Interviewé par Imane Bouhrara I
Les dysfonctionnements du marché du travail au Maroc ne datent pas d’aujourd’hui. Sauf que ces dernières années, ils atteignent des proportions plus qu’alarmantes. Le taux de chômage caracole depuis des mois au-dessus de la barrière de 13% atteignant parfois même des records historiques, selon les données du HCP. Mais ce qui se cache derrière ces données est encore plus alarmant. Pourquoi le Maroc ne parvient-il pas à résorber le déficit d’emplois ? Où se situent les goulots d’étranglement ? La réponse avec Azeddine Akesbi, invité de l’émission Hiwar.
Le chômage des jeunes lui a doublé en 10 ans. Le phénomène s’accentue chez les femmes et les diplômés. Le nombre de NEET s’élève à 1,5 million de jeunes (entre 15 et 24 ans). Autre chiffre alarmant, la proportion des chômeurs primo-demandeurs d’emploi au Maroc s’est établi à 51,2% en 2023.
Les données inquiètent sur les dysfonctionnements du marché du travail, particulièrement l’incapacité à résorber le déficit de création d’emplois, seul prélude à améliorer les indicateurs du marché du travail au Maroc.
Azeddine Akesbi, professeur d’économie, consultant et expert spécialiste en éducation, protection de l’enfance, économie de l’emploi, marché du travail, et formation professionnelle, analyse les données et révèle qu’elles cachent d’autres tout aussi inquiétantes, notamment le réel nombre des NEET qui atteint quatre millions au Maroc, le taux de chômage urbain qui dépasse les 16%, celui des jeunes qui dépasse les 36 %, des diplômés supérieurs qui avoisine les 26 % en 2023 et la part du chômage longue durée qui dépasse les 66 %, donc une large population ne profite d’aucune protection sociale encore moins d’indemnité de chômage (Allocation minime ne dépassant pas une dizaine de milliers de bénéficiaires).
Avec 100.000 emplois en moyenne créés par an, pour plus de 300.000 demandeurs, et l’informel qui représente les deux tiers du marché du travail, le déficit de création d’emploi ne cesse de se creuser.
Pour autant, le Maroc n’a de cesse lancé des politiques d’éducation et des programmes d’emploi. Pour Azeddine Akesbi, malgré la pertinence de certaines décisions, elles ont manqué de moyens adéquats, de bonne gouvernance et de l’absence de reddition des comptes.
Par ailleurs, beaucoup d’études, dont le dernier rapport de l’OCDE, citent l’assouplissement de la réglementation du travail mais aussi l’amélioration de l’attractivité du travail dans l’économie formelle, notamment en abaissant les cotisations sociales des travailleurs faiblement rémunérés, sont de nature à améliorer l’employabilité.
Mais pour Azeddine Akesbi, cette question est une thématique importante surtout dans les économies développées qui relèvent des rigidités dans le fonctionnement du marché du travail. Mais le Maroc est loin de ce scénario, ne se pose pas à grande échelle et se cantonne dans l’économie formelle et dans certains secteurs. Pis, la majorité du marché de l’emploi est dominée par l’informel donc des postes faiblement rémunérés, non protégés par la réglementation du travail.
Pour Azeddine Akesbi, le plus important pour le moment est de rester focalisé sur le déficit de création d’emplois qui est le facteur dominant et déterminant sur les taux de chômage et d’activité.
Et au-delà, les conditions de travail qui, si elles sont précaires incitent au départ, l’exemple des ingénieurs est édifiant.
In fine, si le Maroc a lancé des politiques intéressantes, il faut rappeler le déficit d’accompagnement et de gouvernance comme verrous à faire sauter pour essayer de résoudre les dysfonctionnements du marché du travail et améliorer ses indicateurs.
Et puis, le point d’achoppement est de rompre le cycle d’une croissance atone. Pour Azeddine Akesbi, cela demeure la question centrale pour résorber le déficit de création d’emplois.