Chaque 31 octobre, la communauté internationale commémore depuis 2013 la journée mondiale des villes. Placée sous le thème ‘’valoriser nos communautés et nos villes’’, la septième édition s’annonce dans un contexte particulier marqué par une crise sanitaire d’une ampleur sans précédent sur les Hommes, les villes et les territoires. Cette journée représente une occasion pour repenser le modèle urbain dans une intelligence collective reconnaissant aux acteurs sociaux leurs rôles contributifs à la valeur économique, environnementale et sociale.
De surcroit, dans un monde qui s’urbanise à grande vitesse. Avec plus de la moitié de la population mondiale qui vit aujourd’hui dans les villes, ce chiffre devrait atteindre 68% d’ici 2050 selon l’ONU. Cette tendance de l’urbanisation est génératrice de la valeur économique (80% du PIB selon l’ONU-Habitat). Néanmoins, elle apporte son lot de défis à relever par les villes en termes d’inégalités socio-spatiales, d’informalité urbaine, de déficience en équipements, de risques naturels et environnementaux et d’incertitudes urbaines.
La crise sanitaire a mis en surface les faiblesses de nombreux systèmes urbains. D’un impact systémique profond tant au niveau national qu’international, la pandémie du Covid-19 a placé les questions sanitaires, sociales, économiques, industrielles, climatiques, et digitales au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Pour dépasser ces contraintes plurielles, le besoin d’un Etat solidaire n’a jamais été aussi senti comme l’a été en ces temps de crise sanitaire.
La résilience des villes à l’épreuve
Inédite par son ampleur, la crise du Covid-19 a mis la résilience des villes (petites, intermédiaires ou métropoles) à rude épreuve. Car des pans entiers de l’économie ont été affectés, et en particulier les activités à fortes retombées sur l’économie locale (tourisme, culture, évènementiel, commerce et services, etc.). Dès lors, la pandémie a remis sur la scène les certitudes en matière de développement urbain : modèle urbain, production de logements, mobilité urbaine, logistique et approvisionnement du marché, travail/enseignement à distance, espaces publics, etc.
Cependant, la crise sanitaire a été aussi une occasion pour les villes d’innover et d’implémenter des initiatives pour soutenir les ménages en difficultés. De par le monde, nombreuses sont les actions entreprises par les pouvoirs locaux : l’accès élargi à l’eau dans les quartiers défavorisés (Mexico, Buenos Aires, Lima, Costa Rica, Nairobi, Dakar), l’exonération partielle des factures d’eau (Oakland, Porto, Braga), la réduction du loyer des logements sociaux (Addis-Abeba, Yokohama, Chicago, San Francisco, Paris), la location des logements pour les personnes confrontées à des situations sociales difficiles (Barcelone).
La société civile, un prolongement de l’action sociale de l’Etat
Outre le rôle incontournable de l’Etat dans ses fonctions distributives et la contribution des acteurs économiques à l’élan solidaire, il convient de souligner que les acteurs sociaux ont joué un rôle non négligeable. De par le monde, la société civile a fait preuve d’imagination et d’initiatives plurielles pour soutenir les vulnérables en cette période de crise sanitaire (le bénévolat dans les hôpitaux, la création d’application pour mettre en relation les donateurs et les bénéficiaires, le paiement du loyer pour les ménages en situation d’expulsions, paiement des factures d’eau et d’électricité pour les ménages en difficultés, sensibilisation sur le respect de la distanciation sociale et des règles d’hygiène, banque alimentaire, etc.).
Force est de reconnaitre le rôle des acteurs sociaux dans l’atténuation des effets socioéconomiques de la crise sur les populations vulnérables. Le concours des acteurs sociaux est indéniable et nous invite à reconsidérer l’importance des actions de la société civile dans la résilience et la reprise urbaine. Ainsi, ‘’les villes sont le foyer d’une solidarité et d’une résilience extraordinaire. Nous avons vu le meilleur de l’esprit humain s’exprimer’’ souligne le SG de l’ONU.
Sur cette voie de la solidarité et de l’appropriation de la ville par ses habitants, les villes internationales procèdent à la mise en place de ‘’plateformes de participation’’ pour inciter la société civile à contribuer par des idées et initiatives citoyennes de développement. L’absence d’un tel schéma participatif risque de donner naissance à des projets en déphase avec les attentes de la population. Ces expériences démontrent à quel point l’engagement des villes dans une démarche de participation active et de concertation avec les acteurs sociaux autour des grands enjeux constituent la clé de réussite des politiques publiques urbaines.
L’action citoyenne, entre la réticence et la récupération politique
S’il est admis que l’action sociale de l’Etat trouve son prolongement dans le réseau associatif à l’échelle des villes, il importe, cependant de souligner que dans le contexte national, la société civile a un long chemin à parcourir pour se faire une place dans l’écosystème des acteurs urbains. Bien que la société civile peut servir au moment des crises comme relais pour les collectivités territoriales, il importe de préciser que son action fait face à des contraintes insurmontables.
Si la constitution et les institutions constitutionnelles plaident pour que les démarches participatives soient au cœur de l’action publique, il en demeure que la non-participation des citoyens aux stratégies de développement urbain s’est heurtée, et à maintes reprises, à l’incompréhension voire au refus de la population. Il est à rappeler ici les programmes ‘’villes sans bidonvilles’’, ‘’marchands ambulants’’, ‘’terres guich’’, ‘’habitat social’’ et certains projets urbains qui ont connu des essors mitigés à cause de la non prise en considération des attentes de la population.
Conçus à des échelles de décision centrale, ces programmes illustrent le décalage entre une élite de décision, certes soucieuse de l’intérêt général, toutefois, déconnectée de la réalité socio-économique des bénéficiaires de ces programmes. Des ruptures dans ce mode de faire sont à inscrire dans les politiques publiques urbaines pour faire de la participation citoyenne un acte facilitateur de l’appropriation desdites politiques.
Bien que la société civile dispose d’une force de frappe non négligeable pour apporter sa pierre à la résilience des villes, il en demeure qu’elle a du mal à s’approprier les mécanismes de démocratie participative. Lorsque qu’ils existent, notamment, dans les domaines de l’urbanisme et de l’environnement, ils sont peu utilisés. Ceci ne facilite pas l’expression de la société civile sur des questions du développement urbain. Il est temps donc de sortir de cette approche improductive faisant de toute action citoyenne un acte de récupération politique ou de défiance aux pouvoirs publics.
Par Mostafa KHEIREDDINE, Urbaniste-Université de Montréal, Chercheur en sciences de la ville