Ecrit par S. Es-Siari |
Le nouveau décret des marchés publics 2.22.431 abrogeant le texte 2013 regorge de nouveautés réglementaires à même de rationaliser la dépense publique, de garantir la transparence et l’équité. Toutefois, le texte dans sa nouvelle configuration reste muet sur certaines dispositions. Des garde-fous sont nécessaires pour instaurer l’ordre et éviter les dérives auxquelles le nouveau texte est censé mettre fin. Détails.
Le 1er septembre 2023, un jour exceptionnel pour les opérateurs économiques qui attendaient avec impatience le nouveau décret des marchés publics 2.22.431. Après plusieurs réformes, ce nouveau décret constitue une réforme majeure devant révolutionner le mode de gestion de la commande publique au Maroc, avec à la clé un lot de nouveautés qui devront consacrer le principe de la transparence, celui de la préférence nationale avec pour toile de fond la bonne gouvernance de la dépense publique.
L’enjeu est de taille eu égard au poids de la commande publique dans le PIB national. A titre indicatif, pour l’exercice 2023, le budget d’investissement s’élève à 300 Mds de DH, soit 20,8% du PIB.
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Dans le détail, il se répartit de la manière suivante : les comptes spéciaux du Trésor et les SEGMA : 95,5 Mds de DH ; Les Etablissements et Entreprises Publics : 140,5 Mds de DH ; Le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement : 45 Mds de DH; Les Collectivités Territoriales : 19 Mds de DH. Il s’agit donc d’une manne financière importante à injecter efficacement dans les différents circuits économiques.
Cette réforme, fruit d’une action participative ayant impliqué l’ensemble des acteurs concernés, s’inscrit, selon les dires des opérateurs et responsables, en droite ligne des recommandations du Nouveau modèle de développement, ainsi que la vision du Maroc pour donner une place de choix à l’investissement, comme moteur de création de la richesse et de l’emploi.
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En effet, dès le départ toutes les parties prenantes ont apporté leur pierre à l’édifice pour que le texte en question réponde aux différents besoins, pour qu’il puisse avoir un impact économique, créer de l’emploi, de la valeur ajoutée…
Ajoutons à cela que ce texte n’est pas fait, comme l’a si bien dit Noureddine Bensouda, le Trésorier général du Royaume, dans l’émission Hiwar accordée à EcoActu.ma uniquement pour l’Administration, mais également pour les opérateurs économiques et pour le citoyen.
En attendant les textes d’application…
Dans une perspective de renforcement de la compétitivité des TPME, composante fondamentale du tissu entrepreneurial national, ce décret n° 2.22.431, promet de faciliter l’accès aux marchés publics pour cette catégorie d’entreprises, y compris les startups, les auto-entrepreneurs, les coopératives et les fédérations de coopératives en lui réservant un quota de 30%.
Autrement dit, le maître d’ouvrage est tenu de réserver 30% du montant prévisionnel des marchés qu’il compte lancer, au titre de chaque année budgétaire, aux très petites, petites et moyennes entreprises installées au Maroc.
Toujours est-il que le texte n’a pas précisé les mécanismes à mettre en place pour s’assurer du respect d’une telle disposition par le maître d’ouvrage. Il reste par ailleurs muet sur les astreintes auxquelles il sera soumis s’il ne réserve pas les 30% à cette catégorie du tissu économique comme annoncé dans le nouveau décret.
Dans le même cadre, certains maîtres d’ouvrages ont des travaux importants avec des montants faramineux auxquels la TPME ne pourrait malheureusement pas soumissionner. Les exemples sont légion. A ce titre, il est déterminant de mettre en place des outils efficaces à même de mesurer et de s’assurer de la contribution de cette frange du tissu économique à la commande publique.
La commande publique souffrait également d’une limite fort contraignante à savoir l’offre anormalement basse. Désormais, avec le nouveau décret, on parle de l’offre économiquement la plus avantageuse. Il s’agit pour les marchés de travaux, de fournitures et de services autres que les études de l’offre financière la mieux-disante par rapport au prix de référence.
Sur ce point il est aussi important de s’arrêter sur l’estimation administrative qu’est sensé déposer le maître d’ouvrage bien avant le lancement du marché. Cette estimation administrative prend en considération les données actuelles du marché. Or, il est important de rappeler que les données du marché ne sont pas tout le temps disponibles. En ce qui concerne le BTP, les opérateurs plaidaient depuis quelques années pour l’élaboration d’un référentiel des prix. Malheureusement, en l’absence de ce référentiel, plusieurs entreprises n’arrivent plus à décrocher des marchés vu que leurs offres sont jugées trop chères. Le nouveau décret devrait donc s’accompagner de ce référentiel pour mettre un terme aux dérives.
Ceci étant ces mesures et bien d’autres prévues par le nouveau dispositif des marchés publics, devraient permettre aux citoyens et aux entreprises de mieux connaître les marchés publics et de veiller à ce qu’ils soient attribués de manière transparente et équitable. Mais encore faut-il mettre en place des garde-fous pour que les objectifs fixés au préalable ne se limitent pas à de l’encre sur papier.
Pour tout projet de marché, la maitre d’ouvrage est tenu par ailleurs d’un rapport de présentation pour expliquer les tenants et les aboutissants du projet. Autrement dit, il est appelé à préciser dans quel cadre s’inscrit le dit programme, son intérêt et ce moyennant des indicateurs de performance qui permettront a posteriori d’évaluer le marché. Les exemples des marchés foireux pesant lourdement sur le budget de l’Etat sont très fréquents.
En matière de conflit d’intérêt, le texte n’est pas assez clair. Il n’explique pas les cas de conflits d’intérêt pouvant exister, comment les détecter et surtout comment les prévenir.
Le texte 2.22.431 abrogeant le décret 2013 regorge certes de nouveautés réglementaires et bien entendu il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Toutefois, il est impératif que les textes d’application du nouveau décret répondent à ces questionnements pour que nous puissions qualifier ce nouveau texte d’une véritable révolution réglementaire.
Donner la préférence aux entreprises marocaines lorsqu’elles sont à un niveau de prix et de qualité avec les entreprises étrangères et bien d’autres sont à saluer. La mise en œuvre de ce décret demeure ainsi un défi important. Il s’agit d’une réforme essentielle pour le développement économique du Maroc conformément à ses nouvelles orientations en faveur de la promotion de l’investissement et de la création de la richesse.
Le travail le plus important à effectuer par la suite ne peut être que d’ordre opérationnel. A cet égard, Il est déterminant d’assurer un suivi permanent, un reporting qui sert aussi bien au gouvernement qu’au parlement.