Le 25 Novembre 2025, une Cour d’Appel tunisienne a rendu des condamnations allant jusqu’à 45 ans de prison à l’encontre de 40 personnes : des leaders politiques, des avocats, des hommes d’affaires sous les chefs d’accusation « complot contre la sûreté de l’Etat » et « adhésion à un groupe terroriste ». Ce procès s’inscrit dans une série de jugements sévères prononcés depuis 2023 contre des opposants, des figures politiques et des journalistes.
Ce jugement traduit la dérive démocratique de la Tunisie depuis l’élection le 23 Octobre 2019 de Kaïs Saïed, un nouveau venu dans le monde politique, juriste et universitaire spécialiste du droit constitutionnel. Alors que la révolution de 2011 en Tunisie consécutive au Printemps arabe avait permis une ouverture politique, la liberté d’expression et l’Etat de droit, les différents gouvernements qui se sont succédés ont abouti à une paralysie politique, au développement de la corruption et à l’échec des élites. C’est ce qui explique la victoire de Kaïs Saïed à l’élection présidentielle de 2019 avec 72,7% des suffrages exprimés au second tour.
La dérive démocratique de la Tunisie débute le 25 Juillet 2021 date à laquelle Kaïs Saïed assume les pouvoirs exécutifs, après avoir suspendu le Parlement, et limogé le Premier ministre. Par la suite, il révoque le gouvernement, dissout le Parlement et prend le contrôle du Parquet. Il dissout également le Conseil supérieur de la magistrature en 2022, et limoge par décret plusieurs juges sans procédure judiciaire régulière. Il promulgue en 2022 une nouvelle Constitution qui élargit les pouvoirs du président, et réduit les contre-pouvoirs parlementaires et juridiques. Cette Constitution est adoptée par référendum avec une très faible participation de 30%.
Il procède à une réforme électorale qui affaiblit les partis politiques, et marginalise l’opposition. En résumé, on peut considérer que la Tunisie connait un retour progressif à un autoritarisme d’Etat, malgré les acquis importants de la révolution de 2011.
Parallèlement à la crise politique, la Tunisie connait une situation économique fragile. La croissance économique en 2024 était seulement de 1,4%, pour les 9 premiers mois de 2025 il y a une augmentation à 2,4%. En Octobre 2025, l’inflation a été de 4,9% et le taux de chômage a atteint 15,3%. La dette publique est élevée (84% du PIB en 2024) et le déficit budgétaire de 6,3%. En 2025, il est prévu un déficit commercial de 1,9% du PIB, et un déficit de la balance des paiements de 1,7% du PIB.
En politique étrangère, Kaïs Saïed a opéré un rapprochement diplomatique et politique fort avec l’Algérie. Il a souligné « l’unité de destin » entre la Tunisie et l’Algérie, et a qualifié le partenariat bilatéral de stratégique. Depuis la présidence de Kaïs Saïed, l’Algérie aurait mobilisé jusqu’à 800 millions de dollars en faveur de la Tunisie entre prêts, dépôts et aides diverses. Parmi les aides de l’Algérie à la Tunisie, on peut mentionner les facilités pour l’approvisionnement énergétique (gaz et hydrocarbures), ce qui est crucial pour la Tunisie compte tenu de son déficit énergétique structurel.
Les deux pays entendent diversifier leurs échanges dans les secteurs du commerce, des investissements, des infrastructures, de l’énergie et du transport. En contrepartie de ces aides de l’Algérie, on note un alignement diplomatique de la Tunisie sur des dossiers régionaux ou internationaux. C’est ainsi que sur le dossier du Sahara, la Tunisie s’est alignée sur la position algérienne en citant le « droit des peuples à l’autodétermination ». Plus grave encore, Kaïs Saïed a accueilli personnellement le chef du Polisario Brahim Ghali le 26 Août 2022 à l’aéroport de Tunis-Carthage à l’occasion de la tenue à Tunis du Sommet TICAD 8 (Forum de coopération Japon-Afrique).
La réaction du Maroc ne s’est pas fait attendre, l’accueil protocolaire du chef du Polisario par Kaïs Saïed a été perçu par Rabat comme un « acte hostile » et une violation de la neutralité traditionnelle de la Tunisie sur le dossier du Sahara. En réaction, le Maroc a rappelé son ambassadeur à Tunis et les relations diplomatiques ont été de facto gelées depuis.
On ne peut que regretter la situation actuelle de la Tunisie avec laquelle le Maroc a toujours entretenu de bonnes relations. Il faut espérer le retour le plus rapidement possible de la démocratie et de l’Etat de droit dans ce pays frère. Ce rapprochement de la Tunisie avec l’Algérie empêche toute relance de l’Union Maghrébine. Concernant le dossier du Sahara, la résolution 2797 du Conseil de sécurité de l’ONU qui accorde la prééminence au plan d’autonomie du Maroc marginalise la position aussi bien de la Tunisie que de l’Algérie.
Ecrit par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)








