L‘intégration de la langue tamazight dans le système éducatif et la vie publique est un objectif constitutionnel au Maroc. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, avec ses priorités sociales affirmées, est l’occasion d’évaluer la traduction budgétaire de cet engagement.
Derrière les annonces de généralisation se posent des questions cruciales sur l’effectivité des moyens alloués et la capacité à surmonter les obstacles historiques.
Un budget éducatif global en hausse, mais un flou sur la part de Tamazight
Le PLF 2026 accorde une priorité manifeste aux secteurs sociaux. Le budget alloué à l’éducation s’élève à 97,1 Mds de DH, soit une augmentation significative de 11,5 Mds de DH par rapport à 2025. Le gouvernement prévoit par ailleurs le recrutement de 19 344 nouveaux enseignants dans le secteur.
Cependant, une analyse critique fait ressortir un premier point d’ombre : ce budget global pour l’éducation n’est pas ventilé. La part spécifiquement destinée à la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe n’est pas explicitement détaillée dans les données budgétaires disponibles. Cette absence de ligne budgétaire claire et distincte interroge sur la transparence et la priorisation réelle accordée à ce projet linguistique au sein de la masse éducative.
Les promesses de financement : une trajectoire à interroger
Pour apprécier l’effort consenti en 2026, il est nécessaire de le replacer dans une trajectoire financière plus longue. Lors de son discours de janvier 2022, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, avait annoncé une enveloppe de 300 millions de MAD pour l’officialisation de la langue amazighe, avec la promesse que ce budget atteindrait 1 Md de DH dès 2025.
L’écart entre l’ambition affichée et la réalité des moyens a souvent été pointé du doigt. Comme le rappelait M. Akhannouch lui-même, la concrétisation du caractère officiel de Tamazight reste « dépendante de la mobilisation des ressources financières » nécessaires. Le budget de 2026 sera-t-il à la hauteur des engagements passés et des besoins réels ? L’historique des annonces incite à une certaine prudence.
Au-delà du budget : les défis structurels de l’intégration
Une vision critique oblige à regarder au-delà des chiffres pour s’intéresser aux obstacles structurels que le budget seul ne peut résoudre.
- L’héritage du passé et la complexité linguistique : Le système éducatif marocain est encore marqué par son histoire coloniale et les politiques successives « d’arabisation », qui ont marginalisé la langue amazighe. Aujourd’hui, l’école marocaine doit composer avec un paysage linguistique complexe, tiraillé entre l’arabe standard, le français (toujours perçu comme un sésame pour l’emploi), l’anglais (dont l’introduction est planifiée) et les langues maternelles que sont la darija et l’amazigh. Insérer Tamazight dans ce contexte déjà saturé est un défi pédagogique et politique majeur.
- La question des ressources humaines et de la formation : Le recrutement de 1 000 enseignants spécialisés en tamazight, s’il est confirmé, est une étape nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. La formation qualitative de ces enseignants, la disponibilité de supports pédagogiques unifiés et adaptés, et la résistance potentielle d’une partie du corps enseignant formé aux anciens modèles sont autant de défis critiques pour une généralisation réussie.
- La lenteur des progrès numériques : En 2023, un partenariat avait été signé pour développer une application dédiée à l’apprentissage de Tamazight, présentée comme un levier pour « accélérer » son intégration. L’état d’avancement concret de cet outil et son accessibilité pour la rentrée 2026-2027 ne sont pas clairs, illustrant parfois un décalage entre les annonces et leur matérialisation.
Conclusion : Un budget nécessaire, mais non suffisant
Le PLF 2026 s’inscrit dans une volonté politique affichée de faire avancer la question de la langue amazighe. L’augmentation du budget de l’éducation et les recrutements prévus vont dans le bon sens.
Cependant, une analyse critique révèle que les chiffres globaux masquent l’absence d’un engagement financier spécifique, transparent et à la hauteur des promesses antérieures pour Tamazight. Les défis restent immenses : dépasser les héritages historiques, trouver une place dans un paysage linguistique déjà conflictuel, et former des ressources humaines en qualité et en quantité suffisantes.
La véritable mesure du succès ne résidera pas dans les annonces budgétaires, mais dans la traduction concrète de ces moyens dans chaque salle de classe et dans la vie quotidienne des citoyens. L’engagement pour Tamazight doit être évalué à l’aune de sa mise en œuvre effective et de son impact réel sur la préservation et la vitalité de la langue.
Écrit par Hamid Fayou,
Docteur en économie
et membre adhérent du Centre africain pour la recherche et les études stratégiques.






