« Ne boudons pas cette grande fête, non d’amitié, mais de compétition entre les nations par l’intermédiaire d’artistes fragiles. Une compétition soumise à des règles, contrôlées par des arbitres, n’est-ce pas, en dernière analyse, l’image de la seule réconciliation entre les peuples compatible avec la nature des collectivités et peut-être de l’homme lui-même[1]? »
Le Football, ce sport universel codifié par de règles depuis plus d’un siècle, est-il seulement un sport où doit primer le Fair-play, à savoir une manière de conduite honnête et sincère dans un simple « jeu », et de tout ce qui en ressort ? Ou bien ouvre-t-il la voie aux identitarismes et à la « vox populi » pour devenir un instrument de propagande politique sur le plan national et d’enjeux et calculs géostratégiques, voire même de crises diplomatiques, sur le plan international ?!
Raymond Aron, l’un des grands théoriciens des Relations Internationales, avait comparé dans son chef d’œuvre « Paix et guerre entre les nations »[2] paru en 1962, les Relations Internationales entre les Etats à celles qui régissent la compétition Footballistique. Il avait aussi écrit avant le début de la Coupe du monde 1982 tenue en Espagne : « Ne boudons pas cette grande fête, non d’amitié, mais de compétition entre les nations par l’intermédiaire d’artistes fragiles. Une compétition soumise à des règles, contrôlées par des arbitres, n’est-ce pas, en dernière analyse, l’image de la seule réconciliation entre les peuples compatible avec la nature des collectivités et peut-être de l’homme lui-même ? ». Cet appel de sagesse pour que ce sport populaire soit le levier d’une réconciliation entre les peuples, ne trouve malencontreusement pas écho au vu de certains événements dramatiques qui ont entaché l’histoire du Football mondial.
Nonobstant, que le Fair-play nous renvoie aux principes d’éthique et de courtoisie prônant dans leur essence le respect de l’adversaire et les règles du jeu, ainsi que la probité et la maîtrise de soi quelque soit le résultat ; les conséquences d’un match de Football ou même l’organisation d’une compétition, nous interpellent malheureusement à plus d’un titre.
En effet, le cas le plus frappant reste celui de la guerre de « Cent Heures » avec ses 2000 morts en 1969, survenue suite au match de barrage entre le Salvador et le Honduras, qui donnait accès à la phase finale de la Coupe du monde 1970. Le Honduras fut envahi par le Salvador à la fin du match.
Le Maroc a été, à maintes reprises, victime des enjeux diplomatiques traduits insidieusement dans l’arène du football. Le dernier incident en date remonte à la campagne houleuse orchestrée par les décideurs du football saoudiens contre le Maroc lors de son postulat pour l’organisation de la Coupe du Monde 2026, et ce à cause de sa position de neutralité vis-à-vis du conflit qui oppose l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis au Qatar. D’ailleurs, certains pays dits « frères » ont clairement voté pour les Etats-Unis contre le Maroc, notamment l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, la Jordanie, le Liban et l’Irak.
Par ailleurs, suite au scandale de la finale de la Champion League africaine qui a opposée l’équipe marocaine du WAC à l’équipe tunisienne l’Espérance au stade Rhadés en Tunisie entachée par un arbitrage partial en faveur des locaux, et suite à la décision de la CAF réunie le 4 juin à Paris de rejouer le match, les médias et les réseaux sociaux tunisiens se sont acharnés sur le Maroc, les Marocaines et les Marocains sans exception.
Insultes et injures incommensurables portant même atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc et au statut du Chef d’Etat marocain ont pullulé sur la toile. Pis encore, la décision de la CAF est instrumentalisée comme une affaire d’Etat par certains responsables tunisiens.
Face à cette instrumentalisation d’un match de foot à des fins politiques, il est utile de rappeler que le monarque marocain avait rendu une visite familiale amicale à la Tunisie en 2014 pour relancer un secteur vital qu’est le tourisme. Rappelez-vous la série noire des attentats qui ont frappé la Tunisie mais qui n’ont pas empêché le Roi du Maroc Mohammed VI de se promener sans protocole avec ses enfants dans les rues de la Tunisie pour donner une image favorable à ce pays voisin et mettre en évidence que la stabilité et la sécurité régnaient tant pour les Tunisiens que pour les touristes. A ce moment, toutes les chaînes de télévisions, les médias et le peuple tunisien louaient ce geste fraternel du souverain marocain.
Aujourd’hui, il est très utile de faire une lecture de l’histoire pour rappeler que le résultat d’un match de football ne peut en aucun cas, d’une part, effacer d’un trait l’histoire de deux nations qui ont conjugué leur destin commun pour lutter contre la colonisation et écrire ensemble une page d’amitié et d’union régionale après les indépendances. Et d’autre part, il ne peut renier les gestes fraternelles entre les deux pays, notamment ceux du Maroc en faveur de la Tunisie au détriment de ses propres intérêts.
Au cours de la période coloniale au Maghreb, c’est dans le cadre de l’Association des Étudiants Musulmans d’Afrique du Nord fondée le 22 février 1937 que va germer l’idée d’une union maghrébine entre le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, comme moyen pour lutter efficacement contre la puissance occupante qu’est la France. A l’instar du panarabisme, les Maghrébins prennent l’élan de la construction maghrébine et envisagent eux aussi une union au sein d’un même État ; ils lancent alors, les fondations du panmaghrébisme[3].
Comme les événements se succédaient à une très vive allure lors de cette période post coloniale dans les pays de l’Afrique du Nord récemment indépendants et qui coïncidaient avec les affres de la guerre d’Algérie, les agressions de la France vis-à-vis de ses ex colonies se faisaient de plus en plus fréquentes, notamment le bombardement de Saquiet Sidi Youssef en Tunisie en février 1958. Le Maroc en guise de protestation, a mis fin à la procédure de conciliation et ordonna à son représentant Abdellatif Filali, de se retirer le 28 février 1958[4] de la commission d’arbitrage.
Il faut dire que les positions du Maroc vis-à-vis des agissements de la France dans la région étaient bel et bien justifiées. D’ailleurs, cette dernière en sus de son conflit avec le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), voulait maintenir son emprise et sa démarche colonialiste concernant la question des frontières entre les différents pays[5]. L’opération « charrue longue » qui survint au mois de juillet 1961, est un témoignage limpide des intentions de la France qui a occupé la ville de Bizerte suite à l’action de la Tunisie pour libérer la base aéronavale française siégeant dans cette ville. Le Maroc fidèle à son action anticolonialiste et son soutien total à ses frères et voisins maghrébins, va encore réagir contre cette agression commise par la France à l’encontre de la Tunisie qui cherchait à libérer une partie de son territoire. Par ailleurs, à côté de l’aide financière et médicale apportée à la Tunisie, le Maroc va conduire le projet de la résolution qui sera adopté par l’AG des Nations unies, le 25 août 1961, à 65 voix pour, 30 abstentions et zéro voix contre, et qui reconnaissait le droit souverain de la Tunisie à demander le retrait de toutes les forces armées françaises qui se trouvent sur son territoire sans son consentement[6].
Pour conclure, le Maroc et la Tunisie sont deux Nations et deux Peuples dont l’amitié est ancrée dans les annales de l’histoire et ne saurait faire les frais de l’excès de zèle irréfléchi de certaines voix à l’issue d’un match de foot. Et si la Tunisie se sent lésée de la décision de la CAF qui recommande de rejouer un « simple » match de football, elle n’a que saisir avec Fair-play le TAS, qui est l’instance juridique internationale responsable de la résolution des conflits sportifs et non politiques, et qui peut soit lui donner raison ; soit battre en brèche ses arguments avancés et déclarer à l’occasion le WAC vainqueur au vue d’un vice de forme caractérisé par l’absence de l’équité entre le match aller au Maroc et le match retour tenu en Tunisie. Et ce, sans faire de la surenchère contre un pays ami et allié, le Maroc, encore moins s’attaquer à ses citoyens et aux symboles de l’Etat.
Ali Lahrichi
Docteur en Droit Public
[1] Raymond Aron, « Confession d'un fan », L'Express, 9 avril 1982. [2] Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, 794 p. [3] Charles-André Julien, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Omnibus, 2002, 499 p., p.26. [4] Ali Lahrichi, Les relations Maroco-françaises : Permanence et Perspectives, Thèse de Doctorat en Droit public, Université Sidi Mohammed ben Abdellah, Fès, 2017. [5] Ibid [6] Berramdane Abdelkhaleq, Le Maroc et l’Occident, Paris, Karthala, 1987,446p., p.135.