- La fiscalité territoriale au Maroc est marquée par la multiplicité des taxes difficiles à gérer.
- Les décideurs doivent mener des politiques adaptées aux caractéristiques de leurs territoires.
- Les politiques fiscales locales ont besoin des élus locaux suffisamment formés et avisés.
- Le système de gestion financière locale croule sous un maquis de règles et de procédures juridiques, au lieu de développer une logique de liberté dans la responsabilité.
- Michel Bouvier, Professeur universitaire, Président de Fondafip et directeur de la Revue française des finances publiques nous livre son analyse.
EcoActu : Le Maroc s’est engagé dans un projet d’envergure qu’est la régionalisation avancée, mais l’autonomie fiscale reste absente (régime fiscal centralisé qui redistribue les recettes selon le principe de solidarité entre les régions). Cela ne risque-t-il pas de compromettre la réussite de ce chantier?
Michel Bouvier : Vous savez, c’est une banalité de le dire : pour développer n’importe quelle politique, il faut de l’argent. Le choix qui a été fait au Maroc est la régionalisation avancée, mais cela ne concerne pas que les régions, il s’intéresse aux communes, aux provinces et aux préfectures. C’est une bonne décision qui a été prise par le Maroc de s’engager dans cette direction parce que nous nous sommes aperçus un peu partout dans le monde que lorsque la décentralisation a été mise en place, le développement économique en a beaucoup bénéficié. La seule question qui se pose et elle est de taille est de savoir comment financer la décentralisation et quelles ressources attribuer aux différents niveaux des collectivités territoriales. Il n’y a aucun doute que la croissance de l’économie marocaine devrait bénéficier de cette politique de la régionalisation avancée.
Justement comment peut-on concevoir des politiques fiscales en faveur des régions ? N’est-il pas judicieux que chaque région ait sa propre politique fiscale en fonction de ses forces, de ses faiblesses voire de son avantage concurrentiel ?
En ce qui concerne la politique fiscale, cela suppose déjà que chaque région ait sa politique fiscale qui lui est propre. Ou une partie d’un impôt d’Etat qui lui soit redistribué ce qui est le cas d’ailleurs aujourd’hui. A partir de là, la collectivité ou la région pourrait développer une politique fiscale. C’est tout à fait exact si l’on considère que les différentes régions du Maroc, sont extrêmement différentes les unes des autres et du coup, chaque région doit développer une politique fiscale en fonction de son potentiel. Certaines sont des régions de montagne, d’autres sont côtières… La vie économique et sociale dans ces régions n’est pas la même. Par conséquent les décideurs doivent mener des politiques adaptées aux caractéristiques de leurs territoires. Ce n’est pas simple, mais c’est un besoin urgent d’y penser.
Effectivement la question des finances revient en long et large et beaucoup d’encre a coulé sur la fiscalité régionale. D’aucuns considèrent que le déficit public et l’endettement trop important d’un Etat peuvent entraver la transition vers la fiscalité locale. Jusqu’à quel point partagez-vous cet avis ?
Si un Etat souhaite conserver le même niveau de vie à sa population dans un contexte où la croissance économique ne génère pas assez de ressources, la réaction immédiate est l’endettement. Le problème qui se pose avec la dette, c’est qu’elle génère des intérêts. Il s’agit donc d’une charge qui viendra s’ajouter à celles déjà existantes. C’est ce que nous appelons l’effet de ciseaux (des recettes évoluent moins vite que les dépenses). Cet effet de ciseaux peut être amplifié par un endettement trop important. Ensuite, il y aura un deuxième impact qu’est l’effet boule de neige. Il faut donc être vigilant à la maîtrise de la dette qui pourrait retentir sur tous les aspects de la vie économique et sociale. Il faut également savoir gérer la trésorerie.
C’est un problème qui se pose au Maroc non seulement pour les collectivités locales pauvres, mais également pour celles qui disposent d’une trésorerie très abondante.
La fiscalité territoriale au Maroc est marquée par la multiplicité des taxes qui sont difficiles à gérer. Ce qui se traduit négativement sur les régions. Dans une ville comme Casablanca, il est recouru à une SDL pour gérer les taxes. La consolidation de ces taxes est-elle la solution idoine et comment peut-elle se faire ?
Effectivement, il faut parvenir à simplifier le système fiscal local parce qu’il y a trop d’impôts et même trop de niches fiscales. La fiscalité dérogatoire plus le nombre important d’impôts et des redevances gênent bien entendu le développement économique de la région. Il faut une fiscalité locale simplifiée qui distingue entre les différentes taxes et qu’elle soit suffisamment claire pour les contribuables. Il faut aussi que ces derniers perçoivent la contrepartie de l’impôt qu’ils payent, sinon il y a un rejet de l’impôt.
Pour revenir au rôle central de l’Etat, on sait très bien que qui dit fiscalité locale, dit autonomie décisionnelle. Au Maroc, de quelle marge de manœuvre disposent les collectivités locales, si on prend en considération qu’au Maroc, toutes les décisions de la chose publique se font au niveau central ? Cela ne risque-t-il pas d’atteindre la souveraineté de l’Etat ?
Lorsque nous parlons d’autonomie des collectivités territoriales, il faut savoir de quoi on parle. L’autonomie financière des collectivités locales est composée de deux éléments : la première est une autonomie de gestion des fonds dont on dispose (emprunt, dotations, produit des impôts). A cette autonomie de gestion, il faut ajouter la formation du personnel et même les élus en charge de la gestion locale. L’autonomie de gestion est le socle sur lequel devrait reposer la décision. Je parlais des excédents de trésorerie dans certaines régions, cela est justement dû à un problème de gestion. Une trésorerie doit être gérée et bien maîtrisée.
Le deuxième élément de l’autonomie financière est celuifiscal. Les collectivités locales peuvent-elles avoir des impôts qui leur sont propres et pas uniquement une partie du produit de l’Etat qui leur est reversée ? Il s’agit encore d’un autre problème : quelle marge devons-nous donner à la région pour qu’elle puisse gérer ses propres impôts ? Cela peut concerner même le droit de les voter. La réponse à ces interrogations exige des élus locaux suffisamment avisés pour développer des politiques fiscales.