La consommation d’électricité n’est pas qu’une grandeur physique mesurable : au Maroc, sa forte corrélation à la croissance économique en fait un moyen, régulièrement utilisé, d’estimer l’évolution du PIB.
En rythme annuel, la demande récente d’électricité de notre pays indique : une inversion de signe de la croissance en mai 2020 (« début d’effet » COVID) rattrapée dans l’autre sens en avril 2021 (« fin d’effet » COVID) suivis d’un maximum entre +5 et +6% à fin 2021 avant de venir osciller entre 3 et 4%. A fin 2023, le PIB pourrait se situer entre 1’010 et 1’030 milliards de Dh constants de 2007.
La Figure 1 montre une estimation du schéma des flux d’énergie électrique à fin 2023 basé sur la somme des données mensuelles : nous avons complété à fin 2023 les données officielles qui s’arrêtaient à fin juin ou septembre 2023[1], [2],[3], [4] en tenant en compte de variations saisonnières là où il y avait lieu de le faire.
Figure 1 Schéma simplifié des flux sur le réseau électrique du Maroc en 2023
Au niveau de la production d’électricité, le schéma simplifié des flux d’électricité sur le réseau électrique du Maroc en 2023 montré dans la Figure 1 révèle que :
- Après avoir baissé de -3.0% par rapport à l’année précédente, la production d’électricité à partir de sources primaires thermiques fossiles (sur fond gris : charbon, pétrole et gaz naturel) atteindrait 32’644 GWh représentant 78.9% de l’électricité brute produite en 2023, sur la décomposition de cette électricité d’origine thermique fossile, on peut assurer que, malgré la cessation d’approvisionnement en gaz naturel depuis l’Algérie[5], la production d’électricité à partir de gaz naturel liquéfié livré et gazéifié en Espagne avant d’être acheminé par le Gazoduc Maghreb Europe (premières livraisons en début juin 2022) devrait se situer autour de 4’200 GWh, valeur proche de la production des centrales à cycle combiné du Maroc en 2019 (Tahaddart et Aïn Beni Mathar).
- Après avoir progressé de 14.6% par rapport à l’année précédente, la production d’électricité à partir de sources primaires renouvelables (sur fond vert : hydraulique conventionnelle, éolien et solaire) atteindrait 8’128 GWh représentant 19.6% de l’électricité brute produite en 2023 :
- l’électricité de source primaire hydraulique atteindrait difficilement 160 GWh après avoir reculé de 36.1% par rapport à l’année précédente, à cause de la baisse du remplissage insuffisant des barrages hydroélectriques engendré par la mauvaise pluviométrie,
- l’électricité de source primaire éolienne atteindrait 5’865 GWh après avoir progressé de 7.6% par rapport à l’année précédente, grâce, notamment, à la mise service du parc éolien de Boujdour Nord Est et, dans une moindre mesure, à celui de Jbel Lahdid de Essaouira,
- l’électricité de source primaire solaire atteindrait 2’103 GWh, le bond de 44.8% par rapport à l’année précédente résulte de la combinaison de la nouvelle production des fermes solaires du Projet Tafilalet (120,6 MWc) et de la production anormalement basse des centrales thermo-solaires de Ouarzazate durant le premier trimestre[6] de 2022.
- Après avoir monté de 7.5% par rapport à l’année précédente, les excédents que les autoproducteurs industriels injectent dans le réseau après avoir produit de l’électricité à partir de chaleur industrielle (sur fond vert foncé) atteindraient 353 GWh, représentant 0.9% de l’électricité brute produite.
- Après avoir reculé de 16.5% par rapport à l’année précédente, l’électricité produite à partir du stockage hydraulique d’énergie dans la STEP de Afourer (sur fond blanc) atteindrait 275 GWh représentant 0.7% de l’électricité brute produite en 2022.
Au niveau des agrégats (sur fonds noirs), le schéma simplifié des flux d’électricité sur le réseau électrique du Maroc en 2023 de la Figure 1 montre aussi que :
- la production brute d’électricité devrait se maintenir à 41’399 GWh en 2023,
- après avoir progressé de 1.5% par rapport à l’année précédente, la production nette locale d’électricité atteindrait 41’030 GWh en 2023, après déduction des absorptions des auxiliaires (41 GWh) et de l’électricité absorbée par le pompage de la STEP (329 GWh),
- après avoir progressé de 2.8% par rapport à l’année précédente, le total de l’électricité nette appelée par le réseau électrique national atteindrait 43’002 GWh en 2023, obtenue après ajout de 2’318 GWh d’imports et déduction des 346 GWh d’exports d’électricité (avec l’Espagne seule, sans l’Algérie),
- après avoir progressé de 1.2% par rapport à l’année précédente, le total des livraisons assurées par l’ONEE[7]atteindrait 36’598 GWh en 2022, ce qui laisserait les pertes sur son réseau à 6’404 GWh, en baisse par rapport à 2022.
Pour 12 mois glissants durant les 14 dernières années, la Figure 2 montre l’évolution de l’électricité livrée par l’ONEE-BE (courbe noire la plus basse) ainsi que l’électricité nette appelée par le réseau électrique (courbe noire la plus haute de la Figure 2). Cette dernière enveloppe la somme des moyens (production et imports) mis en œuvre pour assurer la satisfaction de la demande :
- en violet, la somme des productions nettes d’électricité à partir de sources fossiles, de chaleur industrielle et de turbinage de la STEP,
- la production d’électricité par les sources renouvelables (hydraulique conventionnelle en bleu, éolien en vert et solaire en jaune),
- le complément de solde positif qu’il a fallu importer pour satisfaire la demande (le dépassement à fin 2019 est dû à un solde nette exportateur).
Figure 2 Evolution de la satisfaction de la demande d’électricité sur 12 mois glissants
Si certains chercheurs se penchent sur la causalité du nexus énergie – PIB en essayant de savoir lequel des deux est la cause de l’autre, nous ignorons les relations de causalité en nous contentant de l’existence d’une forte corrélation entre le PIB en valeur constante et l’énergie finale consommée dans le pays, comme confirmé par les ronds et la courbe bleue de la Figure 3 qui montrent comment le PIB annuel des quarante dernières années (en Dh constants de 2007) est à 99.76% corrélé, par un polynôme, aux livraisons annuelles d’électricité de l’ONEE-BE avec des erreurs qui, conjoncturellement, n’atteignent pas 4%.
L’électricité nette appelée annuellement n’est pas la meilleure approximation de la consommation finale d’énergie électrique car elle dépend trop de l’évolution des rendements de transport et de distribution[8], [9]. Par contre, les livraisons d’électricité assurées annuellement par l’ONEE-BE représentent un meilleur Proxy de cette consommation finale d’énergie électrique puisque la surestimation n’est faite qu’aux pertes dans les réseaux des autres distributeurs d’électricité (elles-mêmes globalement inférieures à 8% tout en n’atteignant pas 40% du marché). Donc, ces « livraisons de l’ONEE-BE » incluent les ventes directes à ses propres clients et aux autres distributeurs d’électricité ainsi que les livraisons, contre droit de passage, effectuées pour le compte des opérateurs agissant dans le cadre de la Loi 13/09.
Figure 3 Corrélation entre l’électricité livrée et le PIB en Dh constants de 2007
Du point de vue conjoncturel, on peut voir que les données de 2020, année somme toute atypique, ne s’écartent pas du comportement global de la corrélation polynomiale représentée par la courbe en bleu.
Pour 12 mois glissants (et non l’année civile) des 14 dernières années, la Figure 4 montre l’évolution du PIB (en GDh, milliards de Dh constants de 2007) des 12 mois précédents (carrés bleus) calculée avec la corrélation établie dans la Figure 3 mais sur la base des livraisons d’électricité de l’ONEE-BE durant les 12 mois précédents. Pour chacun des 12 mois précédents, le rythme de la croissance annuelle glissante du PIB est représenté par les cercles rouges sur cette mêmeFigure 4 et se rapporte à l’échelle de droite.
Figure 4 Evolution du PIB calculé par corrélation polynomiale des 12 derniers mois et sa croissance
Malgré toutes les incertitudes liées à la méthode utilisée, on peut tout de même dire que l’analyse de la demande d’électricité du Maroc indique que :
- l’inversion de signe de la croissance se serait produite en mai 2020,
- le retour à la croissance positive se serait produit en avril 2021,
- à fin 2023, le PIB devrait se situer entre 1’010 et 1’030 milliards de Dh constants de 2007,
- à fin août 2023, le rythme de la croissance annuelle se situerait entre 2.8 et 3.0% par an, ce qui est certes légèrement plus élevé que les 2.4% annoncés à Marrakech le 10 Octobre 2023 par Daniel Leigh, Chef du Département des Etudes du FMI, et mais plus bas que les autres prévisions :
Combien de fois n’a-t-on pas déjà, très légitimement, révisé les prévisions de croissance ?
En tous cas, ce qui est sûr, c’est que, à 3.6% par an, la moyenne des taux de croissance de la dernière année [09/2029, 08/2023] est meilleure que celle des six années ayant précédé COVID [12/2013, 12/2019] à 2.3%.
Quels sont les éléments pouvant causer des erreurs sur cette méthode ?
Extraire une corrélation du structurel (comportement sur 40 ans) et l’utiliser sur le conjoncturel (douze mois glissants) est, en lui-même, source d’erreur. Ensuite, même s’il est vrai que tout ceci se fait avec une certaine inertie, le conjoncturel contient lui-même des fluctuations inter annuelles liées à la météorologie mais aussi à la structure du PIB qui influence la corrélation entre énergie et PIB. Toutefois, tant que la corrélation énergie – PIB persistera, l’observation de l’économie par le biais de l’énergie consommée n’est pas aussi farfelue que l’on pourrait le penser, même si l’économie marocaine est telle que ce sont sans doute les fluctuations excessives du PIB agricole qui perturbent le plus ce genre de corrélations.
Références
[1] Royaume du Maroc, Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Energie (OME), aujourd’hui disparu, https://www.observatoirenergie.ma/data/
[2] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[3] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx
[4] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[5]Amin Bennouna, « Pas de gaz naturel algérien ? – Pas de problème, le Maroc continue à exporter de l’électricité !« , EcoActu, 03 Février 2022, https://www.ecoactu.ma/gaz-naturel-algerien-maroc-ectricite/
[6] Amin Bennouna, « Demande et production réelles d’énergie et d’électricité à fin 2021 et au premier trimestre 2022« , EcoActu, 7 Juin 2022, https://www.ecoactu.ma/demande-et-production-reelles-denergie-delectricite-a-fin-2021-et-au-premier-trimestre-2022/
[7] Somme des livraisons d’électricité assurées annuellement par l’ONEE-BE incluant les ventes directes à ses propres clients ainsi qu’aux autres distributeurs d’électricité mais aussi les livraisons effectuées pour le compte des producteurs d’électricité indépendants agissant dans le cadre de la Loi 13/09 sur les énergies renouvelables (calculées avec une perte estimée à 4%).
[8] Amin BENNOUNA, « Les ‘pertes non-techniques’ dans le réseau électrique de l’ONEE engloutissent plus que l’électricité solaire produite à Ouarzazate !« , Webmagazine EcoActu, 28 février 2020, https://DOI.ORG/10.13140/RG.2.2.34602.98248
[9] Amin BENNOUNA, « Plus d’un milliard de Dh par an engloutis dans les pertes ‘non techniques de l’ONEE-BE », Webmagazine EcoActu, 5 juin 2023, https://ecoactu.ma/plus-de-1-md-de-dh-an-engloutis-pertes-non-techniques-onee-be/
[10] Royaume du Maroc, Haut Commissariat au Plan, « Budget Economique Exploratoire« , 11 Juillet 2023, https://www.hcp.ma/Budget-economique-exploratoire-2024_a3736.html
[11] Royaume du Maroc, Haut Commissariat au Plan, « Projet de Loi de Finances 2024 », Octobre 2023, https://www.finances.gov.ma/fr/vous-orientez/Pages/plf2024.aspx