Ecrit par Lamiae Boumahrou I
Lancé en janvier 2024, le programme d’aide directe au logement, censé faciliter l’accès à la propriété et soutenir le pouvoir d’achat des ménages, montre aujourd’hui des limites préoccupantes. Faible adhésion des grands promoteurs, hausse des prix des logements éligibles, persistance du « noir » et absence de nouvelles productions dédiées au dispositif : près de deux ans après son lancement, le programme peine à atteindre ses objectifs et suscite de plus en plus d’interrogations quant à son efficacité réelle et à la nécessité de correctifs urgents.
Lancé en janvier 2024, le programme d’aide directe au logement continue de susciter des avis contrastés. Tandis que le gouvernement met en avant des résultats qu’il juge positifs, les promoteurs immobiliers alertent pour leur part, sur des dysfonctionnements structurels susceptibles de compromettre l’atteinte des objectifs fixés. De leur côté, de nombreux citoyens peinent toujours à trouver des logements correspondant à leurs attentes et répondant aux critères du programme, ce qui soulève de multiples interrogations.
À la lecture des chiffres communiqués par le ministère de tutelle, le constat est sans appel : le dispositif n’a pas généré l’engouement espéré, notamment auprès des grands promoteurs immobiliers, pourtant considérés comme des acteurs clés dans la résorption du déficit en logement. Selon les dernières déclarations de la ministre chargée de l’Habitat, Fatima Ezzahra El Mansouri, 80 % des biens acquis par les 76.238 bénéficiaires recensés au 24 novembre 2025 ont été produits par de petits promoteurs.
Si cette dynamique peut être perçue comme positive, dans la mesure où elle permet aux très petites entreprises (TPE) d’accéder au marché du logement, elle pose néanmoins la question du rôle des grands promoteurs, dont l’implication demeure indispensable pour répondre à la demande nationale et atteindre les objectifs quantitatifs du programme.
Dans les faits, les promoteurs ne se bousculent pas pour lancer de nouveaux projets conformes aux critères du dispositif. À ce jour, aucune statistique officielle ne permet d’évaluer le volume réel de logements construits spécifiquement pour répondre à la demande générée par le programme. Selon une source proche du dossier, les biens actuellement commercialisés dans ce cadre relèveraient essentiellement du déstockage de logements déjà construits dont le permis d’habité date de janvier 2023.
À cela s’ajoute un phénomène préoccupant : la persistance voire l’amplification du phénomène du « noir ». D’après la même source, cette pratique reste omniprésente, notamment dans la catégorie des logements à moins de 300.000 DH. En effet, pour y bénéficier, les promoteurs encaissent un noir allant jusqu’à 100.000 DH pour intégrer les logements dans cette catégorie. Une dérive qui figurait déjà parmi les principales craintes exprimées lors du lancement du programme, tant elle pénalise les acquéreurs et vide le dispositif de sa portée sociale.
Dès lors, la question se pose : les pouvoirs publics ont-ils mis en place les garde-fous nécessaires pour endiguer ces pratiques illégales ? Près de deux ans après le lancement du programme, la réalité du terrain semble confirmer ces inquiétudes.
La députée Fatima Tamni (FGD) a récemment interpellé la ministre de tutelle sur la flambée jugée alarmante des prix des logements éligibles à l’aide directe, ainsi que sur la généralisation du « noir », en totale contradiction avec les objectifs affichés.
« Les données relayées sur le terrain et les témoignages récurrents de professionnels et de citoyens font apparaître des évolutions préoccupantes qui contredisent l’essence même de ce programme », a-t-elle souligné. Elle a notamment cité des hausses spectaculaires des prix dans des villes comme Kénitra, Aïn Atiq ou Témara, où des logements auparavant proposés autour de 250.000 DH ont vu leurs prix grimper à 450.000 DH, voire davantage.
Autant d’éléments qui interrogent sur l’efficacité et l’efficience du nouveau programme d’aide au logement. Les promoteurs espéraient d’ailleurs des ajustements dans le cadre du projet de loi de finances 2026, afin de corriger les failles constatées et d’adapter le dispositif aux réalités du marché. Mais en vain. Ce qui est sûr c’est que les grands promoteurs continuent de produire des logements dans le cadre de l’ancien programme.
Car faut-il rappeler que bien que les incitations fiscales aient pris fin vers fin 2020, les promoteurs ont continué de produire des logements sociaux avec les mêmes avantages et vendre au même prix à savoir 250.000 DH. Selon la ministre, depuis fin 2020 à fin novembre 2025, 264.130 unités ont été produites dans le cadre des conventions (nombreuses) signées entre l’Etat et les promoteurs immobiliers avant l’échéance.
La ministre est aujourd’hui appelée à mettre en place des mesures urgentes pour mettre un terme à la vague de spéculation immobilière, à revoir les mécanismes de soutien et les conditions d’éligibilité afin de garantir que l’aide parvienne aux véritables bénéficiaires, au lieu de se transformer en rente déguisée au profit de certains promoteurs et à mieux encadrer et contrôler les prix du logement économique et intermédiaire.






