Au-delà des financements, la Chine a développé une réelle expertise en matière de construction et de développement énergétique dont l’Afrique peut bénéficier à travers l’échange de connaissances.
Ihssane Guennoun, spécialiste des relations internationales à Policy Center For the New South revient sur comment la Chine a-t-elle pu se hisser à la place de premier investisseur étranger sur le continent.
EcoActu.ma : On assiste à un repositionnement de la Chine en Afrique qui n’est plus ce pays uniquement intéressé par les ressources naturelles. Comment expliquez-vous l’intérêt de l’Empire du Milieu pour des pays africains qui ne sont pas dotés de ressources naturelles ?
Ihssane Guennoun : Les investissements chinois en Afrique étaient historiquement orientés vers les secteurs de l’énergie et des transports. Plus récemment, on a remarqué un regain d’intérêt de la Chine pour des pays africains qui ne sont pas nécessairement dotés de ressources naturelles. L’une des récentes manifestations dans ce sens est la visite du Président Xi Jinping au Sénégal, au Rwanda et à l’Ile Maurice en 2018. La motivation derrière cette visite était d’affirmer le rôle de la Chine comme partenaire clé du développement du continent. Ce développement passe également par la construction d’infrastructures favorables à l’installation d’investisseurs étrangers. Ainsi, la Chine se positionne comme partenaire de cette industrialisation à travers l’octroi de prêts concessionnels qu’elle accorde aux pays africains pour la réalisation de projets d’infrastructure.
D’un autre côté, la Chine s’est progressivement impliquée dans la construction d’infrastructures sociales et sportives en Afrique. Dans ce sens, elle s’est engagée dans le cadre du « FOCAC Action Plan 2019-2021 » à investir dans les secteurs de la santé, de l’eau, de l’assainissement et de l’éducation sur le continent. Ainsi, à la différence de ses investissements dans les infrastructures lourdes, la Chine souhaite désormais contribuer au côté des pays africains afin de répondre à des besoins sociaux immédiats.
La Chine peut-elle aider l’Afrique qui, malgré la croissance économique réalisée au cours des dernières années, a du mal à atteindre les 7% inscrits dans l’Agenda 2063 ?
Dans son modèle de développement, la Chine avait mis l’accent sur l’exploitation de ses ressources domestiques pour répondre aux besoins de sa population. L’Afrique quant à elle dispose également de ressources considérables pour accompagner son développement. Davantage de pays africains se sont engagés sur la voie d’un développement fondé sur une diversification de l’économie avec un accent sur l’industrialisation. Cela dit, l’un des principaux défis qui subsistent pour nombre de pays africains sont l’accès au financement pour la construction d’infrastructures. La Chine, consciente de ce défi, s’est hissée à la place de premier investisseur étranger sur le continent dès 2016. Elle a également fourni des financements à des taux préférentiels pour permettre la construction de nombre d’infrastructures.
Au-delà des financements, la Chine a développé une réelle expertise en matière de construction et de développement énergétique dont l’Afrique peut bénéficier à travers l’échange de connaissances. La présence de près de 10.000 entreprises chinoises sur le continent contribue à la création d’emplois ainsi qu’au transfert de technologies.
Néanmoins, les pays africains sont conscients qu’ils ne peuvent s’appuyer uniquement sur les partenaires étrangers pour atteindre leurs objectifs de développement. Dans ce sens, il existe plusieurs exemples de réussites 100% africains qui nous rappellent que la volonté politique est l’ingrédient clé pour parvenir à un développement inclusif.
Quels sont les préalables à mettre en place par le Continent africain pour tirer pleinement profit de l’Initiative de la Route et de la Ceinture ?
L’initiative de la Route et de la Ceinture ou Belt and Road Initiative (BRI) est l’un des projets phares du Président Chinois Xi Jinping. Son ambition est d’améliorer la connectivité entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique à travers notamment la construction d’infrastructures routières et maritimes. A ce jour, près d’une quarantaine de pays africains se sont engagés sur le projet BRI. Etant donné que la BRI propose une nouvelle approche à la mondialisation avec un leadership par le « Sud », les pays africains peuvent tirer profit des nouvelles opportunités de commerce en s’ouvrant sur de nouveaux marchés.
Dans le contexte actuel, les pays africains peuvent mettre l’accent sur l’implémentation effective de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). Celle-ci leur permettra de consolider un marché commun sur l’ensemble du continent et présenter une offre compétitive dans le cadre de la BRI. Etant donné que le succès de la Zleca passe également par l’amélioration des infrastructures ainsi que par le développement d’infrastructures régionales, la Chine pourrait avoir un rôle à jouer dans ce sens. En effet, lors du Forum sur la Coopération Sino-Africaine de 2018, la Chine a promis une enveloppe budgétaire de 60 milliards de dollars destinée aux pays africains d’ici 2021.
Il n’en reste pas moins que des efforts en matière de bonne gouvernance, de lutte contre la corruption et d’une meilleure redistribution des richesses restent des prérequis au développement de façon générale. L’expérience chinoise en matière de lutte contre la pauvreté a démontré qu’un élargissement de la classe moyenne était un levier de croissance économique.
Si l’on prend le cas du Maroc, comment se concrétisent les investissements chinois et quels sont les secteurs les plus prisés ?
Les investissements chinois au Maroc se sont intensifiés relativement récemment malgré que les relations officielles entre les deux pays aient été établies en 1958. Depuis la dernière visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en Chine à l’occasion du Sommet du FOCAC en 2016, les relations entre les deux pays ont connu un souffle nouveau avec la signature d’une quinzaine de conventions portant notamment sur les secteurs financiers et industriels. Les Investissements Directs Etrangers (IDE) en provenance de Chine ont également doublé entre 2015 et 2017.
Depuis le Sommet du FOCAC, l’un des plus récents investissements chinois au Maroc est le projet de Mohammed VI Tanger Tech City qui a été annoncé en 2017 et qui vise la construction d’une ville sur près de 2000 hectares pour accueillir près de 200 entreprises chinoises. Il prévoit également la création de 200 000 emplois sur les dix années à venir dans les secteurs de l’industrie, de l’immobilier, de l’éducation et de la santé.
Avec le lancement de la ligne aérienne directe entre le Maroc et la Chine prévue pour Janvier 2020 ainsi qu’avec la suppression par le Maroc des visas pour les ressortissants chinois, on pourrait s’attendre à un bond des IDE chinois en direction du Royaume.
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