Fiscalité des combustibles liquides
Les droits et taxes à l’import applicables sont exigibles dès les points d’entrée des combustibles au Maroc :
- DI, le Droit d’Importation, donné à 2,5% par[1]
- TPI, la Taxe Parafiscale à l’Importation, donné à 0,25% par1
- TIC, la Taxe Intérieure de Consommation, donné à 2,422 Dh/litre par[2]
- TVA, la Taxe sur la Valeur Ajoutée, donné à 10% par1
Toutefois, si les deux premiers éléments (DI et TPI) sont calculés sur la base de la valeur importée incluant le coût, l’assurance et le fret (CAF) auxquels s’ajoutent de faibles coûts de manutention locaux, la 3ème (TIC), elle, est calculée sur la base de la quantité importée en litres alors que le 4ème élément utilise la base de calcul de la TVA somme de l’ensemble[3], soit CAF+DI+TPI+TIC.
Or si les masses (en kg) sont invariables et, semble-t-il, mesurables à l’importation, la connaissance des volumes (en litres) nécessite un calcul utilisant la densité (masse par unité de volume). Mais même si la densité moyenne du gasoil est d’environ 0,832 kg/litre à 15°C et que la dilatation la fait changer quelque peu avec la température (correction applicable de -0.084% par °C[4]), elle peut aussi différer d’un produit à un autre entre 0,800 et 0,845 kg/litre (d’où une variation maximale de ±2,7% par litre à l’application de la TIC qui, avec la TVA y afférent revient à ±2,97% qui mènent à une variation maximale de la TIC de ±0,072 Dh/litre). Il est utile de savoir qu’une masse donnée d’un gasoil déclaré légèrement plus dense aurait un volume plus petit et serait donc favorisé du point de vue de la TIC alors que ce gasoil plus lourd :
- devrait certes avoir un pouvoir calorifique plus élevé,
- mais aurait une auto-inflammation plus basse si sa densité élevée venait d’un faible indice de cétane.
Ceci permet de comprendre la complexité de l’application à une TIC lorsque les volumes taxés peuvent varier jusqu’à ±0,072 Dh/litre. Pour une sous-déclaration de densité portant sur 10% des 7,219 milliards de m³ consommés en 2024, cela pourrait cumuler un maximum de 520 millions de Dh de TIC non collectée. On ne peut certes pas tout savoir mais je ne comprends toujours pas pourquoi on n’applique pas la TIC à la tonne (ou au kg) comme cela se fait pour d’autres produits, mais oublions cela…
Organisations Professionnelles du secteur des combustibles liquides
La Fédération de l’Energie (https://www.fedenerg.ma/) inclut le Groupement des Pétroliers du Maroc (GPM), présidé par Adil Ziyadi qui représente les entreprises ayant des activités liées au secteur du pétrole. Les missions du GPM consistent « à représenter la profession, à favoriser le dialogue avec les pouvoirs publics et les parties prenantes ». En 2024, le GPM représentait 36 compagnies dans ce métier.
Les Fédération Nationale des Propriétaires, Commerçants et Gérants des Stations-service au Maroc (FNPCGS), présidée par Jamal Zrikem qui représente les professionnels des stations-service détaillant les combustibles. Les de la FNPCGS consistent « à défendre les intérêts du secteur, notamment en luttant contre la concurrence déloyale des stations illégales, en plaidant pour une révision de la loi sur les hydrocarbures et une régulation des ventes de carburant ». En 2024, la Fédération représentait plus de 3’400 stations-service.
Les problèmes d’actualité du secteur des combustibles liquides
- Depuis un an, le FNPCGS a réitéré des demandes aux officiels de combattre la concurrence déloyale, et illégale, de deux types de ventes en dehors des conditions de sécurité et de qualité exigées de la part des stations‑service : (i) les clients (transporteurs ou autres) livrés en gros par des camions-citernes des distributeurs qui en revendent une partie à l’intérieur de leurs locaux (au noir, dit-on) mais surtout, (ii) la vente directe de détail « mobile » sur la voie publique ou les parkings assurée par des camions-citernes équipés de compteurs volumétriques à des prix remisés (plus d’un Dirham dit-on).
- Promulgué le 22 février 1973 (il y a 52 ans !) le Dahir portant Loi N°1-72-255 impose un délai de stockage de 60 jours pour tous les combustibles ce qui signifie que les stocks ne devraient pas descendre en dessous de 60 jours de consommation. Bien que des décrets, tel que le N°2‑72‑513, aient été pris pour l’application de cette Loi, le seuil de 60 jours n’a jamais été atteint pour le combustible le plus demandé qu’est le gasoil puisqu’il dépasse rarement 30 jours. Le problème posé par l’insuffisance du stock a été exacerbé suite au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne. Certains, dont j’étais, accusent l’insuffisance des capacités de stockage disponibles mais il s’avère que celles-ci ne semblent pas être en cause puisque les 1,6 millions de m³ de stock de gasoil, les calculs donnent 79,8 jours pour les 7,219 milliards de m³ consommés en 2024. D’où l’idée, encore désirée semble-t-il par le MTEDD et les distributeurs, d’augmenter le stock réel de quelques jours en imposant aux stations‑service de maintenir un stock en fonds de cuve équivalent à un quart ou un tiers de leurs cuves.
- Même si ce n’est pas encore fait pour l’instant, il est possible de « marquer » les combustibles liquides en y ajoutant une faible quantité d’additifs différents qui, par une analyse chimique « simple », permet de « tracer » l’origine du combustible analysé. La Loi de Finance 2024 entérinait déjà une infraction pour absence de marquage fiscal du gasoil et du super lors de leur mise à la consommation mais, pour disposer du temps nécessaire à la mise en place de ce marquage, la Loi de Finance 2025 a reporté sa date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2026. Le MTEDD avait convoqué les représentants de la FNPCGS le 26 Septembre pour préparer la mise en œuvre de ce marquage, sans doute en présence du Ministère des Finances et du GPM. Le marquage permettrait, a posteriori :
- aux services fiscaux d’identifier les livraisons bénéficiant d’exonération de la TIC (pêche et navigation maritime) mais aussi, de mesurer la densité du gasoil dans les cuves des stations‑service et de procéder à un redressement de la taxation volumique de la TIC à l’importateur concerné,
- mais aussi, aux distributeurs, de s’assurer que les cuves des stations‑service contiennent bien le combustible de la marque affichée, même si le couvercle des cuves des stations‑service est déjà plombé à la livraison et vérifié à la livraison suivante.
La FNPCGS a utilisé le boycott de la réunion sur le marquage (3) du 26 Septembre pour faire pression sur le MTEDD afin que soient considérés les deux premiers éléments (1 et 2) précédents.
Mais pourquoi en est-on arrivé là ?
Sans revenir sur les détails, ni rappeler les chiffres mis en lumière dans nos articles précédents sur le sujet, il est utile de rappeler les faits avérés, prouvés par une autosaisine du Conseil de la Concurrence, que neuf compagnies Distributrices de combustibles liquides représentant 85% des ventes ont :
- procédé à une entente illégale sur les prix sanctionnée en Novembre 2023 (incluant le GPM),
- leurs comptes sous surveillance trimestrielle pendant 3 ans par ledit Conseil dont les 4 Rapports à date révèlent un maintien des marges élevées héritées de la période précédant la sanction et qu’elles n’ont donc rien fait pour « …améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché des hydrocarbures à l’avenir, de prévenir les risques d’atteinte à la concurrence au bénéfice des consommateurs« .
En ne pensant qu’à leur propre intérêt à court terme au détriment du transport et ses impacts, lesdits Distributeurs ont ouvert la Boîte de Pandore en portant même atteinte à l’intérêt de leurs propres revendeurs. En effet, l’augmentation des marges a créé un espace suffisant pour que de nouveaux intermédiaires puissent vendre, exclusivement en espèces et hors contrôle, et à des prix inférieurs à ceux qui sont pratiqués par les stations‑service qui ne sont que leurs propres revendeurs. Il suffit d’imaginer ce que représente le transport informel ou les taxis pour appréhender le poids que la vente hors station pourrait atteindre.
Pour ne rien simplifier, l’ensemble n’est pas du exempt de contradictions internes puisque : d’une part, il faut bien des distributeurs qui ne soient pas trop regardants sur l’activité des clients à qui ils livrent des citernes revendues hors stations‑service et, d’autre part, il faut bien des stations‑service s’approvisionnant hors de leur marque pour susciter les suspicions combinées des services fiscaux et de la marque de combustible qu’elles sont sensées vendre. Pas simple, mais la solution pourrait être dans le retour de la régulation !
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] Royaume du Maroc, Administration des Douanes et Impôts Indirects, « ADIL, Assistant au Dédouanement des marchandises à l’Importation en Ligne« , https://www.douane.gov.ma/adil/
[2] Royaume du Maroc, Administration des Douanes et Impôts Indirects, https://www.douane.gov.ma/dms/loadDocument?documentId=30314&application=rdii
[3] Site « Parlons logistic – La logistique décryptée au Maroc« , https://parlons-logistic.ma/comment-calculer-les-droits-et-taxes-a-limportation-au-maroc/
[4] Régie du Bâtiment du Québec, « Tableau des facteurs de correction du volume de l’essence et du carburant diesel à une température de 15°C« , https://www.rbq.gouv.qc.ca/domaines-dintervention/equipements-petroliers/proprietaires-et-exploitants/tableau-des-facteurs-de-correction-du-volume-de-lessence-et-du-carburant-diesel-a-une-temperature-de-15degc/