charge de l’ordre de 385 Millions de DH qui aggravera les résultats et générera un risque fiscal pour l’Office. En effet, l’administration fiscale ne tolérerait en aucun cas la sortie sans contrepartie d’un actif.
Même après sa sortie, La Mamounia continuera à faire souffrir l’ONCF qui aura du mal à gérer la séparation.