Avec un marché de travail marqué par un taux d’inactivité très élevé (surtout pour les femmes et les jeunes), un chômage des jeunes élevé et un taux d’activité et un taux d’emploi faibles, le Maroc doit faire face à de nouveaux défis ! Changement climatique, intelligence artificielle mais aussi vieillissement de la population. Si à la base, le pays souffre d’une décorrélation entre croissance et emploi, quelles tendances futures potentielles du marché de travail face à ce nouveau défi?
La part de la population marocaine âgée de 60 ans et plus ne cesse de croître, passant de 9,4% en 2014 à 12,7% en 2023 et devrait atteindre 23,2% en 2050. Comme dans tous les pays du monde, ce vieillissement est dû à l’allongement de l’espérance de vie et à la baisse de la fécondité, rappelle l’Institut Royal des Etudes Stratégiques IRES qui vient de publier un important rapport sur la croissance et la création d’emploi, analysée sous toutes ses coutures.
D’après le HCP (2017), si l’on considère la population de 18 à 24 ans comme représentant celle entrante au marché du travail, on constate qu’elle connaîtrait un accroissement de son effectif jusqu’au 2032.
Après cette date, elle diminuerait sensiblement pour atteindre 3,8 millions en 2050, soit une baisse d’environ 10% par rapport à l’année 2014.
Toutefois, la population préparant la retraite, soit celle âgée entre 50 et 59 ans, verrait son effectif augmenter de 22% passant de 21,1 millions à 25,7 millions entre 2014 et 2050.
Concernant l’impact de l’émigration sur la population active, l’intention d’émigrer est relativement plus élevée parmi les chômeurs (50,9%) selon l’enquête nationale sur la migration internationale au Maroc faite par le HCP (2018-2019).
Les actifs occupés expriment également, une intention d’émigrer avec une proportion de 21,9%.
Les tendances futures potentielles du marché de travail au Maroc sous l’effet du vieillissement de la population
Beaucoup d’études et de recherches ainsi que des rapports des organismes internationaux se sont intéressés à l’impact du vieillissement de la population.
La quasi-totalité de ces travaux concerne des pays riches et industrialisés et s’intéressent, plus particulièrement, à la problématique des retraites.
La relation entre évolution démographique et déséquilibre du marché de travail a été relativement moins étudiée. De ce fait, l’IRES préconise sur le plan méthodologique, de prendre conscience que même si le vieillissement de la population sera à l’origine d’un changement majeur sur le marché de travail, il ne peut être la seule variable de ce changement, de plus que dans la plupart des cas, il ne peut être la cause directe car la variable démographique agit généralement à travers des canaux macroéconomiques multiples.
Dans le cas du Maroc, le taux d’activité pourra se maintenir et même augmenter mais cette situation ne pourra pas aller au-delà de 2032, date à laquelle la population entrante sur le marché de travail (15 à 24 ans) commence à baisser.
De plus, les flux d’immigration venus de l’Afrique subsaharienne ne pourront compenser les flux d’émigration des jeunes marocains car le Maroc n’est pas un pays d’immigration mais un pays de transit.
Un certain nombre de défis est à envisager
Tout d’abord, le vieillissement de la population induira des modifications de l’offre de travail qui nécessiteront des ajustements de la part des entreprises, souligne le rapport. Des coûts financiers seront engagés pour gérer les flux des départs à la retraite et la formation des nouveaux travailleurs. Certains secteurs seront plus impactés que d’autres par le vieillissement de la population comme le secteur de la santé.
Selon l’étude de l’IRES, on assistera aussi de plus en plus au développement de métiers liés aux services de proximité pour les personnes âgées.
Une croissance de la demande aura lieu dans ce secteur, et est souvent citée comme un avantage du vieillissement de la population. Les dépenses de santé augmenteront et puisque le Maroc va vers un système de généralisation de la couverture maladie, ceci va entrainer des hausses des prélèvements qui affecteront le marché de travail en augmentant le coût du travail et en baissant l’épargne renchérissant aussi le coût des investissements.
Selon le rapport, les secteurs qui demandent du travail qualifié auront le choix entre deux options : soit encourager les seniors à rester plus longtemps sur le marché de travail, mais vu le progrès technologique rapide, leurs coûts de reconversion seront élevés, de plus de leurs rémunérations élevées, soit faire appel à des travailleurs jeunes tout en misant sur une augmentation de la productivité des facteurs.
Ce dernier choix aura un impact positif sur l’emploi et la compétitivité. Le salaire moyen va baisser car les nouveaux seront moins rémunérés que les anciens.
Les coûts des entreprises baisseront ce qui fera augmenter la compétitivité à l’internationale. Cette situation a plusieurs limites à moyen terme car une demande extérieure attirée par les prix bas, adviendra et les entreprises seront en manque de travail qualifié pour y répondre.
Concernant le secteur informel dans lequel le taux d’emploi atteint 60% de la population active, le fait que ces actifs ne bénéficieront pas de pensions de retraite va les maintenir en activité le plus longtemps possible.
En effet, les résultats de l’enquête nationale sur les personnes âgées effectuée par le HCP en 2006 indiquent que les personnes âgées qui perçoivent une retraite sont moins actives que celles qui n’en perçoivent pas. Même avec une généralisation de la protection sociale, cet allongement de la vie active aura lieu vu la prépondérance de l’auto-emploi dans le secteur informel.
Cette situation aura un impact négatif sur les revenus et sur le marché de travail du fait de la détérioration accrue de la qualité de l’offre de travail.
Le chômage, résultat d’un faible taux d’emploi dans le secteur industriel, persistera et s’aggravera davantage dans les secteurs qui demandent de la main d’œuvre non qualifiée, en même temps la pénurie de main d’œuvre qualifiée va s’accentuer dans les secteurs de la santé, de l’informatique, et de l’ingénierie et sera davantage aggravée par la fuite des cerveaux.
Les stratégies pour un marché de travail en mesure de relever le défi du vieillissement de la population marocaine
Le Maroc est appelé à anticiper un certain nombre d’actions pour faire face aux impacts négatifs du vieillissement de la population sur le marché de travail. Ces actions doivent, cependant, être compatibles avec son contexte économique et social et son tissu productif.
Selon l’IRES, les politiques d’offre doivent se mettre en marche pour ouvrir les perspectives d’évolution du marché de travail et de la compétitivité du pays.
Elles doivent viser :
- l’optimisation du système de formation avec un rétrécissement de la durée de formation pour les cycles longs pour voir arriver des actifs plus vite sur le marché de travail et l’augmentation du taux d’activité par la formation à la carte,
- l’augmentation du taux d’activité des séniors et des femmes et l’amélioration des incitations pour puiser le travail dans le secteur informel. Ces actions retardent l’apparition de la pénurie de main d’œuvre.
Un processus de robotisation de l’industrie et de l’émergence de l’intelligence artificielle dans le secteur des services doit être amorcé. Même si ce processus ne serait pas le premier défi à relever car le vieillissement de la population fait que la demande de travail de la part des entreprises baisse moins vite que la baisse de la population active. Le recours à la robotisation dépendra de la composition de cette demande et du niveau d’accès du pays à la technologie. Les pays qui connaissent déjà le phénomène de vieillissement de la population comme le Japon, l’Allemagne, la Corée du Sud sont très investis dans le processus de robotisation.