Alors que les tensions entre l’Iran et Israël atteignent un niveau critique, les répercussions économiques pourraient s’étendre bien au-delà du Moyen-Orient. Le Maroc, bien que géographiquement éloigné du conflit, n’est pas à l’abri des conséquences, notamment en raison de sa dépendance aux importations énergétiques et de ses liens commerciaux avec plusieurs acteurs régionaux.
Quels sont les risques réels pour l’économie marocaine ?
- Flambée des Prix du Pétrole et Instabilité Énergétique
Le détroit d’Ormuz, un passage clé pour près de 20 % du pétrole mondial, reste sous haute surveillance en raison des tensions géopolitiques impliquant l’Iran. En 2023, le Maroc, qui importe plus de 90 % de ses besoins en pétrole et gaz, a vu sa facture énergétique s’alourdir en raison de la volatilité des prix du baril. Une perturbation des flux pétroliers dans ce détroit pourrait entraîner une flambée des prix, comme observé lors des crises précédentes, avec un risque de pénurie affectant les centrales électriques et le secteur des transports. En 2022, les importations d’hydrocarbures du Maroc ont atteint 80 milliards de dirhams, et une hausse de 10 % du prix du baril représenterait un coût supplémentaire de plusieurs milliards pour le Trésor public, aggravant le déficit budgétaire.
Face à cette dépendance énergétique, le Maroc tente de diversifier ses sources d’approvisionnement et d’accélérer sa transition vers les énergies renouvelables. Toutefois, en 2023, les subventions publiques, via le fonds de compensation, ont continué de peser lourdement sur les finances de l’État, notamment en période de crise des prix. Une fermeture du détroit d’Ormuz aurait des répercussions immédiates sur l’économie marocaine, déjà fragilisée par l’inflation et les défis post-pandémiques. Les autorités marocaines doivent donc anticiper ces risques en renforçant leurs réserves stratégiques et en optimisant la consommation énergétique pour limiter l’impact d’une éventuelle crise.
- Inflation et Hausse des Prix à la Consommation
Une envolée des coûts énergétiques aurait un effet domino sur l’ensemble de l’économie marocaine. Dans les transports et la logistique, la hausse des prix du carburant entraînerait un renchérissement des produits importés, alimentant l’inflation. Le secteur agricole, très dépendant des engrais pétrochimiques et du carburant, verrait ses coûts exploser, ce qui se répercuterait sur les prix alimentaires, déjà sensibles aux aléas climatiques. Quant à l’industrie, l’augmentation des coûts de production affaiblirait sa compétitivité à l’export, alors que le Maroc mise justement sur les secteurs automobile et aéronautique pour dynamiser son économie.
Dans un scénario pessimiste, où le conflit régional perturberait durablement les approvisionnements énergétiques, l’inflation au Maroc pourrait franchir la barre des 6 %, contre environ 4 % actuellement (2024). Une telle situation amplifierait les pressions sociales, déjà sensibles en raison du pouvoir d’achat érodé, et obligerait l’État à augmenter les subventions, creusant encore le déficit budgétaire. Les autorités devraient alors arbitrer entre soutien économique et stabilité financière, dans un contexte international déjà tendu.
- Perturbations des Échanges Commerciaux
Le Maroc entretient des relations commerciales avec plusieurs pays touchés par les tensions autour du détroit d’Ormuz, ce qui expose son économie à des risques indirects. Une grande partie de ses importations, notamment en biens manufacturés et équipements en provenance de Chine et d’Inde, pourraient être retardées ou renchéries en raison de leur dépendance au pétrole du Golfe. Ces perturbations affecteraient des secteurs clés comme l’industrie et le BTP, qui reposent sur des chaînes d’approvisionnement fragiles. Par ailleurs, les exportations marocaines (automobile, phosphates, textile) vers l’Europe et l’Afrique subiraient une hausse des coûts logistiques, réduisant leur compétitivité.
Un autre risque réside dans l’extension des sanctions économiques contre l’Iran, qui pourraient compliquer les transactions financières internationales. Le Maroc, bien que non directement visé, pourrait pâtir d’un durcissement des contrôles bancaires et d’une contraction des investissements dans la région. Dans un contexte où le royaume cherche à attirer des délocalisations industrielles et à renforcer ses partenariats économiques, une escalade du conflit représenterait un frein supplémentaire à sa croissance. Les autorités devraient alors renforcer leur diversification commerciale et sécuriser leurs voies d’approvisionnement pour limiter l’impact.
- Impact sur le Dirham et les Réserves de Change
Une flambée des prix du pétrole entraînerait un besoin accru en dollars pour financer les importations énergétiques, mettant sous pression les réserves de change de Bank Al-Maghrib. Celles-ci s’élèvent actuellement à l’équivalent d’environ 6 mois d’importations, un seuil déjà fragilisé par les récentes tensions sur les matières premières. Si les cours du baril restaient durablement élevés, cette marge de sécurité pourrait se réduire, exposant le Maroc à un risque de dépréciation du dirham. Une telle situation déclencherait une inflation importée, renchérissant encore les biens essentiels, des denrées alimentaires aux produits manufacturés, dans un contexte où le pouvoir d’achat des ménages est déjà sous tension.
Pour faire face à ce scénario, les autorités marocaines pourraient être contraintes de puiser davantage dans les réserves de change ou de durcir les contrôles sur les devises, comme cela a été envisagé lors de précédentes crises. Une dépréciation contrôlée du dirham, bien que risquée, pourrait soutenir les exportations, mais au prix d’un renchérissement des importations. Dans le pire des cas, un choc pétrolier prolongé pourrait pousser le Maroc à solliciter des lignes de crédit internationales ou à revoir sa stratégie énergétique en accélérant les projets renouvelables pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures. La stabilité macroéconomique du royaume dépendra donc de sa capacité à gérer ce double défi : préserver ses réserves en devises tout en contenant l’inflation.
- Effets Indirects : Tourisme et Investissements
Une escalade du conflit Iran-Israël pourrait également affecter deux secteurs clés de l’économie marocaine : le tourisme et les investissements étrangers. Une hausse du prix du kérosène, liée à la flambée des cours du pétrole, renchérirait les billets d’avion, décourageant potentiellement les visiteurs européens, qui représentent une part majeure des arrivées. Par ailleurs, une montée des tensions géopolitiques pourrait dissuader certains voyageurs, fragilisant un secteur vital pour les réserves en devises.
Du côté des investissements directs étrangers (IDE), un climat international instable pourrait ralentir les projets dans des domaines stratégiques comme l’énergie, l’immobilier ou l’industrie, alors que le Maroc mise justement sur ces secteurs pour soutenir sa croissance. Les investisseurs pourraient adopter une attitude attentiste, retardant des décisions cruciales pour l’économie nationale.
- Le Maroc Est-Il Suffisamment Protégé ?
Le Royaume du Maroc a mis en place plusieurs mesures pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles et atténuer sa vulnérabilité face aux chocs pétroliers. Parmi ces mesures figurent l’accélération de la transition énergétique (avec un objectif de 50 % d’énergies renouvelables d’ici 2030), le projet de gazoduc Nigeria-Maroc pour sécuriser l’approvisionnement en gaz, et la diversification des fournisseurs de pétrole. Cependant, à court terme, le pays reste exposé aux fluctuations des marchés internationaux, et une crise prolongée dans le Golfe pourrait fragiliser ses marges de manœuvre économiques.
En cas d’escalade du conflit Iran-Israël, le Maroc pourrait subir une inflation accrue, un déficit commercial aggravé et des pressions sur ses finances publiques. Pour y faire face, les priorités incluent le renforcement des réserves stratégiques (pétrole et devises), l’accélération de la transition énergétique et la diversification des partenariats économiques. Sans résolution rapide des tensions, l’économie marocaine devra naviguer dans un contexte international instable, où la prudence budgétaire et la diversification resteront essentielles pour limiter l’impact des crises extérieures.
Par Hamid Fayou,
Docteur en sciences économiques
et
Chercheur au Centre Jacques Berque pour les études en sciences sociales