Dans un article[1] daté 04 Juillet 2025, j’avais franchement déclaré que le mix électrique de l’Australie du Sud était l’exemple technique que devrait suivre le Maroc puis, dans un article suivant[2] daté du 08 Juillet 2025, je déclinais les avantages nouveaux que présentait désormais le couple batteries & modules solaires pour alimenter les réseaux électriques à prix compétitif et sans intermittence avant de pouvoir en déduire, le 10 Juillet 2025, qu’il faudrait l’équivalent de 800 MWc annuels de solaire pour faire face à l’augmentation annuelle de la demande d’électricité.
Entre temps, MASEN a adjugé le 04 Août 2025 à Acwa Power (face à 7 autres concurrents) les deux futures centrales solaires Noor Midelt 2 et 3 cumulant 800 MW de solaire photovoltaïque et 602 MWh de batteries qui permettraient de produire près de 1’700 GWh/an, dont une partie serait fournie sous la forme d’une puissance de pointe de 230 MW durant deux heures à tout moment du jour ou de la nuit (la PMA, puissance maximale annuelle du Maroc, actuellement autour de 7’600 MW, est demandée durant une courte durée d’une des journées des mois de Juillet ou Août).
Depuis lors, un article ayant un titre et un nom de lien hypertexte alarmistes[3] est paru le 20 Septembre 2025 et a rapporté que l’Australie a écrêté (déconnecté) pas moins de 10 GW de puissance instantanée produite en raison d’une offre excédentaire. Il n’en fallait pas moins pour que quelques marocains s’inquiètent du fait que l’Australie ait été contrainte de déconnecter une importante part de puissance éolienne et solaire par insuffisance de moyens de stockage dans un contexte de forte croissance de nouvelles installations d’énergies renouvelables à travers le pays.
Or, il faut d’abord circonscrire l’information à ce qu’elle est avant de se projeter dans ce qu’elle voudrait faire croire : l’article dit bien que, pour éviter une surproduction record, la déconnexion substantielle d’excédents d’offre de puissance électrique(pas moins de 10 GW, soit presque moitié), mais qu’elle ne s’est imposée que ponctuellement à 13 heures du 01 septembre 2025.
Il n’est certes pas facile de gérer un réseau avec de forts taux d’énergie intermittente, ce qui est loin d’être le cas au Maroc1 car la « difficulté de gestion » des réseaux électriques augmente avec les parts des capacités de production solaire et éolienne mises en jeu sans que leur production n’ait été lissée par l’usage de systèmes de stockage d’énergie tels que les batteries ou les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ou autres. En effet, la production de ces centrales éoliennes et solaires « domptées » par la contrôlabilité du stockage / déstockage, ne rentrent plus dans les parts intermittentes. Mais, en fait, qu’y a-t-il derrière l’expression « difficulté de gestion » des réseaux électriques ? – Il s’agit en fait de l’exposition grandissante à une obligation de délestages partiels de demande en cas de déficit ou bien encore de déconnexions partielles d’offre en cas d’excédent car, il ne faut pas se leurrer :
- face au déficit de production d’électricité, il n’y a que le déstockage ou l’appel aux interconnexions si l’on veut éviter les délestages partiels de demande,
- face aux excédents, il n’y a que le stockage ou l’évacuation sur les interconnexions si l’on veut éviter les déconnexions partielles d’offre.
Quels sont les inconvénients de ces délestages et déconnexions, ultimes solutions pour éviter les blackout ?
- Plus ou moins courants selon les pays, les délestages partiels de demande consistent à couper l’alimentation d’une partie du réseau électrique. Ils traduisent, en fait, une incapacité à satisfaire la totalité de la demande instantanée et sont d’autant plus négatifs pour l’économie, et pour l’opérateur réseau, que la puissance et la durée des délestages sont grandes (en fait, que l’énergie électrique délestée est grande).
- Plus ou moins courants selon les pays, les déconnexions partielles d’offre n’ont pas incidence sur l’économie du pays mais seulement sur la rentabilité des producteurs et/ou de l’opérateur réseau (en fait, d’autant plus que l’énergie électrique déconnectée est grande). Selon la nature des contrats, le déficit de rentabilité peut se traduire par un manque à gagner (chez le producteur) ou par un coût (chez l’opérateur réseau).
Un article de ABC News[4] a rapporté les chiffres détaillés réels ou prévus d’énergie déconnectée ou exportée de l’Australian Energy Market Operator (AEMO) :
- En 2024-2025 (5 GWh déconnectés ou exportés) sur 61+5=66 GWh ce qui représente 8%. Je pense que, dans les conditions australiennes, l’éolien et le solaire sont tellement bon marché que la prise en compte d’une perte même de 10% d’énergie annuelle ne devrait pas endiguer leur compétitivité face aux coûts et risques, internes et externes, de toutes les autres options.
- Prévisions 2049-2050 (80 GWh déconnectés ou exportés) sur 308+80=388 GWh ce qui représente effectivement 20% qui permettront aux Australiens soit de choisir entre (i) accepter cet état de fait ou bien encore (ii) dimensionner correctement le futur déploiement de batteries pour l’éviter.
Il faut savoir raison garder car des déconnexions de petites puissances offertes sur une longue durée (ramenée à l’année) ne causent pas plus de déficit de rentabilité que de grandes puissances offertes sur de courtes durées (ramenées à l’année), comme celle de l’Australie du 1 Septembre 2025 qui sont plus spectaculaires. Le titre de l’auteur de l’article3 de « Révolution Energétique » fait ressortir ce deuxième aspect que voudriez-vous déconnecter dans un pays ou la quasi-totalité du parc est éolien et solaire. A cet égard, ce n’est pas plus étonnant que lorsque la France, dont la quasi-totalité du parc est nucléaire, a dû réduire ou déconnecter sa puissance électronucléaire disponible. Pour conclure cette partie avec le sourire. Il est certain qu’aujourd’hui, on ne verra pas plus d’articles intitulés :
« Ivre d’énergie nucléaire, l’Australie déconnecte une puissance de réacteurs phénoménale« , que d’articles intitulés : « Ivre d’énergie renouvelable, la France déconnecte une puissance éolienne et solaire phénoménale« .
Il est bien évident que toutes les centrales intermittentes sont objectivement plus à même de générer des causes de déconnexions mais le très faible coût de l’énergie éolienne et solaire offre de très larges flexibilités économiques à faire face aux risques de déconnexion et ils sont bien naïfs ceux qui croient que les études de faisabilité technico-économiques des centrales électriques ne prennent pas déjà en compte un minimum de risques encourus par les déconnexions d’offre.
Pour conclure… contrairement au délestage en cas de déficit, la déconnexion en cas d’excédent ressemble plus à une « maladie de riche » qui présente des inconvénients mais n’est surtout pas une catastrophe ! Et comme il n’y a pas de monde avec un risque zéro, il va falloir se faire à l’idée que la déconnexion de 10% de la production des futures centrales éoliennes et solaires n’est pas plus honteux que la déconnexion de 90% de la production des turbines à gaz, qu’au Maroc nous n’atteignons même pas.
RÉFÉRENCES
[1] Amin Bennouna, « Mix électrique de l’Australie du Sud, exemple technique que devrait suivre le Maroc« , EcoActu 04 Juillet (2025),https://ecoactu.ma/mix-electrique-de-laustralie-du-sud-exemple-technique-que-devrait-suivre-le-maroc/
[2] Amin Bennouna, « Le couple batteries & solaire offre désormais, en plus de l’inertie, un coût très compétitif », EcoActu 08 Juillet (2025), https://ecoactu.ma/le-couple-batteries-solaire-offre-desormais-en-plus-de-linertie-un-cout-tres-competitif/
[3] Kevin CHAMPEAU, « Ivre d’énergies renouvelables, l’Australie déconnecte une puissance éolienne et solaire phénoménale », Webmagazine Révolution Energétique, 20 Septembre 2025, https://www.revolution-energetique.com/actus/laustralie-fait-une-overdose-denergies-renouvelables/
[4] Daniel Mercer, « Australia ‘wasting’ record amounts of renewable energy as share of wind and solar soars« , ABC News Web magazine, 7 Septembre 2025, https://www.abc.net.au/news/2024-09-08/renewable-energy-wasted-as-australia-greens/104321770