Mon exposé concerne l’expérience marocaine dans la prévention et la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Notre pays sous l’égide du Roi Mohammed VI a adopté une approche multidimensionnelle qui repose sur cinq piliers : religieux, sécuritaire et juridique, socio-économique, renforcement des droits de l’Homme et de l’Etat de droit, coopération internationale.
Concernant le premier pilier religieux, il faut d’abord souligner le rôle important des leaders religieux dans le monde musulman. Le Roi du Maroc dispose d’une légitimité de douze siècles en tant que Commandeur des Croyants, avec le devoir de préserver les constantes religieuses et de protéger l’exercice de tous les cultes, y compris le judaïsme et le christianisme.
L’approche du Roi Mohammed VI dans ce domaine a été dès le début de son règne de véhiculer un Islam modéré, ouvert, tolérant, et en phase avec le 21ème siècle, non seulement pour le Maroc mais aussi à l’adresse des pays voisins et amis menacés par le radicalisme religieux, notamment les pays africains. La première mesure a été la formation des Imams avec la réforme des programmes d’enseignement religieux, l’ouverture sur les autres disciplines et cultures, l’immunisation du champ religieux contre toute dérive, le renforcement de l’unité doctrinale, et la rénovation du Conseil supérieur des Oulémas.
La seconde mesure a été la valorisation du rôle de la femme marocaine avec la réforme de la Moudawana (Code de la famille) en 2004 qui a porté l’âge minimum du mariage à 18 ans, la limitation de la polygamie, l’égalité des responsabilités au sein de la famille entre les deux époux, et la possibilité pour les femmes de demander le divorce. En Juillet 2022, le Roi Mohammed VI a pointé les imperfections de la réforme de 2004, et a nommé en septembre 2023 une Instance consultative chargée d’élaborer une seconde réforme de la Moudawana. Le 30 Mars 2024, une première mouture du projet de réforme a été soumise au Roi qui décidera en dernière instance. En 2006 le Roi Mohammed VI a créé la Rabita Mohammadia des Oulémas, une Association d’intérêt général qui a pour rôle de veiller et d’analyser le discours religieux violent, et la recherche et les analyses sur le terrain.
L’autre volet de la réforme du rôle de la femme a été une plus grande représentation dans les structures religieuses, avec l’élargissement aux « Mourchidates » qui ont le même rôle que les Imams. Ce volet a été accompagné par la redéfinition du rôle des mosquées, la mise à niveau des Imams et Mourchidates, qui ont obtenu le statut de fonctionnaires au Ministère des Affaires religieuses et islamiques. En 2014, a été créé l’Institut Mohammed VI de Formation des Imams Mourchidines et Mourchidates, pour leur assurer une formation moderne et académique.
Outre l’enseignement religieux, le programme a été élargi à des cours de langues, d’informatique, de sciences humaines et des droits de l’Homme. Cet Institut a formé 777 étudiants de 32 nationalités (Afrique, Asie, Europe), dont 40% sont des femmes. En 2015 a été créée la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains pour unifier et coordonner leur action.
Le second pilier sécuritaire et juridique a pour objet la vigilance, la veille et la prévention d’actes malveillants. Il a été concrétisé par la création en Mars 2015 du Bureau Central des Investigations Judicaires (BCIJ), chargé de traiter sous la supervision du Ministère public les affaires de terrorisme. L’objectif est d’assurer la quiétude des citoyens dans le respect des droits de l’Homme. La priorité est dominée par la prévention, grâce à la collaboration au niveau des renseignements des agents administratifs et de la société civile, qui n’hésitent pas à dénoncer les actes suspects.
La création du BCIJ a été accompagnée par l’adoption d’un Code législatif approprié réunissant la légalité de l’action et l’efficacité de l’intervention. C’est ainsi que des lois ont été adoptées contre le financement du térrorisme (2003), le blanchiment d’argent (2007), et la mise en place de renseignements financiers (2009). Le résultat a été le démantèlement depuis 2012 de près de 200 cellules terroristes et la mise en échec de 300 groupes malveillants.
Le troisième pilier socio-économique a porté sur les individus peu éduqués et vivant dans des conditions précaires, qui sont la principale cible des mouvements terroristes. Les mesures prises ont consisté dans la réforme du système éducatif, la généralisation de la scolarisation dans le primaire et le secondaire, l’équité entre garçons et filles à la ville et à la campagne. Pour la formation des jeunes, a été renforcé l’Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT), dont la capacité d’accueil a été portée à plus de 600.000 places repartis dans 365 Etablissements à travers tout le Maroc. L’OFPPT a créé 12 Cités des métiers et des compétences (une par région) qui sont des Etablissements de nouvelle génération, dans un environnement favorable au développement des compétences et des talents, autour de structures multisectorielles et multifonctionnelles.
Ces Cités ont une capacité de 34.000 places, 13 pôles métiers dont 4 nouveaux, et 170 filières. En outre, l’Etat a lancé depuis 2006 de nombreux programmes pour aider les jeunes à créer ou à trouver un emploi. Il s’agit de l’appui à l’emploi salarié (IDMAJ, TAHFIZ), l’amélioration de l’employabilité (TAEHIL), l’appui à l’auto-emploi (Moukawalti), la relance de l’emploi après le Covid (Awrach, Forsa). Pour le développement humain solidaire, l’Etat a mis en place des filets sociaux qui empêchent la radicalisation, tels que l’Initiative de développement humain (INDH) mise en place en 2005, et qui a pour rôle de lutter contre la précarité et l’exclusion sociale. Les actions entreprises par l’INDH sont l’élargissement de l’accès aux services de base, la promotion des activités génératrices d’emplois, la couverture des besoins spécifiques. La mesure phare, la généralisation de la Protection sociale a été lancée par le Roi Mohammed VI le 14 Avril 2021 selon un programme progressif. L’assurance maladie obligatoire a été mise en œuvre en 2022 et concerne 22 millions de personnes. Les allocations familiales ont été réalisées en 2024, et le système des retraites et de l’indemnité pour perte d’emploi sont prévues pour 2025.
Le quatrième pilier est le renforcement des droits de l’Homme et de l’Etat de droit. Il s’est concrétisé par la Constitution de 2011 qui a consacré 40 articles au droits de l’Homme, et par la création d’un grand nombre d’institutions, dont le Conseil des droits de l’Homme, l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption, le Conseil de la Communauté marocaine à l’étranger, l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination, l’Instance Equité et Réconciliation, le Conseil économique, social et environnemental. En permettant l’intersection des droits de l’Homme, de l’Etat de droit et de la démocratie, la Constitution de 2011 s’est révélée comme un levier contre l’extrémisme violent. Elle a admis l’identité plurielle (arabo-islamique, amazigh, saharo-hassanie), les affluents civilisationnels (africain, andalou, hébraïque, méditerranéen), ce qui a développé le concept de diversité dans une société tolérante ouverte sur la modernité.
Le cinquième pilier est celui de la coopération internationale, car le terrorisme est un fléau universel qui ne peut être vaincu que par l’action de tous les pays, notamment au niveau de la diffusion des renseignements. Le Maroc pratique la coopération triangulaire, la coopération Sud-Sud, et la coopération Sud-Nord. Il organise ou participe à tous les événements concernant la lutte contre le terrorisme. Le 4 Décembre 2015, il a organisé avec les Etats-Unis le « Policy Dialogue sur la lutte contre l’extrémisme violent » à Genève. Le Maroc est Co-président du Forum global de lutte contre le terrorisme avec les Pays-Bas, et a organisé en Avril 2014 à Fès le Forum sur le rôle des leaders religieux dans la prévention et l’incitation à la haine en partenariat avec l’ONU. Enfin il a signé la Déclaration de Marrakech sur les droits des minorités religieuses dans le monde musulman en Janvier 2016.
En conclusion le Maroc a adopté une politique d’anticipation et de prévention, et mène une action en profondeur visant à lutter efficacement contre l’extrémisme violent. Il a priorisé une approche multidimensionnelle et intégré, en pleine collaboration avec le reste de la communauté internationale.
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI
(Institut Marocain des Relations Internationales)