A l’aune de différents soubresauts, le néo-libéalisme se remet en cause. Cela ne signifie pas pour autant qu’il va disparaître. Le défi actuel est de gérer les paradoxes tout en étant aux aguets de tous ces phénomènes qui déchirent le monde dans lequel nous vivons. Eclairage de Francis Perrin, Senior Fellow à policycenter.
EcoActu.ma : Nous sommes à la huitième édition de Atlantic Dialogues, un grand moment de réflexion. Quel est la valeur ajoutée d’un tel évènement pour les pays du Sud dont un nombre important est encore au creux de la vague ?
Francis Perrin : Nous sommes sur une réflexion, une discussion, des échanges, ce qui est tout à fait fondamental. Dans le monde où nous vivons, face aux troubles qu’il faut traiter dans le bassin atlantique ou ailleurs, le dialogue sérieux est de plus en plus important. Ce dialogue entre les pays africains, les pays européens, les pays américains et ceux asiatiques répond à un besoin. Nous sommes en 2019 et chaque année cette rencontre est reconduite avec un succès en termes d’audience, de suivi de la part des médias, de qualité des intervenants…
Le monde vit aujourd’hui une crise sans précédent empreinte de plusieurs soubresauts pour ne citer que la guerre commerciale USA-Chine, le Brexit, le populisme… A l’aune de tous ces évènements qui s’entremêlent, oserons-nous dire que le néo-libéralisme se remet en cause ?
Certainement il est remis en cause, il se remet en cause en partie lui-même. Mais cela ne veut pas dire qu’il va disparaître. Ces soubresauts sont pour partie économiques, pour partie politiques, pour partie géopolitiques et géostratégiques avec une imbrication de tous ces éléments. L’aspect économique et social est fondamental comme nous pouvons le constater à travers les manifestations de la part de larges secteurs de l’opinion, les tensions commerciales notamment entre la Chine et les USA, deux grandes puissances, les crises au Moyen-Orient, les tensions autour de l’Iran… donc il y a une situation très complexe où les aspects économiques et sociaux sont très importants et reliés à des aspects stratégiques, culturels, identitaires… A juste titre, l’une des ambitions de ce type de rencontres c’est d’essayer de donner aux participants des clés d’interprétation d’un monde de plus en plus complexe.
Aujourd’hui, il est même question du retrait des USA ne souhaitant plus être le gendarme du monde cédant la place à la Chine qui a exprimé à Davos sa volonté de le faire. Quels sont les risques sous-jacents si jamais un tel scénario se concrétise ?
Vous avez entièrement de dire « Si ». On voit très bien du côté de Donald Trump, une velléité de se retirer sur le continent américain par rapport à l’Europe, à des alliés au Moyen-Orient… C’est un mouvement que nous avions déjà observé sous l’Administration Obama. C’est pour dire que Trump n’est pas arrivé comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il y avait déjà quelques nuages dans les relations transatlantiques. Pour autant Trump ne sera pas là éternellement. Il est à la fin de son premier mandat. Sera-t-il réélu ? Nous le saurons dans un an. En plus, cela ne changera pas pour autant toute la géopolitique mondiale. Aujourd’hui, l’enjeu est de construire un monde multilatéral. Le paradoxe est que nous traversons une crise de multilatéralisme et nous avons un besoin crucial de multilatéralisme à travers des relations entre les pays, entre les institutions, des organisations intergouvernementales, l’organisation mondiale du commerce… qui sont les nations unies en difficulté actuellement.
Dans un environnement aussi trouble, quelle place les pays du Sud vont-ils occuper?
Dans un contexte pareil, les pays du Sud doivent resserrer les liens. Depuis des dizaines d’années, on parle de la coopération Sud-Sud. Valeur aujourd’hui, elle reste une coopération sous-exploitée et on le remarque à travers les échanges interafricains qui restent trop faibles. Nous avons l’ambition de créer la Zone de libre-échange continentale qui est certes majeure, mais elle reste toute récente et du coup il faut attendre les résultats des années et des années. D’où l’objectif de développer davantage une coopération Sud-Sud sans pour autant se retirer de la mondialisation.
A l’heure actuelle, nombre de pays sont en train de revoir leur modèle de développement économique pour des raisons d’essoufflement. Le Maroc ne fait pas l’exception. Comment ces pays doivent-ils s’y prendre pour vaincre les limites actuelles et parvenir à un modèle de développement permettant d’aboutir à une réduction des disparités sociales et spatiales ayant atteint des niveaux inexorables ?
Les modèles en vigueur dans plusieurs pays depuis un certain nombres d’années se heurtent à un problème de limites qui sont liées justement à ces troubles dont nous venons de parler qui déchirent le monde. Lorsque vous avez une guerre commerciale entre les deux grandes puissances mondiales USA et Chine, cela n’impacte pas uniquement les parties prenantes, mais également le monde entier. Preuve en est, la croissance mondiale ralentit. Lorsque nous avons des troubles en termes de sécurité, de montée du terrorisme, cela impacte les réalités économiques et politiques en terme d’attraction des investissements… Il y a évidemment la question clé de l’énergie et du climat, la contrainte carbone qui implique que l’on ne plus continuer avec le même modèle qui a produit de bons résultats mais dont on perçoit aujourd’hui le coût humain, environnemental. D’où la nécessité de s’orienter vers une croissance économique qui n’est pas consommatrice de ressources. Nous sommes dans une période charnière et donc il n’est pas étonnant que nos modèles soient remis en question car ils ne produisent plus les mêmes résultats que par le passé.
En ce qui concerne le Maroc, le pays s’est bien positionné par rapport aux enjeux énergétiques et climatiques avec un fort développement des énergies renouvelables nomment solaire et éolienne et un fort accent sur l’efficacité énergétique.
Effectivement, il faut redéfinir de nouveaux contrats politique, économique et social permettant d’éviter que les inégalités internes à chaque pays y compris territoriales qui se creusent et entraînent des fractures économiques et sociales.
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