Ecrit par Imane Bouhrara |
La fiscalité représentera un véritable défi pour le prochain exécutif. D’abord, l’élaboration du PLF 2022 devrait dévoiler ses grandes orientations mais aussi, le degré d’audace de la majorité à enclencher une véritable réforme. Akhannouch osera-t-il toucher aux fortunes, aux niches fiscales couteuses et inutiles, à l’informel et aux activités qui échappent aux filets du Fisc ?
A l’heure où tout le monde attend l’annonce de la composition du prochain gouvernement, le ministre des Finances a envoyé une directive ce 24 septembre aux président et directeurs des EEP pour élaborer les propositions de budgets pour le PLF 2022 ainsi que les propositions relatives à la programmation triennale 2022-2024. Le ministre rappelle la directive du chef de gouvernement datant du 9 août mais aussi les délais légaux à savoir la tenue des réunions préparatoires avant le 20 octobre, la validation par les organes délibératifs avant le 20 novembre et la transmission des propositions au ministère des Finances avant fin novembre 2021.
Et c’est un véritable casse-tête pour les EEP qui doivent également contribuer à l’accélération de la mise en œuvre de la loi n°50-21 portant réforme des EEP tout en adaptant le mode de travail à l’entrée en jeu de la nouvelle agence nationale chargée de la gestion stratégique des participations de l’Etat.
Bien évidemment, la directive reprend les éléments clés de la note de cadrage (Notamment l’efficience de l’investissement public en faveur de la relance, alignement de ces investissements sur les projets stratégiques de l’Etat et sur les politiques sectorielles, et l’activation de la préférence nationale), mais aussi le souci de la maîtrise des dépenses des EEP.
Mais plus important à retenir du PLF 2022 qui intervient dans une conjoncture économique difficile et une période de passation de pouvoir entre l’équipe sortante et la team Akhannouch, pour insuffler une relance et amorcer le chantier de réforme du modèle de développement, est qu’il sera le ballon d’essai de la loi-cadre n°69-19 portant réforme de la fiscalité. Un sujet quasiment absent des radars en cette période charnière.
Il faut rappeler que cette loi cadre, qui a tant tardé depuis la tenue des assises sur la fiscalité en mai 2019, n’a pas pu être testée sur le PLF 2020 déjà. Là, elle intervient dans un contexte nettement plus difficile : une récession historique, un taux de chômage élevé, une érosion du pouvoir d’achat, une hausse du coût de la vie, une hausse des besoins d’investissement et surtout une baisse des recettes fiscales de l’Etat.
Autant dire que la préparation et la discussion du PLF 2022 fera sonner l’heure de vérité aussi bien pour la majorité que l’opposition et un véritable examen de la réelle prise de conscience des véritables enjeux de répondre illico presto aux attentes exprimées par le taux de participation de 50,38 % aux élections du 8 septembre.
Pour l’économiste Najib Akesbi, toute proposition doit émaner d’un diagnostic. Pour lui, la lucidité dans le diagnostic est essentielle tout autant que l’est la réforme de la fiscalité.
Force est de constater que le prochain exécutif n’en aura pas le temps vu les délais légaux de présentation, discussion et vote du PLF. Idem pour les deux chambres dont la session automnale s’ouvre ce 8 octobre.
L’autre défi est que la loi-cadre sur la réforme fiscale contient les grandes lignes de la réforme et il revient à l’exécutif de formuler des propositions à même de traduire son contenu dans la réalité.
A défaut, se limitera-t-on encore à augmenter l’imposition des cigarettes et alcool ? Une chose est sûre, le débat sur l’IS qui s’accapare le plus gros du débat s’avère inopportun. Et pour cause :
« En 2021, qu’est-ce que ça veut dire de parler encore l’IS ? Alors que selon les statistiques de la DGI, 70 % des entreprises déclarent des déficits systématiques, donc pas concernées par le taux d’imposition. Dans le tiers bénéficiaire, 90% des entreprises qui déclarent des bénéfices relève du taux de 10% donc les -300.000 DH. Cette baisse ne peut concerner que 1% des sociétés qui sont grosses », explique Najib Akesbi.
Dans le contexte actuel, l’Etat peut-il se le permettre sans élargissement de l’assiette ? Et encore cet élargissement doit-être d’abord mis en faveur de l’allégement de la pression sur les contribuables. Notamment les retraités qui payent l’IR deux fois, en tant que salariés et en tant que pensionnaires, au moment où d’autres revenus réalisés sur le net (youtubeurs, influenceurs, tiktokeurs) échappent à l’impôt.
Dans ce sens, Najib Akesbi rappelle que « la pression fiscale est déséquilibrée. Les revenus du travail sont les plus imposés que ceux du capital, donc principalement les salariés et la classe moyenne prélevés directement à la source. Tout est question de bon sens. Il faut capitaliser sur les assises de la fiscalité dont les recommandations sont consensuelles. C’est toujours mieux que rien ».
L’élargissement de l’assiette fiscale passe par la soumission de toutes les sources de revenus à un même barème progressif, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, y compris les grandes fortunes et les successions.
Autre point épineux sur lequel le gouvernement doit s’atteler en cette période de vaches maigres, est celui des niches fiscales. D’ailleurs, c’est l’une des recommandations phares des assises sur la fiscalité reprises dans la loi-cadre sur la fiscalité. Elle se veut même le socle d’une répartition équitable des richesses.
Dans ce sens, la loi dispose qu’en vue d’assurer la rationalisation des incitations fiscales, tout avantage fiscal n’est accordé qu’à titre exceptionnel dans les conditions et selon les critères fixés par la loi. Les dépenses fiscales pèsent lourdement sur le budget de l’Etat.
Toute dépense fiscale doit faire l’objet d’une étude préalable par le Gouvernement et ne saurait être instituée que si les bénéficiaires de ladite incitation ne peuvent obtenir un avantage comparable sous forme de subvention publique directe, conformément à la législation et la réglementation en vigueur. Les incitations octroyées doivent faire l’objet d’une évaluation régulière de leur impact socio-économique afin de les maintenir, les réviser ou les supprimer selon le cas.
Par ailleurs, la problématique du formel s’invite également au débat en l’absence à ce jour d’une stratégie intégrée pour résorber ce pan économique qui échappe encore aux prélèvements obligatoires provoquant une « concurrence fiscale » déloyale et incitant même les entreprises formelles à frauder. Un problème contraignant pour l’administration fiscale.
Il va sans dire que les plans ambitieux « vendus » aux électeurs nécessitent la mobilisation de ressources financières importantes hormis les emprunts et dans cette perspective, la fiscalité dans ce contexte de contraintes budgétaires, présente un véritable gisement à qui saurait en tirer pleinement profit tout en veillant à une véritable justice fiscale.
« Le potentiel fiscal au Maroc se situe entre 6 et 7% de PIB, donc on parle d’une enveloppe de 70 à 80 Mds de DH ce qui nécessite les réformes qui s’imposent. Le bon sens de l’Etat veut que pour élargir l’assiette fiscale, il faut également plancher sur les composantes qui ne sont pas imposées, mal imposées ou sous imposées, c’est là où il faut chercher », estime Najib Akesbi.
Aujourd’hui, tout l’enjeu est de faire de la politique fiscale au Maroc, un levier de développement en gagnant plus en cohérence, de visibilité, d’équité, d’efficience et d’appui à l’élargissement de l’activité et de la production de valeur ajoutée tout en veillant à instaurer plus de solidarité, de réduction des inégalités et de contribution à la cohésion sociale.
Dit comme ça, cela peut sembler facile, mais tout dépendra du courage du nouvel exécutif d’attaquer de front ce vaste chantier.