Dans le contexte actuel, caractérisé par une récession économique sur tous les niveaux à cause de la pandémie de la COVID 19, le citoyen lambda ainsi que l’entreprise marocaine se réfugient sous les ailes de l’Etat, l’unique protecteur et maitre de la situation comme l’a mentionné Rousseau, dans le pacte social 1762, et dont il lui incombe la responsabilité de prendre des mesures nécessaires pour nous faire sortir de cette situation de crise.
L’état marocain a affiché une grande ambition pour encourager l’entreprenariat via des programmes lancés pré-COVID 19 comme DAMAN Oxygène, dont le but est de soutenir chaque année 13 500 TPE, grâce à des formules de crédits destinés aux entreprises de moins de cinq ans d’existence, ces mesures montrent une grande volonté d’accompagner les jeunes entrepreneurs pour voler de leurs propres ailes, et emprunter la voie d’entreprenariat qui reste l’une des solutions pour absorber le chômage, créer les opportunités d’emplois et soulager un peu l’Etat de cette responsabilité.
Les directives qui ont été prises pour soutenir les jeunes dans cette aventure étaient louables mais pas suffisantes, vu l’absence des opportunités de décrocher des marchés pour ces nouveau-nés, qui se trouvent entre le marteau d’une réglementation des marchés publics qui n’est pas en leur faveur, et entre la fourche des entreprises et établissement publics « EEP », toujours exigeants en matière de références techniques et cautions.
Les marchés publics sont un processus qui implique principalement trois parties prenantes : Les entreprises et établissements publics « EEP », les entreprises ainsi que les banques.
Les institutions financières en général et les banques en particulier interviennent durant tout le cycle de vie d’un marché, depuis le lancement de l’appel d’offres jusqu’à l’exécution du marché, elles délivrent les cautions (provisoire, définitive, retenue de garantie, le nantissement d’une créance…etc.), ce qui leur permet de réaliser des bénéfices garantis sans investir ni courir aucun risque.
Les cautions (provisoires, définitifs, retenues de garantie) certes sont indispensables pour garantir et protéger les intérêts des entreprises et établissements publics « EEP », d’où leur exigence au niveau du décret des marchés publics, mais constituent un frein majeur à la commande publique, pour une grande partie des entreprises notamment celles en manque de liquidité surtout dans ce contexte difficile de la COVID 19.
Inutile de rappeler que l’entreprise marocaine a besoin d’être soutenue, et le soutien ne signifie pas seulement l’octroi des crédits, en effet, nos entreprises ont besoin surtout d’un accès flexible et souple à la commande publique, d’où la nécessité de procéder en urgence à un remaniement du décret des marchés publics N°2-12-349.
Depuis son entrée en vigueur le 20 Mars 2013, le paysage d’entreprenariat dans notre pays a vu la création des nouveaux statuts comme les auto-entrepreneurs ou les coopératives, et en toute légitimité, ils ont besoin d’avoir accès à la commande publique pour pouvoir vivre et grandir.
Selon l’Agence nationale pour la promotion de la petite et moyenne entreprise (Maroc PME), Le nombre des auto-entrepreneurs inscrits au registre national a atteint 233.656 personnes à fin juin 2020, cette catégorie des professionnels a besoin d’être accompagnée et soutenue pour pouvoir survivre.
Les entreprises et établissements publics « EEP » exigent des références souvent d’une grande envergure pour pouvoir soumissionner aux appels d’offre, ce qui élimine les petites structures, qu’il s’agit d’une PME, TPE ou les auto-entrepreneurs.
Conformément aux dispositions de l’article 139 du décret des marchés publics, les entreprises et établissements publics « EEP » sont tenus de réserver 20 % du montant prévisionnel des marchés en faveur de la petite et moyenne entreprise, toutefois, lesdits EEP doivent être audités et contrôlés par des instances compétentes pour s’assurer du respect de cette disposition.
Dans le contexte de crise, le décret des marchés publics a besoin d’un remaniement majeur pour donner une bouffée d’oxygène à l’entreprise marocaine, à titre d’exemple :
- Les entreprises et établissements publics « EEP » doivent impérativement publier dans leurs programmes prévisionnels, la liste des prestations réservées à la petite et moyenne entreprise;
- Le pourcentage des marchés accordé à la PME doit être ramené à 30% au lieu de 20%;
- Les entreprises et établissements publics « EEP » sont tenus de publier, au début de chaque année budgétaire, la liste des marchés publics attribués, au titre de l’année budgétaire précédente, aux petites et moyennes entreprises;
- Les cautions doivent être remplacées par des lettres de garantie afin de soulager la trésorerie des entreprises;
- Les entreprises et établissements publics « EEP » doivent fournir davantage d’efforts pour réduire le délai de paiement;
- En cas de recours à la sous-traitance, le titulaire du marché doit impérativement choisir ses sous-traitants parmi les (PME, TPE) afin de faciliter l’accès aux commandes publiques pour cette catégorie d’entreprises;
- Le dispositif juridique actuel n’implique pas les entreprises et établissements publics « EEP » dans le contrat qui lie le titulaire du marché avec ses sous-traitants ce qui laisse ces derniers livrés à eux même, surtout quand il s’agit d’un problème de paiement, d’où la nécessité de prévoir la possibilité de procéder au paiement direct des sous-traitants;
- Créer le terrain fertile pour encourager la culture digitale, cela revient à instaurer les prérequis techniques (connexion internet de haut débit, matériels informatiques, réduire le délai pour avoir la signature électronique);
- Favoriser la soumission électronique et accompagner les entreprises, notamment celles qui ne sont pas structurées pour pouvoir manier les outils digitaux.
Les marchés publics représentent entre 15 et 17 % du PIB au Maroc estimé à 110 milliards de dollars, ils constituent une force motrice de la locomotive économique, et un levier pour la croissance des entreprises, aujourd’hui, dans le contexte du post-Covid, on a plus ce que jamais besoin d’accompagner les entreprises marocaines, de maintenir l’investissement public et d’améliorer l’arsenal juridique régissant les marchés publics, ceci permettra la survie de l’entreprise marocaine, la préservation des postes d’emploi, et la contribution à la croissance économique de notre pays.
Si on a décidé d’emprunter le chemin d’entreprenariat, et on veut encourager les jeunes à voler de leurs propres ailes, ce qui est une initiative à saluer fortement, alors on devait accompagner nos jeunes, les aider à avoir accès à la commande publique, les soutenir, et ceci ne signifie pas seulement l’octroi des crédits, mais plutôt l’amélioration des règles de gestion des marchés publics.
Par BERRAIDA RIYAD, Chercheur en macroéconomie
Ingénieur d’état logistique, Expert en marché publics