- Pour la 5ème année consécutive, la consommation du ciment est en baisse.
- Le secteur de la construction s’enfonce dans l’inertie.
- David Toledano, président de la fédération des industries des matériaux de construction (FMC) revient sur les failles ainsi que sur le fonds de solidarité habitat qui n’est pas utilisé à bon escient.
EcoActu.ma : La dernière note de la DEPF révèle une baisse de 6,9% des ventes du ciment au premier trimestre 2018 avec une décélération de 15,1% durant le mois de mars. Quelle analyse faites-vous de cette contraction ?
David Toledano : Le secteur est dans une situation extrêmement morose depuis plusieurs mois voire même plusieurs années. C’est pour la 5ème année consécutive que la consommation du ciment est en recul. Cette situation commence vraiment à poser problème. Le secteur de la construction ne réagit pas et continue à s’enfoncer dans une inertie. Même tendance pour la commande publique qui, malgré l’annonce de plusieurs milliards de DH, certaines infrastructures sont toujours au stade de projet. La consommation du ciment, seul indicateur viable du secteur, est depuis quelques mois dans le rouge. Nous nous sommes réunis le jeudi dernier avec le ministre de l’Habitat a qui nous avons fait part de cette morosité du marché, de nos inquiétudes et de la nécessité de donner plus de visibilité aux opérateurs. D’ailleurs, le ministre avait récemment lancé un certain nombre d’ateliers autour de la redynamisation du secteur à laquelle ont été associées les différentes fédérations concernées y compris la nôtre. Nous espérons que cette réflexion aboutisse rapidement et accouche de mesures concrètes pour stopper l’hémorragie. L’enjeu aujourd’hui est de donner aux industriels et au marché de la visibilité. Il est question de connaître quels sont les secteurs à encourager : logement social, moyen standing…
La question est aussi de savoir si le soutien au logement social sera-t-il abandonné notamment avec l’approche de l’échéance 2020. Nous avons besoin de savoir quel sera le logement de demain pour identifier les besoins de demain. Certes, il y a une forte demande en logements mais nous ne savons pas comment elle sera réalisée.
Justement en tant qu’opérateur, quelles sont les recommandations que vous avez formulées auprès des instances dirigeantes pour orienter la politique publique vers de nouveaux moteurs de relance ?
Il faut dire qu’il y a très peu de pistes à suivre. La relance par le soutien a connu ses limites. Aujourd’hui, il y a un certain nombre de lois qui ont été élaborées mais qui ne sont malheureusement pas appliquées. On ne peut pas dire que la qualité du bâti est mauvaise sachant que seulement 25 à 30% des constructions se font sans appel aux ingénieurs et aux architectes, qui eux exigent des produits normalisés. Rappelons que les architectes se plaignent aujourd’hui d’une loi qui pénalise leurs actions. Je pense qu’il faudra rapidement l’amender pour rassurer les architectes et les intéresser non seulement aux grands projets publics ou privés mais également aux petits chantiers. C’est pourquoi, à un moment où à un autre, il va falloir prendre conscience de cet état de fait, mettre de l’ordre, impliquer les professionnels dans la réalisation du projet de bout en bout et respecter les lois.
Quel est le rôle des autorités publiques pour mettre de l’ordre et mettre fin à ce laisser-aller ?
Il faut être drastique dans le respect des lois de construction. Chaque chantier de construction doit répondre à toutes les exigences réglementaires à savoir l’autorisation de construire, le nom de l’ingénieur ainsi que de l’architecte…
Nous avons besoin d’une révolution pour assainir le secteur et nouer avec la croissance. D’autant plus, aujourd’hui nous avons des normes, des lois et des textes qu’il faut appliquer avec rigueur et donc arrêter de légiférer. Pour cela, une communication de masse pour sensibiliser la population s’avère nécessaire.
Cette morosité du secteur n’est-elle pas l’écope du retard de la mise en place du contrat-programme BTP ?
Le contrat-programme des matériaux de construction va certes aider à l’amélioration des coups de production et permettre de mieux connaître les maux dont souffre le secteur. Toutefois, avec une augmentation des importations sauvages, une forte concurrence informelle et des interlocuteurs non-instruits que nous ne pouvons pas convaincre, je pense qu’il est difficile de sortir la tête de l’eau. D’ailleurs, aujourd’hui on ne parle même plus de préférence nationale. Face à une concurrence étrangère féroce, nous devons défendre notre industrie d’une façon ou d’une autre comme le font les grandes puissances à l’instar des Etats-Unis. Ce n’est pas normal de continuer à ouvrir nos portes de telle façon à mettre en péril l’industrie locale. L’écosystème que nous tardons à mettre en place passe forcément par l’intégration de tous les maillons de la chaîne notamment la FNBTP, la FMC, la FMPI et les cimentiers. Nous sommes toujours en négociation pour y intégrer les architectes, les ingénieurs ainsi que les topographes.
Code de la commande publique, mise en place d’une instance paritaire pour le pilotage, suivi et évaluation de la réglementation de la commande sont également des chantiers prioritaires pour faire aboutir la réforme. Où en sont aujourd’hui ces chantiers et quelle en serait la valeur ajoutée pour le secteur, une fois aboutis ?
Il y a deux choses importantes dans le secteur. D’une part, la loi en vigueur stipule que les produits décrits dans les cahiers des charges et les CPS doivent répondre aux normes marocaines. Or, aujourd’hui nous retrouvons dans des appels d’offre des spécificités du concurrent voire même de la marque. Ce qui est inadmissible. C’est pourquoi nous demandons l’application purement et simplement de la loi. L’Etat doit donner l’exemple et obliger les opérateurs à faire de même.
D’autre part, il y a le fonds de solidarité habitat qui a atteint 2 Mds de DH/an financé principalement par la taxe parafiscale sur les ventes du ciment et à laquelle se sont rajoutées celles du sable et de l’acier. L’objectif dudit fonds, censé financer la lutte contre les bidonvilles et les habitations menaçant ruine, a été détourné. Aujourd’hui, le ministère de l’Habitat se fait passer pour un bailleur de fonds et répond à un certain nombre de demandes qui émanent des élus locaux notamment pour l’aménagement d’une entrée de ville, le financement d’un projet…
C’est pourquoi nous exigeons aujourd’hui la création d’une instance qui gère ce fonds pour plus de transparence de cet argent qui ne va pas au budget général de l’Etat et qui n’est collecté ni par le ministère des Finances ni par la DGI. Il est important que l’allocation de cet argent revienne dans le circuit pour relancer la machine et redynamiser le secteur.