Les transformations de l’Etat se font en très grande partie dans le cadre de la décentralisation des collectivités territoriales. Les finances locales se trouvent donc au cœur des changements et des processus de régulation. Elles sont aujourd’hui particulièrement concernées par la nécessité impérieuse d’assainir l’ensemble des finances publiques et de développer l’économie. A cet égard, l’autonomie financière des collectivités territoriales et leur libre administration (reconnue par la Constitution) prend des formes tout à fait inédites. Ainsi, les finances locales sont prises dans un mouvement inexorable qui les conduit vers une nécessaire réforme de leurs procédures et de leurs techniques.
Annonciatrices d’une crise profonde et de longue durée, les difficultés économiques de la seconde moitié des années 1970 avaient conduit à appréhender l’État comme un problème et les collectivités locales comme une solution. Celui-ci qui avait été magnifié pendant « les Trente glorieuses » s’est alors trouvé frappé de discrédit à l’instar de toutes les grandes structures publiques et privées, le slogan « Small is beautiful » s’étant répandu dans le monde comme une traînée de poudre. C’est à ce moment qu’a commencé à se dessiner d’abord sur le plan intellectuel, puis dans les faits, un processus de profonde transformation de l’État et, disons-le, sa métamorphose, ce processus tendant à conférer une place essentielle à l’autonomie financière des collectivités locales.À travers cette transformation, il s’est produit en définitive un déplacement de la sphère économique vers la sphère administrative et politique avec pour objectif une organisation décentralisée de la société, celle-ci étant posée non seulement comme une voie vers le renouveau économique mais aussi comme le moyen de répondre à la crise des finances publiques d’alors. C’est ainsi, qu’au cours d’un processus ininterrompu d’environ quarante ans, on a assisté à un mouvement continu de déconstruction puis de reconstruction de l’État sans que ce mouvement parvienne à une forme stable intégrant de manière harmonieuse pouvoir central et pouvoirs locaux. À l’inverse de ce mouvement, le développement de la globalisation a amené ces dernières années à reconsidérer l’action de l’État comme pertinente et indispensable. Le contexte actuel ne peut donc être sans conséquences sur le pouvoir financier local. C’est en effet l’autonomie fiscale locale qui est susceptible d’apparaître anachronique compte tenu d’un cadre conceptuel et matériel différent de ce qu’il était il y a près d’une quarantaine d’années. Cette situation, par voie de conséquence, pourrait entraîner une autre conception de l’autonomie financière locale.
En d’autres termes, la question qui se pose est celle de savoir si l’on peut parler d’autonomie financière des collectivités locales lorsque la liberté de gestion des fonds qui leur sont alloués n’est pas associée à un pouvoir fiscal. Ou bien encore, l’autonomie fiscale locale est-elle devenue anachroniquedans un monde globalisé et concurrentiel au sein duquel la compétitivité et la capacité des acteurs à se développer sont liées à l’appartenance à des États forts, performants, ayant résolu le problème de l’intégration de leurs diversités ? De fait, on ne s’est jamais clairement interrogé sur la possible dissociation entre autonomie de gestion et autonomie fiscale.
C’est bien sur ce dernier terrain, celui d’une autonomie financière conditionnée ou non par l’existence d’une certaine autonomie fiscale, et prenant acte que les collectivités locales ne sont plus de simples espaces de gestion depuis de nombreuses années, que se joue l’avenir de la décentralisation.
Il faut aussi souligner que chacun a bien conscience aujourd’hui que non seulement les difficultés financières des États se sont accentuées mais plus encore les besoins des populations, notamment sociaux, se sont accrus et devraient encore s’accroître dans le futur. C’est là à notre sens une raison majeure pour s’interroger avec une extrême attention sur la réforme du système financier local et la nécessité de reconsidérer la question certes difficile de l’autonomie fiscale locale mais également celle, plus rarement identifiée et cependant fragile, de l’autonomie de gestion.Face à un tel constat, il est nécessaire d’adopter une conception intégrée des finances publiques(finances de l’État, des collectivités locales, de la sécurité sociale) et d’en tirer les conséquences pratiques sans pour autant remettre en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales. Il est donc maintenant nécessaire d’instituer des dispositifs de mise en cohérence du système financier public permettant de dégager une logique commune d’évolution des dépenses et des recettes.
Autrement dit, il apparaît désormais que l’autonomie financière locale ne peut plus être envisagée qu’intégrée au sein d’une gouvernance financière publique entendue d’une façon globale.
Par ailleurs, si le nouveau contexte qui est celui des finances locales nécessite bien une approche technique et de gestion, celle-ci n’est certainement pas suffisante. D’une part parce que faire abstraction des implications politiques qui affectent le système financier local et privilégier la gestion sur le sens, induit l’idée – fausse – qu’une rationalisation des institutions par la seule technique est possible. D’autre part, au-delà de la seule gestion décentralisée, les enjeux concernent un mode d’être en société qui suppose certes la compétition mais aussi la solidarité. Car c’est bien la solidarité qui constitue depuis toujours la raison d’être des communautés locales. Aussi la nécessaire approche technique de la gestion financière locale doit-elle toujours s’accompagner d’un intérêt marqué vis-à-vis de la qualité du lien social.
Michel Bouvier
Professeur à l’Université Paris 1 Sorbonne
Directeur de la Revue Française de Finances Publiques
Président de FONDAFIP (www.fondafip.org)