La partie fiscalité du projet de loi de finances se caractérise par trois maux qui constituent la trame des discours de tous les décideurs, qui promettent sans cesse de les supprimer. Il s’agit en l’occurrence de l’instabilité, du manque de lisibilité et de l’injustice fiscale.
Après les Assises de la fiscalité, organisées à Skhirat en mai de cette année, on pensait qu’on allait imprimer, à ce projet de LF 2020, les principes constitutionnels fondamentaux et, à défaut, du bon sens et plus de cohérence. On assiste, au contraire, à une désintégration du système fiscal.
Nous constatons une remise en cause de toutes les avancées obtenues depuis l’institution depuis la loi-cadre de 1984, suivie des Assises de la fiscalité de novembre 1999 et de l’adoption du code général des impôts en 2007.
Avec ce PLF, les trois maux qui caractérisent notre fiscalité vont se manifester, notamment, au niveau du changement des taux de l’impôt sur les sociétés.
L’une des recommandations des dernières Assises insistait sur la «consécration du principe de la progressivité de l’impôt et (la) répartition équitable de la charge fiscale selon les capacités réelles».
A cet égard, les promoteurs du PLF ont innové en multipliant les taux d’imposition et en créant des barèmes progressifs par tranche, mais à des taux variables. C’est assurément une action forte pour «consolider le principe général de la progressivité de l’impôt».
En gros nous aurons, à compter de 2020, trois barèmes pour l’IS.
Le premier va s’appliquer, dans le cas général, à toutes les entreprises qui ne sont pas soumises au taux de 37%, celles qui n’exercent pas une activité industrielle et à toutes celles qui ne bénéficient pas d’un taux réduit.
Montant du bénéfice net (en DH) | taux | Somme à déduire |
O à 300 000 | 10% | 0 |
3 00 001 à 1 000 000 | 20% | 30 000 |
Supérieur à 1 000 000 | 31% | 140 000 |
On revient ainsi au barème adopté en 2018, en supprimant le taux de la deuxième tranche de 17,5%, introduit en 2019, pour le remplacer par celui de 20%.
Le deuxième barème est réservé « aux sociétés industrielles » dont le bénéfice net est inférieur à 100 000 000 DH :
Montant du bénéfice net (en DH) | taux | Somme à déduire |
0 à 300 000 | 10% | 0 |
3 00 001 à 1 000 000 | 20% | 30 000 |
Supérieur à 1 000 000 et inférieur à 100 000 000 DH | 28% | 110 000 |
Cependant, si l’entreprise « industrielle » réalise un bénéfice net imposable égal ou supérieur à 100 000 000 de DH, elle ne bénéficiera pas du taux de 28%. Elle sera soumise aux taux du premier barème, c’est-à-dire celui qui prévoit le taux de 31% pour la tranche supérieure à 1 000 000 DH.
Combien de sociétés marocaines réalisent ce niveau de bénéfice ? En plus, pour quelques DH de moins, la société se retrouve sous la barre de 100 000 000 DH.
Mais toutes les « sociétés industrielles » ne seront pas taxées selon le barème progressif puisqu’un taux de 15% a été prévu pour les entreprises qui exercent leurs activités dans les « zones d’accélération industrielle », après 5 ans d’exonération totale.
Ce traitement fiscal est réservé également aux sociétés de service ayant le statut «Casablanca Finance City». Pour ces dernières, ce nouveau traitement va s’appliquer aux sociétés ayant obtenu le statut « Casablanca Finance City » à compter du 1er janvier 2020 comme le précise la date d’effet. Dans ce cas, nous risquons d’avoir, pendant des années, la cohabitation de deux régimes d’imposition.
La démarche adoptée en matière de fiscalité dans ce PLF dénote d’une certaine nostalgie du passé et, comme une tentation d’enterrer la Charte des investissements de 1995 pour revenir aux différents codes sectoriels qui accordaient des avantages à plusieurs branches d’activités, notamment aux investissements industriels.
Le troisième barème s’appliquera aux sociétés bénéficiant d’avantages fiscaux. Il s’agit entre autres :
- des entreprises exportatrices qui perdent le bénéfice de l’exonération de 5 ans pour être taxées selon ce nouveau barème ;
- et les sociétés sportives qui vont dorénavant être éligibles à l’exonération totale quinquennale, puis soumises après les 5ans au barème suivant :
Montant du bénéfice net | taux | Somme à déduire |
0 à 300 000 | 10% | 0 |
Supérieur à 3 00 000 | 20% | 30 000 |
Il faut savoir que lorsque l’activité est exercée dans le cadre de l’IR, c’est un taux flat de 20% qui va s’appliquer au revenu obtenu et, donc, la charge fiscale sera supérieure à celle supportée par une société soumise à l’IS pour la même activité et un même niveau de revenu ; autrement dit pour la même capacité contributive (barème ci-dessus). A titre d’exemple, pour un revenu de 300 000 DH :
- L’impôt versé au titre de l’IS sera de 30 000 DH (300 000 DH X 10%) ;
- Le montant de l’IR atteindra 60 000 DH (300 000 DH X 20%).
Le barème de l’IS a connu plusieurs modifications, notamment ces dernières années, 2016, 2018, 2019 et 2020. Il est clair que cette instabilité de taux, avec des revirements couplés à une multiplicité de barèmes n’améliore pas la lisibilité de notre fiscalité et contribue à sa complexité.
Même remarque pour la cotisation minimale (CM) qui a été relevée, pour le cas général, de 0,5% à 0,75% en 2019. Cette augmentation avait du sens puisque la majorité des entreprises déclarent des déficits ou des résultats faibles et ne contribuent pas suffisamment aux charges publiques.
Nouveau revirement dans le PLF avec le retour du taux 0,5% de la CM. Le taux de 0,75% reste applicable uniquement aux entreprises qui, au-delà de la période d’exonération de 36 mois suivant le début d’activité ou des 60 mois de la constitution, déclarent un « résultat courant hors amortissement négatif au titre de deux exercices consécutifs».
En fait, on constate un retour à l’imposition cédulaire des revenus, qui ne permet pas de prendre en compte la capacité contributive «réelle» des contribuables, alors qu’il s’agit d’un principe inscrit dans l’article 39 de la Constitution de 2011.
La justice fiscale est l’un des grands thèmes abordés pendant les Assises de la fiscalité, mais aucune mesure fiscale n’a été introduite dans le projet de loi de finances pour consacrer ce principe.
En définitive, le constat est clair, le législateur s’intéresse plus à la capacité contributive des sociétés qu’à celle des personnes physiques, des ménages qui contribuent au développement de l’économie par le biais de la consommation et de l’épargne.
En effet, le barème progressif de l’impôt sur le revenu n’a connu aucun changement depuis 2010. Aucun Gouvernement, depuis lors, n’a pris en compte la baisse du pouvoir d’achat des salariés et des fonctionnaires. La recette de l’IR sur les salaires constitue une rentrée stable pour le budget de l’Etat qui préfère ne pas y toucher.
Evidemment, la répartition équitable de la charge fiscale constitue un bon slogan dans les discours et puis, concrètement, elle se fera un de ces jours…In Chaa Allah.
Zaya Mimoun, docteur en droit public
2 Commentaires
La comparaison entre IS et IR faite est biaisée. Celui qui paie IR a 20% fera de son net (soit 300.000-60.000=240.000) ce qu’il veut. Plus aucune imposition.
Celui qui a une société paye certes 10% et se retrouve avec un résultat net de 270.000 dh. Mais il ne peut pas en disposer. Pour ce faire, il doit payer l’impôt sur les dividendes de 15% soit 270.000 * 15%= 40.500., soit un net de 229.500. Bien moins que 240.000.
Cette précision est tout à fait pertinente !
Il y a bien 10 500,00 Dhs de différence.
Bien vu Si Mehdi, bravo !