Interrogé par Lamiae Boumahrou I
L’intervention du Conseil de la concurrence dans les différents secteurs (public et privé) a été débattue en marge de la 3e édition du séminaire du Conseil de la Concurrence tenu ce 13 novembre sous la thématique : Neutralité concurrentielle et accès au marché ». L’équipe EcoActu.ma a interpellé le président du Conseil de la Concurrence, Ahmed Rahhou, lors du point de presse tenu en marge de ce séminaire, sur l’état des lieux de la neutralité concurrentielle au niveau des EEP, des secteurs régulés ainsi que des secteurs réglementés.
EcoActu.ma : La question de la neutralité concurrentielle s’impose avec acuité notamment en raison des défis économiques que le Maroc est amené à relever. Pour le cas des secteurs régulés, comment garantir une harmonisation de l’intervention des instances de contrôle en l’occurrence le Conseil de la concurrence et les régulateurs pour éviter tout chevauchement des missions et assurer plus d’efficacité ?
Ahmed Rahhou : Globalement, la loi marocaine traite de la même manière et indépendamment du secteur, de la nature du capital (privé ou public) et même de la nationalité du capital (marocain, étranger ou mixte) les entreprises publiques et les agents économiques produisant des produits ou offrant des services. Ceci est palpable dans les dossiers de concentration où toutes les parties sont traitées au même pied d’égalité.
Les actionnaires, qu’ils soient privés ou publics et qu’ils soient opérateurs financiers (Fonds d’investissement) ou des opérateurs opérationnels, sont soumis aux mêmes règles.
Et évidemment, ceci s’applique aussi aux capitaux étrangers de la même façon que les capitaux nationaux. La loi impose même, lorsqu’une opération est effectuée à l’étranger et du moment qu’il y a un impact sur le marché marocain, qu’elle passe automatiquement par le Conseil de la concurrence. Et nous avons eu des cas où cette procédure n’a pas été respectée et le Conseil a dû sanctionner. Et je crois qu’aujourd’hui nous pouvons dire que nous avons une neutralité concurrentielle relativement respectée sur ce volet.
Concernant, les aspects relatifs au comportement sur le marché, il y a effectivement les secteurs qui sont régulés ou réglementés. Le cas des secteurs régulés notamment les télécoms, les banques, les assurances, où l’accès au marché est conditionné par une décision de l’État, et c’est le régulateur du secteur qui vérifie la conformité du cahier des charges et des obligations avant de délivrer l’autorisation.
Le Conseil de la concurrence est plutôt regardant sur le libre jeu de la concurrence dans ces secteurs régulés même lorsque le nombre des acteurs est limité. Le cas des assurances où c’est l’ACAPS qui autorise l’accès à tous les acteurs, même les agents d’assurance, alors que le Conseil de la concurrence a, de son côté, sorti un rapport relatif à l’état de la concurrence dans ce secteur.
Ce rapport, à l’instar d’autres rapports, a permis de relever où la concurrence fonctionne, ou elle ne fonctionne pas correctement mais aussi de soulever certains éléments qui relèvent de régulateur ou de la réglementation. Le Conseil agit comme un prescripteur de recommandations pour l’État ou pour le régulateur. A titre d’exemple, pour le cas des assurances, dans une optique de transparence, le Conseil a soulevé que la notion de risque devrait être gérée par le régulateur et non pas la profession comme c’est le cas actuellement. C’est le cas des banques où la gestion des risques bancaires est une mission qui relève de la Banque centrale donc du régulateur.
Notre souhait est d’aligner les pratiques dans le secteur des assurances sur le risque mais aussi sur l’assurance. Outre cette recommandation destinée aux régulateurs, le Conseil a également formulé des recommandations à l’État, notamment concernant l’octroi des licences et certains nombres de conditions sur lesquelles il propose plus de souplesse.
Qu’en est-il des professions réglementées ?
Les professions réglementées gérées par des ordres et non pas par les régulateurs tels que l’ordre des avocats, des notaires, des médecins, des architectes…, nous avons eu un conflit, avec certains d’entre eux, qui ne se considéraient pas comme agents économiques et par conséquent ne s’estimaient pas concernés par la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence.
Ce qui est vrai. Toutefois, pour le cas des experts comptables et des architectes, du moment qu’ils avaient fixé un prix minimum, au regard de la loi, ils agissent comme agents économiques et par conséquent ils le deviennent. Et le tribunal a fini par donner raison au Conseil de la Concurrence grâce à l’interprétation de la jurisprudence internationale.
Quelle est la marge de manœuvre du Conseil de la concurrence en matière de contrôle de la neutralité concurrentielle auprès des EEP ?
Le Conseil de la concurrence intervient par le biais d’avis. Il nous est arrivé d’interférer sur des pratiques de certains EEP qui ne nous paraissaient pas fermer par des règles d’exclusivité. En général, nous n’arrivons pas jusqu’au contentieux puisque les EEP réagissent généralement positivement à nos enquêtes.
Actuellement, nous travaillons avec l’Agence Nationale de Gestion Stratégique des Participations de l’État (ANGSPE) sur la gouvernance. Parmi les objectifs poursuivis, faire adopter, sous la tutelle de l’Agence, le guide de conformité légale par toutes les entreprises publiques dans quelques mois voire quelques années, selon la taille de l’entité.
Dans le cadre du nouveau décret des marchés publics certains opérateurs se plaignent des ententes qui se font entre opérateurs notamment en ce qui concerne la programmation triennale prévisionnelle des donneurs d’ordre et qui biaisent la libre concurrence. Que compte faire le Conseil de la concurrence pour mettre un terme à ces pratiques ?
Pour les marchés publics, il y a 2 volets. Il y a le volet relatif aux ententes des entreprises pour biaiser un marché public, qui relève de notre compétence. Et il y a l’orientation de l’appel d’offres par l’ordonnateur en faveur de telle ou telle entreprise, qui est un droit administratif relevant de la Cour des comptes et de la Commission nationale des marchés publics. Le conseil de la concurrence n’est pas habilité à intervenir dans ce cas.
Concernant le premier volet qui relève de notre périmètre d’intervention à savoir les ententes des entreprises, nous travaillons pour faire évoluer les choses notamment plus par un contrôle a posteriori qu’à a priori. Car le Conseil n’a pas la possibilité de vérifier les appels d’offres en amont, mais il vérifie si l’AO a été attribué en respectant les règles de concurrence loyale. C’est d’ailleurs ce qui se fait dans la plupart des pays. Car interférer dans le process, c’est chevaucher avec le périmètre de l’autorité ordonnatrice. Ce qui n’est pas permis par la loi. Notre rôle est de prémunir l’État contre les abus qui peuvent nuire à ses intérêts.