Défaillances à l’exportation, risques de faible inflation, dette publique, déficit courant, élargissement de la bande de fluctuation du DH… autant de points débattus avec Stéphane Colliac, Economiste Senior Euler Hermes.
EcoActu.ma : Le contexte international est empreint d’incertitudes allant dans le sens d’une perte de dynamisme de la croissance économique mondiale. Dans ces conditions, quels sont les risques qui planent directement sur l’économie marocaine ?
Stéphane Colliac : La diminution de la demande en zone euro est certainement le premier des risques pour le Maroc. La zone euro représente en effet plus de la moitié des exportations marocaines, avec des doutes persistant sur la croissance française et allemande (2ème et 3ème débouchés du Maroc). A ceci s’ajoute la probabilité maintenant assez forte d’une croissance des défaillances à l’exportation pour le Maroc, qui devrait atteindre +2% en 2019 selon un calcul d’Euler Hermes. Les répercussions d’un ralentissement économique sur le Maroc concernent également ses dernières success story en date à l’exportation, l’automobile au premier chef avec le retournement de la demande mondiale au 2ème semestre, notamment en Chine mais également en Europe de l’Ouest.
La lecture de la Loi de Finances 2019 laisse transparaître une configuration budgétaire foncièrement prudente. D’après-vous cela ne réduit-il pas la marge de manœuvre des pouvoirs publics en pesant davantage sur la croissance économique ?
Il est certain que dans une phase de croissance un peu plus basse, puisque nous nous attendons à +2,7% cette année au Maroc, un peu plus de souplesse budgétaire ne serait pas un mal. Toutefois, on peut comprendre que le gouvernement marocain souhaite donner une image de sérieux. D’abord il s’y est engagé, notamment auprès du FMI. Ensuite, cela est plutôt de nature à renforcer la confiance dans le Dirham et à stabiliser son taux de change. Si, d’aventure, la cible budgétaire n’était pas tenue in fine, et tant que ce n’est pas dans de trop fortes proportions, personne n’en voudra aux autorités marocaines. Leur dette est aujourd’hui soutenable, et ce ne serait pas -1 point de déficit supplémentaire qui changerait cela.
Dans le même sillage, d’aucuns considèrent la maîtrise de l’inflation à un taux de 1,2% comme étant un handicap pour la relance de la croissance économique nationale. Quelle est votre appréciation ?
Après des années de faible inflation, il est temps de dresser des constats. Il y a des causes externes et internes à cela. La stabilité du taux de change est le facteur externe primordial de cette stabilité. Mais on peut se demander si celle-ci correspond complètement aux besoins de l’économie marocaine, car elle porte le risque d’une détérioration de la compétitivité du royaume par rapport à ses principaux concurrents, phénomène dont souffre très probablement aujourd’hui l’industrie textile. Mais, n’oublions pas également les causes internes. La faible progression des salaires et la stabilité des prix immobiliers sont deux causes fondamentales de stabilité générale des prix. Ceci reflète d’un côté un taux de chômage proche de 10% et de l’autre une atonie structurelle du PIB de la construction, deux anachronismes car ils signifient qu’aujourd’hui le Maroc ne parvient pas à absorber la croissance de sa population urbaine.
Le financement de l’investissement pose également un sérieux problème. En cause, son financement par la dette dont l’encours ne fait qu’augmenter. Quelle est l’alternative pour une économie où le taux d’épargne nationale reste insuffisant (27,7% du PIB en 2019) ?
Il n’est pas surprenant qu’une bonne partie de l’investissement soit financée par la dette quand on observe que l’immobilier constitue une part prépondérante de l’investissement direct étranger. De plus, notons que cet investissement direct étranger représente moins de la moitié du déficit courant du Maroc. La dette est la première source de financement de ce déficit. Mais cette dette externe n’est que le reflet d’une dette interne, celle qui nait avec les retards de paiement systématiques, comme mode de financement structurel de l’économie. Pour traiter la dette externe du Maroc, il conviendrait donc de traiter cette dette interne, c’est-à-dire éliminer les effets d’éviction qui laissent une bonne partie des entreprises à l’écart de délais de paiements raisonnables, ainsi qu’une partie de la population jeune du marché du travail. C’est l’autre dette du Maroc, celle qui provient de sa dette sociale, c’est-à-dire du coût pour les finances publiques et du sous-emploi.
Dans son dernier rapport, le Fonds Monétaire international recommande l’élargissement de la bande de fluctuation de la monnaie nationale. Si l’on prend en considération que le Maroc traverse une mauvaise passe économique, le moment est-il opportun pour opérer un tel élargissement ?
Lorsqu’on n’est pas sûr de soi, viennent des questions. Mais la raison pour laquelle le Maroc peut être conduit à douter de lui-même en ce moment n’est pas vraiment la question du taux de change. Les conditions pour une plus grande flexibilité sont réunies à notre sens, avec une inflation faible et des réserves de change suffisantes. Si des questions surviennent c’est probablement davantage vis-à-vis des Marocains eux-mêmes. On ne veut certainement pas ajouter ce facteur d’incertitude à ceux qui existent déjà. C’est compréhensible, mais l’hésitation qui a marqué la première vague de flexibilisation n’est pas de nature à rassurer. Pourtant, nous considérons que la flexibilité du taux de change est nécessaire, car ce n’est qu’avec elle que des instruments de couverture contre le risque de change pourront vraiment se développer.
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