Financement de l’économie, règles prudentielles, relation avec la banque centrale, sont autant de questions posées par Ecoactu.ma à Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa bank, à l’occasion de la présentation des résultats semestriels. Il y répond avec son franc parler habituel.
La présentation des résultats semestriels du groupe Attijariwafa bank a été l’occasion de débattre longuement avec le PDG, Mohammed El Kettani, et le top management du groupe bancaire sur plusieurs volets relatifs à l’activité bancaire au Maroc et son rôle à soutenir les entreprises, les ménages et, par ricochet, la croissance et le développement économiques du pays.
Une question souvent évoquée et on ne tarde pas de tirer à boulets rouges sur les banques, qualifiées de frileuses. Un cliché parmi tant d’autres sur lequel, Ecoactu.ma a interpelé Mohamed El Kettani, le PDG d’Attijariwafa bank, particulièrement de la frustration des banques de voir les établissements et certains organes publics obligés par la loi, sauf dérogation, de déposer leurs fonds auprès du Trésor. Une manne financière qui n’est pas souvent rémunérée et qui échappe au secteur bancaire, sollicité sur plusieurs fronts, dont l’endémique question du financement de l’économie. Tout en précisant que la banque enregistre une très forte dynamique de financement de l’économie nationale et une forte croissance de distribution des crédits.
Interrogé donc par Ecoactu.ma sur la loi 69.00 qui fait perdurer l’obligation de dépôt des fonds des établissements publics au Trésor, Mohamed El Kettani entame son propos par un recadrage : « On parle souvent de la frilosité des banques, c’est courant dans tous les pays du monde, et dans l’imaginaire populaire, on croit que les banques sont des vannes ouvertes à l’infini. De toute façon, on ne peut distribuer que ce que l’on peut collecter. Donc notre première limite sont les dépôts. Et ce sont vos dépôts dont nous sommes les gardiens ».
Le PDG rejette foncièrement l’idée de frilosité des banques, chiffre à l’appui : un taux de contentialité global du secteur bancaire marocain de 7,5%. « Quand quelqu’un me dit que les banques sont frileuses, je lui réponds qu’elles sont aventureuses. Parce que dans les économies solides, dès que le taux des créances en souffrance dépasse les 2%, le signal d’alarme est déclenché. Au Maroc, nous en sommes à 7,5%, et nous avions frôlé les 8 % il y a un an, donc je considère que les banques prennent des risques plus que la normale. Dans une économie comme la nôtre, nous devrions être à un taux compris entre 3 et 4 %. Et vous savez qu’une économie n’est prospère qu’avec un secteur bancaire solide, à contrario, un secteur bancaire fragile, impacte immédiatement l’économie », précise Mohamed El Kettani.
Pour ce qui est de l’Etat, le PDG d’AWB assure qu’effectivement c’est un problème qui est posé régulièrement sur la table. « Nous sommes dans une économie de marché et les entreprises publiques doivent s’ouvrir elles-mêmes sur le marché et que le meilleur gagne », révèle-t-il.
Le banquier est intimement convaincu qu’en animant la compétition entre les acteurs, on améliore les performances mêmes du secteur public. Il donne d’ailleurs l’exemple d’une entreprise publique qui aurait des dépôts rémunérés au niveau des placements à très court terme au niveau du Trésor, si elle ouvre la compétition à travers des appels d’offres, qu’elle choisit les meilleurs gestionnaires de la place et que chaque année elle remet en cause les contrats de gestion, elle améliorera ses performances financières. C’est elle qui gagne dans cette affaire et l’économie nationale in fine.
« J’ai espoir que les choses vont évoluer parce que la loi du marché s’impose, elle assoit la compétitivité, la transparence et l’efficience », affirme-t-il.
Les banques donc sont de plus en plus sollicitées pour financer l’économie et de plus en plus contraintes par des règles prudentielles rigoureuses.
Mais Mohamed El Kettani ne voit les choses de cette manière : « La banque centrale marocaine, dans le cadre de sa culture, n’a jamais surpris le secteur bancaire puisque tous les sujets sont posés sur la table et font l’objet d’un débat. Bank al-Maghrib est dans son rôle au niveau de l’exigence pour assoir les règles prudentielles qu’il faut et c’est grâce à elle que le secteur bancaire marocaine se démarque, avec le secteur bancaire sud-africain, à l’échelon du continent africain ».
Il fait d’ailleurs un flashback d’une quinzaine d’années pour rappeler que BAM a été courageuse il y a une quinzaine d’années en exigeant des banques marocaines de se mettre au diapason des règles prudentielles internationales même les plus contraignantes. « Les banques marocaines étaient contrariées et avaient même une certaine angoisse à appliquer ces méthodes et ces règles prudentielles parce qu’elles n’y voyaient que des contraintes. Alors qu’en réalité, les règles prudentielles offrent aussi des opportunités. Et s’il n’y avait pas Bâle I, Bâle II, Bâle III et demain Bâle VI, jamais on ne serait arrivé à ce niveau-là », reconnaît-il.
Et la réglementation poursuit son évolution, puisque le cadre de supervision des banques d’importance systémique s’est davantage renforcé avec l’adoption d’une réglementation requérant de celles-ci, dès ce mois de septembre, la préparation d’un plan de redressement de crise interne visant à définir les solutions qu’elles comptent mettre en œuvre pour rétablir leur situation, en réaction à d’éventuels chocs extrêmes, de sorte à limiter l’impact sur le système financier.
Interrogé par nos soins sur le rapport d’Attijariwafa bank, Mohamed El Kettani rappelle que « nous sommes trois banques qui présentons un risque systémique, Attijariwafa bank, BCP et BMCE. Nous avions pour échéance le 30 septembre pour remettre notre plan de redressement en cas de crise, validé par nos instances de gouvernance. Pour le cas d’Attijariwafa bank, notre plan de redressement a été validé par notre conseil d’administration et il a été transmis à la banque centrale. Nous attendons la réaction de BAM à ce sujet ».
Sur les grandes lignes de ce rapport, l’on ne saura pas plus, le PDG d’Attijariwafa bank expliquant que chaque banque a ses spécificités, ses méthodes de travail, ses zones de risque et ses points de force, et chaque banque garde jalousement le contenu de son plan puisqu’il n’y a que l’autorité monétaire et les administrateurs qui ont accès à ce genre d’informations. « Mais je peux vous rassurer que le secteur bancaire, et c’est le gouverneur de BAM et la direction de supervision qui le disent, est un secteur sain, un secteur solide et un secteur qui accompagne l’économie nationale. Et nous sommes même demandeurs pour accompagner davantage la croissance économique au niveau de notre pays », assure-t-il.
Rappelons d’ailleurs que la banque centrale tient des réunions annuelles de concertations avec les opérateurs bancaires, dont la prochaine est prévue pour le mois de novembre. Pour ce qu’il en est de l’ordre du jour, le PDG d’Attijariwafa bank : « Il sera question des directives, des aménagements qui vont être opérés en matière de règles prudentielles. Il s’agit également de l’analyse et le diagnostic de la situation économique sur un plan microéconomique, c’est-à-dire la vitalité économique, la conjoncture et la transmission de la politique monétaire au niveau des entreprises, des ménages et leur pouvoir d’achat », informe Mohamed El Kettani.
Il s’agit d’un débat franc et transparent entre les opérateurs bancaires et la banque centrale où seront également évoquées les préoccupations en termes d’innovation, notamment ce que les opérateurs bancaires peuvent dupliquer sur le marché marocain en aménageant la réglementation et la loi bancaire pour permettre cette ouverture.
« C’est ainsi que nous sommes partis vers la finance participative, le digital, la cyber sécurité… C’est donc un conseil conjoint qui est toujours fécond, intéressant où chacun est dans son rôle. La banque centrale est dans son rôle tout en gardant sa rigueur en matière de contrôle, de supervision et de maîtrise des risques et les banques aussi ont des choses à soumettre à la banque centrale pour essayer de voir comment on peut accompagner davantage la modernisation de l’économie nationale et surtout aller de l’informel vers le formel pour plus de création de valeur et pour plus de transparence », conclut le PDG d’AWB.
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