Cela fait quelques mois qu’on évoque à la Banque mondiale des inquiétudes sur les marchés émergents alors qu’au FMI, on parle du risque d’avènement d’une nouvelle crise financière et économique à l’instar de celle de 2008. Quel crédit accorder à ces alertes surtout pour le Maroc, l’un des facteurs d’inquiétudes étant le niveau élevé de l’endettement ?
Dès début 2018, plusieurs économistes évoquaient l’essoufflement de la croissance mondiale avec toutes les conséquences que ce plafonnement de croissance pourrait avoir. Dans son rapport de mai 2018, la BERD évoque « Que la dynamique économique reste forte mais que la croissance pourrait maintenant avoir atteint un sommet. Les prévisions pour 2018 et 2019 représentent un ralentissement par rapport à 3,8% en 2017, ce qui reflète les taux de croissance de la productivité plus faibles dans les économies avancées et émergentes par rapport aux niveaux observés avant la crise de 2008-2009, ainsi que des tendances démographiques défavorables ».
C’est à croire que certaines économies ne sont pas sorties indemnes de cette crise 2008, d’autres n’en auraient finalement retenu aucune leçon.
Quelques mois plus tard, c’est autour d’autres institutions comme la Banque mondiale de formuler des inquiétudes sur les fragilités des pays émergents, qui ont pris un grand poids dans l’économie mondiale. Notamment des pays comme l’Argentine, la Turquie ou le Brésil faisant craindre que ces pays ayant connu soit des crises monétaires soit des tensions politiques pourraient constituer le foyer d’une nouvelle crise mondiale. Bien que ce scénario semble atténué par le maintien de la croissance dans ces pays mais également la croissance mondiale avec la forte progression de 5% du commerce international et la poursuite de l’évolution des investissements notamment de l’OCDE qui croient de 4%.
Mais le pire n’est pas derrière nous, à en croire le FMI. Le spectre d’une crise semblable à celle de 2008 planerait actuellement sur le monde. C’est en sus ce qu’a laissé entendre Christine Lagarde, la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) lors des Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale tenues en octobre à Bali. Elle a averti que « Il faut conjuguer les efforts pour réparer le système commercial mondial, pas le détruire ». Elle insiste sur la mémoire très courte qui fait que l’on n’ait pas retenu les leçons qui s’imposent de la crise mondiale de 2008 : « Il y a un an, j’avais dit que quand le soleil brille, il est temps de réparer le toit. Mais on n’a pas vu beaucoup de toits réparés, beaucoup de pays ont mangé leur pain blanc ».
Comprenez « Pour contenir la crise de 2008, les banques centrales ont fait tourner à fond la planche à billets (le fameux quantitative easing). Ceci a créé une nouvelle bulle et a gonflé la valorisation d’actifs (immobilier, entreprises…) », analyse l’économiste et professeur Hamid Bouchikhi.
« On s’attend à une correction sévère. Ajoutons l’endettement du gouvernement fédéral US, résultat de la baisse massive de l’IS par Trump et les tensions avec la Chine. Tout ça fait penser aux économistes que nous sommes à la veille d’une nouvelle crise. C’est le cycle économique où les bas suivent le haut et inversement », explique-t-il.
Mais pour le Professeur de l’enseignement supérieur et auteur de l’analyse historique sur « La dette du Tiers-monde » ainsi, Mohamed Bouslikhane, « Il s’agit d’un discours récurrent, surtout le FMI qui tient beaucoup aux équilibres macroéconomiques et pour lequel tous les déséquilibres proviennent fondamentalement de l’endettement. En effet, ce qui dérange ces institutions c’est l’effet cumulatif de la dette».
Et d’expliquer l’idée sous-jacente à ces inquiétudes : l’endettement perturbe les équilibres aussi bien internes qu’externes. Dans le cas des équilibres internes, l’endettement se manifeste par le déficit budgétaire, l’endettement de l’Etat, les dépenses excessives, inflation… De même que pour l’endettement externe qui est source de l’étouffement de l’économie nationale, puisqu’il implique la réduction des dépenses, notamment celles sociales…
« Adepte de l’économie de marché, le FMI est contre la logique keynésienne. Les grands équilibres constituent le fondement même de ces institutions. Il ne faut pas oublier que la deuxième guerre mondiale était fondamentalement due aux grands déséquilibres qui existaient dans les grandes économies développées. D’ailleurs le FMI et la Banque mondiale ont été créés pour stabiliser le système, la Banque mondiale en finançant les projets et le FMI chargé de veiller aux équilibres macroéconomiques. Pour eux les dépenses doivent être égales aux recettes et que l’endettement suppose de réduire les dépenses de « luxe », qui sont en fait les dépenses sociales dédiées notamment à l’éducation et la santé. Et de l’autre côté augmenter la production, encourager l’épargne… ».
Le rapport du FMI sur la stabilité financière dans le monde s’alarme en effet de la très forte hausse des dettes dues par les Etats, les entreprises et les ménages, relevant au passage que les pays émergents se financent davantage sur les marchés internationaux et risquent de ne pas pouvoir refinancer une part considérable de leur dette en devises étrangères.
Quid du Maroc ?
Pour Hamid Bouchikhi, « Le fait est que le Maroc est très peu connecté aux circuits de la finance mondiale. Ce ‘firewall’ limite les impacts adverses des chocs exogènes. Le Maroc risque surtout de devoir repasser par un ‘plan d’ajustement structurel’ si le service et le remboursement de la dette deviennent impossibles à supporter ».
Même son de cloche pour Mohamed Bouslikhane. C’est un secret de polichinelle : L’endettement au Maroc est un phénomène structurel. « Jamais le Maroc n’a été sans endettement, sauf une année ou deux après son indépendance », rappelle M. Bouslikhane. Ce qu’on appelle la théorie du gap qui dit que parmi les caractéristiques du sous développement la faiblesse de l’épargne par rapport aux dépenses. Pour combler ce gap on recourt à l’endettement. Ce type de dette doit être normalement temporaire.
« Le problème au Maroc est que nous avons une dette structurelle, puisque nous avons des besoins incompressibles et le pays ne produit pas suffisamment de ressources pour satisfaire ces besoins (Transferts MRE, recettes touristiques, dons…). L’on peut dire également que 80% des projets réalisés au Maroc sont financés par l’endettement », poursuit M. Bouslikhane.
Quand le niveau d’endettement atteint des seuils très élevés, le FMI réagit de deux façons, rappelle le chercheur. La première, en demandant au pays trop endetté de réduire ses dépenses, soit une austérité budgétaire. La deuxième voie est la restructuration de l’économie pour améliorer la compétitivité et produire plus, c’est ce qu’on appelle l’ajustement structurel !
C’est un peu la situation que craignent les économistes au Maroc si les déficits ne sont pas réduits et l’endettement du moins maîtrisé. Pour autant, le Maroc qui a toujours remboursé ses dettes rubis sur ongles, qu’il est érigé en modèle par ces institutions, est un élève assidu et peut même faire preuve d’excès de zèle dans l’application de certaines recommandations du FMI. Peut-être est-il arrivé le temps également de porter un regard critique sur ces institutions, qui formulent des recettes standards qui ne collent pas forcément à toutes les économies et qui ont montré leur limite. Ces recettes reposent sur deux types de mesures qui découlent du Consensus de Washington. Les premières de stabilisation découlent de la discipline budgétaire, notamment l’encouragement de l’épargne et la lutte contre la fuite des capitaux et une compétitivité du taux de change. Les deuxièmes relèvent des mesures structurelles, notamment la libéralisation du commerce, la suppression des barrières tarifaires, la réforme fiscale, l’égalité des chances entre les investissements étrangers et les investissements locaux, la privatisation, la déréglementation pour réduire la bureaucratie et lutter contre la corruption…
Malheureusement, c’est toujours ce discours libéral qui favorise l’économie de marché qui reste dominant sur la scène internationale. Notamment de ces institutions auxquelles le Maroc est dépendant financièrement dans une large mesure.
Il faut reconnaître que le Maroc n’est pas le seul puisque les pays ayant respecté ces mesures n’ont pas atteint la performance souhaitée également. Mais l’orthodoxie estime qu’il ne s’agit pas de l’échec du Consensus de Washington mais plutôt de l’incompétence de ces pays à appliquer les mesures qu’il édicte. Un discours qui ne convainc plus mais que voulez-vous, la loi du plus « riche » !