Dans son rapport « Créer des marchés au Maroc », dans lequel elle évoque une deuxième génération de réformes pour stipuler la croissance du secteur privé, la création de l’emploi et l’amélioration des compétences, la Banque mondiale rappelle que les entreprises publiques ont été le principal vecteur par lequel le gouvernement a poursuivi ses politiques de développement. Les entreprises publiques jouent un rôle majeur dans les projets d’infrastructure et de développement, ainsi que dans la promotion des secteurs stratégiques et l’aide au développement des régions éloignées. Bien que le gouvernement ait revu son approche en matière d’intervention dans l’économie, en procédant à des privatisations dans les années 2000 et en créant de nouvelles catégories d’entreprises publiques, notamment des sociétés à responsabilité limitée et des participations minoritaires, les entreprises publiques continuent à jouer un rôle majeur dans le soutien des programmes et projets phares du gouvernement.
Les dépenses d’investissement des entreprises publiques représentent la plus grande part de l’investissement public, financé par les subventions sur les recettes de la privatisation. Le portefeuille de l’État comprend 725 entités qui fournissent environ 130.000 emplois (2016-2017), dont 210 établissements publics statutaires et 515 sociétés à responsabilité limitée dans lesquelles l’État est propriétaire ultime et exerce un contrôle partiel ou total. Six entreprises publiques contrôlent environ les deux tiers de toutes les filiales et sept d’entre elles ont réalisé près de 60 % du total des investissements des entreprises publiques en 2016 ; il s’agit de l’OCP, l’ONEE, la HAO, l’ONCF, la CDG, la RAM et TMSA.
Le Maroc a entrepris un vaste programme de réformes à la fin des années 1990 et dans les années 2000 dans le but de moderniser son cadre juridique et réglementaire et d’adapter son secteur des entreprises publiques (SOE) par des privatisations et libéralisations. Les recettes de la privatisation ont fourni à l’État des ressources considérables et ont servi à financer des projets d’investissement public dans le cadre du Fonds Hassan II pour le développement social et économique.
Au-delà des premières privatisations, l’accent mis ultérieurement sur la corporatisation des opérateurs publics et le développement des participations de l’État dans les sociétés à responsabilité limitée ont radicalement modifié le secteur des entreprises publiques, améliorant leur transparence, leur professionnalisme et leur contrôle. Depuis le plus fort des privatisations des années 1990 et 2000, les cessions d’entreprises publiques ont été compensées par la création de nouvelles entreprises publiques et filiales.
Des centaines de filiales ont été créées au cours de la décennie écoulée, pour la plupart des sociétés à responsabilité limitée, entièrement ou partiellement contrôlées par des holdings. Ces nouvelles entreprises publiques ont joué un rôle essentiel dans le soutien des principaux programmes gouvernementaux, mais elles ont aussi pu avoir un impact sur le développement du secteur privé, limitant l’entrée et le développement d’entreprises des secteurs concernés de l’économie marocaine. Les entreprises publiques ont peu de restrictions qui les empêchent de s’intégrer verticalement ou de se lancer sur d’autres marchés, ce qui accroît leur potentiel d’éviction des investissements privés.
Dans la plupart des pays, les entreprises publiques ne peuvent pas se lancer dans des activités commerciales en dehors de leur domaine d’activité principale, que ce soit en vertu de leur charte ou de la loi sur les entreprises publiques. La participation des entreprises publiques à un marché peut empêcher l’entrée de nouvelles entreprises et l’expansion d’entreprises existantes.
Au Maroc, de grandes entreprises publiques comme l’Office National de l’Électricité et de l’Eau Potable (ONEE), Royal Air Maroc (RAM), l’Office Chérifien des Phosphates (Groupe OCP) et la Caisse de dépôt et gestion (CDG), ont créé plusieurs filiales dans divers secteurs, elles mêmes ou par des joint-ventures avec des partenaires nationaux et étrangers. Souvent, cela s’est produit sans motivation évidente et en tenant peu compte des coûts d’opportunité de la participation de l’État dans une nouvelle entreprise. Lorsque des filiales sont créées, on tient généralement peu compte de la présence du secteur privé, ni si celle-ci répond de la demande existante ou projetée sur le marché. De plus, le choix des partenaires des joint-ventures se fait généralement selon des procédures de sélection ad hoc, sans mise en compétition des candidats potentiels.
La CDG participe directement – et pas seulement en tant qu’investisseur – dans un vaste éventail de secteurs, par l’intermédiaire de ses filiales et/ou dans le cadre de partenariats avec le secteur privé. Ces secteurs comprennent la gestion des retraites, l’activité principale de la CDG, le développement territorial, le tourisme, la finance et l’investissement et l’éducation. Des exemples de l’activité de la CDG au-delà de son cœur de métier, vont de la promotion immobilière où elle reste leader grâce à son accès privilégié au foncier, généralement une contrainte majeure pour les investisseurs privés, à l’enseignement supérieur, la CDG étant l’actionnaire majoritaire de l’Université internationale de Rabat.
La RAM, qui est la compagnie aérienne nationale, possède des filiales dans le transport de passagers et de fret, la manutention aéroportuaire et d’autres services liés au transport aérien. Elle participe également à des joint-ventures, notamment dans le secteur de la maintenance aéronautique avec Air France (Aerotechnic Industries) et le groupe Safran (Snecma Maroc Engine Services), dans le secteur de la formation et de la simulation avec Boeing (Casa Aero), et dans le secteur du voyage avec Amadeus (Amadeus Maroc).
Même lorsque le secteur public conclut des partenariats avec des opérateurs privés, le cadre réglementaire n’est pas toujours conforme aux principes de concurrence. Des instruments juridiques qui se chevauchent régissent la collaboration entre les secteurs public et privé, réduisant ainsi la prévisibilité et la transparence. Par exemple, la loi sur les PPP (loi 86-12) offre un cadre moderne pour articuler les partenariats public-privé, mais elle ne s’est pas substituée à la réglementation sectorielle, qui continue de s’appliquer.
Il en résulte un chevauchement et des cadres potentiellement contradictoires pour la participation du secteur privé à l’investissement dans les infrastructures et une incertitude quant aux lois qui s’appliquent aux différents contrats. Un autre exemple concerne la sélection directe, ad hoc, de partenaires privés par les entreprises publiques pour des joint-ventures de droit commercial, comme celles entre la CDG et DXC Technology et la RAM avec Air France.
Des exemples de l’UE et de ses États membres soulignent l’importance de la mise en œuvre de ce type de partenariat au moyen de procédures de sélection concurrentielles.
Enfin, les entreprises publiques peuvent investir dans des opérateurs privés (CDG dans les opérateurs de télécommunications), même lorsqu’elles leur font concurrence sur le marché ; par exemple, l’ONEE est autorisée depuis 2002 à prendre des participations dans des entreprises privées de production électrique. Ceci peut limiter les incitations à la concurrence et promouvoir des comportements anticoncurrentiels, soit par la coordination, soit par la discrimination en faveur des opérateurs privés avec participation d’entreprises publiques.
Le gouvernement tente de rationaliser la participation des entreprises publiques au marché, avec des résultats mitigés. Les autorités ont commencé à moderniser les entreprises d’État et à les intégrer dans la législation commerciale générale à la fin des années 90. La Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) du ministère des Finances est chargée de promouvoir la participation du secteur privé et de favoriser un secteur public plus efficace.
Entre autres outils, la DEPP utilise les contrats de programme pour convenir avec les entreprises publiques de la portée de leurs activités et des principaux indicateurs de performance. En ce sens, les contrats programmes ont été essentiels pour limiter la capacité des entreprises publiques à s’introduire dans des marchés connexes et non connexes. Ainsi, bien que la RAM reste active sur plusieurs marchés, le contrat-programme a contribué à la rentabilité de l’entreprise en réduisant le périmètre de ses activités tout en lui offrant une compensation pour des services publics non rentables mais essentiels.
De même, dans le cadre du contrat-programme de l’ONEE (2014-2017), une réforme réussie des subventions tarifaires dans le secteur de l’électricité a été introduite, ce qui a permis à l’ONEE de dégager un excédent pour la première fois en 10 ans. Il existe cependant plusieurs exceptions : par exemple, la CDG, l’un des plus grands opérateurs financiers du pays, est dispensée de l’utilisation des contrats-programmes, ce qui a permis son expansion sur de multiples marchés. Sur les 350 entreprises publiques créées entre 2001 et 2010, la plupart étaient des filiales de la CDG. Le rapport analyse par ailleurs certains enseignements tirés de la privatisation de l’OCP et des réformes de sa structure de gouvernance qui ont été entreprises il y a dix ans dans le but de renforcer sa capacité à être compétitive sur les marchés internationaux.
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