Nombre d’organisations internationales ont reconnu les efforts du Maroc dans le domaine des énergies renouvelables. Et pourtant, seulement 20.0% de l’énergie électrique que nous avons produite en 2021 était d’origine renouvelable (éolienne, solaire et hydraulique conventionnelle) et elle n’a permis de couvrir que 9,0% des besoins énergétiques totaux du pays !
Alors, d’où nous viennent ces bons classements du Maroc par les organismes internationaux ? Il est vrai que chacun des ces organismes à ses propres indices, et qu’ils sont plutôt compliqués, à l’instar de l’indice RECAI[1] ou de l’indice de changement climatique[2] et de bien d’autres. N’y aurait-il pas un moyen simple d’expliquer, avec une vision dynamique, et non statique, de comprendre pourquoi les efforts du Maroc ont mérité d’être couronnés d’une façon ou d’une autre ?
La totalité des sources de départ sont officielles :
- internationales pour les revenus[3],
- nationales pour les données énergétiques[4], [5], [6], [7], [8].
La Figure 1, montre l’évolution de différents agrégats dans le temps, mais en les ramenant à la valeur qu’ils avaient en 2008, année d’élaboration de la Stratégie Energétique Nationale.
Figure 1 Evolution, ramenée aux valeurs de 2008, de la population, du PIB à Dh constants, de l’énergie consommée dont l’électricité nette appelée, des émissions de gaz à effet de serre et de la production d’électricité renouvelable
Sur la Figure 1, on peut noter que :
- alors que la population (en orange) ne s’est multipliée que par 1.16 pour atteindre 36.3 Mhab en 2021,
- trois chiffres qui ont suivi des évolutions similaires :
- celle du PIB en Dh constants de 2007 (en violet), multiplié par 1.44 pour atteindre 9.83 GDh en 2021,
- celle de l’énergie totale (en marron), multipliée par 1.49 pour atteindre 21.8 Mtep en 2021,
- celle de l’émission des gaz à effet de serre par l’énergie (en bleu), multipliée par 1.53 pour atteindre 65 MteqCO2 en 2021,
- l’évolution rapide de l’électricité nette injectée (en rouge), multipliée par 1.65 pour atteindre 39.7 TWh en 2021,
- l’évolution très rapide de la production d’électricité renouvelable (en vert), multipliée par 6.22 pour atteindre 7.72 TWh en 2021 !
Avec la vision dynamique présentée par la Figure 1, on comprend que : bien qu’ayant fait face à une demande croissante des besoins en énergie tout en étant énergétiquement très dépendant, le Maroc a satisfait sa demande tout en gardant ses coûts et son incidence environnementale adaptés à ses revenus. Malgré l’explosion de l’accès à l’électricité, notamment dans les zones rurales, la demande électrique a non seulement été satisfaite :
- par une production locale suffisante mettant quasiment mis fin aux imports nets qui ont prévalu entre 1997 et 2017, et gérer l’interconnexion avec l’Espagne comme une opportunité commerciale,
- mais aussi, en orientant progressivement la production locale d’électricité vers les renouvelables dont la production électrique s’est multipliée par 6.22 alors que celle des sources fossiles ne s’est multipliée que par 1.72 pour atteindre 32.2 TWh en 2021, comme montré dans la Figure 2 qui a nécessité la double échelle (gauche et droite) pour visualiser les variations des deux grandeurs.
Figure 2 Evolution, ramenée aux valeurs de 2008, des productions d’électricité du Maroc à base de combustibles fossiles (échelle de gauche) et de renouvelable (échelle de droite)
A la lumière de ces graphiques, je comprend mieux et trouve tout à fait légitime que les efforts déployés impactent favorablement les classements internationaux du Maroc, sans fausse modestie. Ceci dit, il va maintenant falloir accélérer encore plus le rythme car le concept de pollueur – payeur est maintenant en train de s’étendre même aux pays en voie de développement. Nos produits industriels et agricoles seront donc fortement taxés à l’exportation car leur empreinte carbone est substantiellement impactée par le facteur d’émission de l’électricité que notre industrie achète dans la distribution classique (hors Loi sur les Energies Renouvelables).
Figure 3 Evolution, ramenée aux valeurs de 2008, des émissions de gaz à effet de serre par chaque kWh produit (en bleu) ou, en moyenne, livré chez les clients (en rouge)
La Figure 3 montre qu’il y a bien eu une baisse du facteur d’émission de l’électricité produite au Maroc mais cette fois-ci, il est indispensable de revenir aux valeurs absolues pour se positionner et là on découvre que l’empreinte carbone de l’électricité produite au Maroc (655 g d’équivalent CO2 par kWh produit au Maroc en 2020) est parfaitement comparable à celle produite en Pologne (670 g d’équivalent CO2 en 2020), qui est, à ce titre, qualifié du « plus mauvais élève européen » avec son mix électrique lui aussi fortement marqué par l’usage du charbon.
Il n’y a plus le choix, il va falloir retrousser les manches pour mettre en œuvre le plan gaz pour être prêt à la substitution du charbon, d’opérationnaliser le plan hydrogène, d’installer les capacités renouvelables nécessaires ainsi que celles du stockage approprié (par STEP, par hydrogène ou autre) pour répondre à une demande en puissance supposée pouvoir augmenter de 175 MW par an en moyenne.
L’accélération nécessaire doit prendre en compte le déploiement progressif des véhicules électriques qui ne doivent plus se contenter de déplacer la pollution des lieux de circulation automobile vers les lieux de production d’électricité et le seul moyen est de baisser fortement le facteur d’émission de l’électricité prélevée sur notre réseau électrique. Nul doute que l’autoproduction d’électricité solaire pourrait y contribuer significativement[9], surtout en réduisant la demande aux heures pleines… à condition qu’on l’encourage au lieu d’en dissuader les acteurs[10].
On peut aisément montrer qu’un véhicule électrique dont les batteries seraient rechargées par le réseau électrique marocain actuel (794 g d’équivalent CO2 par kWh d’électricité livrée) pollue autant, sinon plus, qu’un véhicule diesel récent de taille équivalente. Aujourd’hui et au Maroc, faire un achat de véhicule électrique respectueux de l’environnement nécessite soit de le recharger chez soi avec une installation solaire, soit de revoir à la baisse la puissance et la taille du véhicule à acheter. En attendant des jours meilleurs, le véhicule hybride reste le meilleur compromis du point de vue de l’environnement global.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] « Le Maroc en tête des pays arabes et africains en termes d’attractivité des énergies renouvelables« , Magazine Challenge 15 Octobre 2021, https://www.challenge.ma/le-maroc-en-tete-des-pays-arabes-et-africains-en-termes-dattractivite-des-energies-renouvelables-223590/
[2] Moctar FICOU, Webmagazine Vivafrik, 22 Juin 2021, https://www.vivafrik.com/2021/06/22/le-maroc-occupe-le-4eme-rang-mondial-dans-le-classement-de-lindice-de-performance-climatique-a41472.html
[3] Banque Mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/pays/maroc?view=chart
[4] Royaume du Maroc, Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement, Portail des statistiques de l’Observatoire Marocain de l’Energie (OME), https://www.observatoirenergie.ma/data/
[5] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[6] Royaume du Maroc, Ministère de l’Economie, des Finances, et de la Réforme de l’Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx
[7] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[8] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013 https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[9] Amin BENNOUNA, « Trois décennies d’énergie solaire photovoltaïque au Maroc« , Webmagazine EcoActu.ma, 03 Décembre 2019, https://www.ecoactu.ma/trois-decennies-denergie-solaire-photovoltaique-au-maroc/
[10] Amin BENNOUNA, « L’inapplicable Projet de Loi marocain relatif à l’autoproduction d’électricité« , Webmagazine EcoActu, 15 Novembre 2021, https://www.ecoactu.ma/linapplicable-projet-de-loi-82-21-relatif-a-lautoproduction-delectricite/#:~:text=R%C3%A9uni%20le%20jeudi%2011%20novembre,du%20mardi%2002%20Novembre%202021