La rencontre initiée par le Ministère de l’Economie et des Finances, en partenariat avec l’Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP) a été une occasion pour Abdelali Doumou Professeur Universitaire de mettre le doigt sur les causes inhérentes à un service public de piètre qualité.
EcoActu : La notion de la sincérité des comptes publics est très complexe de par sa nature juridique voire même philosophique. Comment peut-on rendre cette notion effective pour une meilleure gestion des finances publiques ?
Abdelali Doumou : En ce qui me concerne, la sincérité des comptes publics est une exigence institutionnelle et politique importante parce qu’elle permet au citoyen à travers les institutions représentatives une meilleure lecture des comptes publics voire une connaissance même des insuffisances, des lacunes… pour pouvoir les corriger et les dépasser. Aujourd’hui, la question des finances publiques est le principal souci de tout le monde et ce qui est essentiellement en cause, c’est le service public, son coût et sa qualité. Les dépenses publiques augmentent d’une manière exorbitante, l’investissement public aussi… mais sans aucune amélioration du service public pour le citoyen. C’est pour dire qu’il y a un problème de sincérité des comptes publics et d’où l’intérêt du contrôle. Il est indispensable que les ordonnateurs appliquent les règles de régularité, de sincérité et de fidélité qui sont aujourd’hui consacrées par la Constitution. Ce qui va nous permettre de mieux dépenser et produire un service public de qualité.
Justement en dépit des réformes et des efforts déployés, on constate qu’outre le coût excessif, la qualité du service public laisse à désirer ?
Au Maroc nous nous sommes préoccupés pendant 20 ans des recettes. Nous avons essayé d’améliorer les recettes et nous avons réussi dans la mesure où les recettes fiscales ont plus que doublé en dix ans. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que le problème ne se limite pas uniquement à la recette mais également à la dépense. Nous consacrons 195 Mds de DH à l’investissement public soit l’équivalent de 31% du PIB. Mais la performance demeure faible. Il y a un problème normatif à savoir la sincérité pour voir qui dépense bien et qui dépense mal. Ensuite, il est important de transformer la culture de l’Administration d’une culture de moyens à une culture de résultats afin de pouvoir évaluer la performance de l’action publique. En dernier ressort, il faut réformer l’administration pour un meilleur service public parce que le citoyen sera amené à demander des comptes.
Cela fait quelques années que l’on parle d’une approche des résultats, mais la situation n’a pas pour autant changé. Pourquoi cette résistance ?
La Loi organique des finances a été réformée en 2015. Nous ne pouvons parler de l’effectivité des mesures qu’à partir de 2018. Il faut noter qu’en France, cette réforme a mis 20 ans. Il s’agit d’un processus long parce qu’il ne s’agit pas seulement de réformer une loi dans un texte, mais toute une réforme administrative et organisationnelle à opérer. Encore faut-il veiller à ce qu’elle se passe dans les meilleurs délais et qu’elle se fasse bien.
Même si les politiques ne veulent pas le reconnaître, le problème de la soutenabilité des finances publiques est une réalité. Quelles sont les mesures à prendre pour y remédier ?
On dépense mal. Il faut rationnaliser la dépense publique. C’est la première des choses à faire pour limiter le déficit budgétaire et le recours à l’endettement. Comme je l’ai expliqué le problème de la dépense au Maroc est plus qualitatif.
Le second point c’est que nous avons des marges de manœuvre dans les recettes fiscales. Il y a eu récemment les assises de la fiscalité et nous avons tous évalué que l’assiette reste étroite. C’est pour dire que nous disposons de marge d’élargissement de l’assiette fiscale qui permettrait de mobiliser des ressources, de réduire la pression fiscale et de permettre aux revenus moyens et bas de dépenser plus.
Mais le plus important aujourd’hui, c’est la réforme de la dépense publique.
Dans le même ordre d’idée, les marchés publics s’avèrent également très coûteux et pèsent davantage sur le budget de l’Etat…
Effectivement vous évoquez le problème des marchés publics, mais d’une manière générale nous dépensons mal. Il y a un problème de déficit d’ingénierie dans la programmation et l’exécution dans les administrations, les communes… Donc souvent on se trompe de cible, d’objectif…C’est ce qui explique que malgré les moyens mobilisés dans les territoires, la population ne cesse de décrier les déficits des services publics.