Chômage, couverture sociale, corruption, eau, retraites… tant de dossiers chauds sur les bras de l’Exécutif pour cette rentrée politique. Le gouvernement qui a bouclé sa troisième année de mandat et entame la 4e doit en plus composer avec un contexte mondial pour le moins contraignant.
Le 7 octobre 2021, le 33e gouvernement du Maroc après l’indépendance se mettait en place, avec à sa tête Aziz Akhennouch, qui, hormis l’épisode Rmili-Aït Taleb, entame la 4e année de son mandat avec la même équipe malgré toutes les rumeurs de remaniements ministériels qui n’ont jamais cessé. Il entame cette 4e année de mandat trainant quelques casseroles au sein de son équipe.
Un mandat qui a également été rythmé par plusieurs débrayages pour ne citer que celui des enseignants et aujourd’hui encore des étudiants en médecine et la grogne des avocats. Sans oublier des centrales syndicales qui sont plus que jamais sur la défensive sur des dossier en lien avec la réforme de la réglementation du travail et celle des retraites. Sans oublier également une croissance atone, un taux de chômage historique et un renchérissement du coût de la vie… sans oublier les incertitudes à l’international qui planent sur le Maroc comme le reste du monde.
Dans ce contexte, l’Exécutif se retrouve avec de gros dossiers sur les bras avec des échéances réduites dont certaines ont même été dépassées. Un gros défi donc pour cette rentrée politique 2024-2025.
Certains grands dossiers semblent retenir l’attention et on les retrouve dans le récent Policy Paper de l’Observatoire du Travail Gouvernemental (OTRAGO).
L’une des premières questions majeures qui affectent l’ensemble des Marocains mais des secteurs névralgiques, le binôme eau-énergie.
Dans le secteur de l’énergie, la transition énergétique constitue l’un des principaux défis, le gouvernement doit réduire la dépendance aux énergies fossiles, qui contribue au déficit budgétaire, les estimations indiquant que les coûts de l’énergie conventionnelle représentent environ 50 % du déficit de la balance commerciale.
Pour atteindre les objectifs des énergies renouvelables, il est impératif de viser une part de 52 % dans le mix énergétique national d’ici 2030, ce qui nécessite des investissements massifs de l’ordre de 143 Mds de DH, cela implique l’amélioration des infrastructures, y compris le développement de centrales solaires et éoliennes et la promotion de l’offre marocaine en hydrogène vert, ainsi que la mobilisation des financements nécessaires du secteur privé et des partenaires internationaux, l’attraction des investissements étant un facteur clé pour réussir cette transition, selon Otrago.
Dans le domaine de l’eau, la crise s’aggrave en raison des changements climatiques et de la rareté des ressources hydriques. Selon les prévisions, la demande en eau au Maroc pourrait augmenter de 30 % d’ici 2030, imposant une pression supplémentaire sur les ressources disponibles, pour faire face à ces défis, le gouvernement envisage de construire 36 stations de dessalement d’eau de mer d’ici 2030, nécessitant des investissements importants de près de 10 milliards de dirhams, en plus des projets de raccordement entre bassins hydriques, qui requièrent un investissement supplémentaire de 20 milliards de dirhams.
L’observatoire relève par ailleurs que la coordination entre les différents secteurs représente un défi majeur dans ce contexte, car le manque de coordination entre les ministères concernés nuit à l’efficacité des programmes et projets hydriques et énergétiques, rendant nécessaire le renforcement des partenariats entre les secteurs public et privé.
Retraites, une forme au point mort ?
La réforme des retraites au Maroc constitue une crise complexe nécessitant des solutions urgentes et durables, car le régime des pensions civiles fait face à un risque de faillite d’ici 2028, date à laquelle il devrait épuiser l’ensemble de ses réserves. Cela obligerait l’État à injecter près de 14 milliards de dirhams par an pour assurer le versement des pensions aux retraités.
Pour rappel, la réforme proposée par le gouvernement repose sur trois principes essentiels : l’augmentation du montant des cotisations, le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans et la réduction du montant des pensions.
Cette approche signifie que les salariés porteront quasiment tout le poids des coûts de cette réforme, suscitant une forte opposition de la part des syndicats qui considèrent que ces mesures accroîtront les charges financières pesant sur les travailleurs et les fonctionnaires, sans apporter de garanties suffisantes concernant l’amélioration de la qualité des retraites à long terme, estime Otrago.
La difficulté de ce dossier est accentuée par le manque de consensus entre le gouvernement et les partenaires sociaux, ce qui accroît les craintes quant à la capacité du gouvernement à avancer dans une réforme qui garantisse l’équilibre entre la pérennité du système et la protection des droits des retraités et des actifs.
Dans ce contexte, la réforme des retraites reste un chantier épineux et sensible, nécessitant une approche prudente de la part du gouvernement et des concessions afin de garantir la durabilité du système sans faire peser la charge de la réforme uniquement sur les travailleurs.
Chômage, échec cuisant !
L’emploi est l’un des points faibles les plus marquants du gouvernement de Aziz Akhannouch, avec des niveaux de chômage inquiétants dans le pays, le taux de chômage a atteint un record de 13,7 %, ce qui soulève de grandes inquiétudes quant à la capacité de créer des opportunités d’emploi pour les jeunes, en outre, le Maroc fait face à un autre défi de taille, celui de l’augmentation du nombre de jeunes sans emploi, ni formation, ni éducation (NEET), qui dépasse le million et demi, reflétant l’échec du système de formation /emploi à répondre aux besoins d’une catégorie vitale de la société.
Une transformation économique axée sur l’industrie apparaît de fait évidente, cela implique de concevoir de nouveaux programmes volontaristes pour l’emploi, capables de répondre efficacement aux défis du marché du travail, il est également impératif pour le gouvernement de développer des stratégies encourageant les investissements dans les secteurs industriels et des services, de renforcer la formation professionnelle et de soutenir les petites et moyennes entreprises, ces mesures seront essentielles pour créer des emplois durables et améliorer les conditions économiques des jeunes Marocains.
Pour Otrago, la résolution de la crise du chômage exige aussi une coordination efficace entre les divers secteurs gouvernementaux et le secteur privé, afin de garantir un environnement propice à la croissance et à l’emploi.
Corruption : vœu d’impuissance ?
La corruption au Maroc représente l’un des plus grands défis auxquels fait face le gouvernement dans sa quatrième année, elle a atteint des niveaux alarmants menaçant l’économie nationale et la stabilité sociale, le coût de la corruption est estimé à plus de 50 milliards de dirhams par an, ce qui constitue une véritable hémorragie pour les ressources de l’État et impacte directement les opportunités de développement économique et l’amélioration du niveau de vie des citoyens.
La situation s’est aggravée avec la détérioration du classement du Maroc dans l’Indice de Perception de la Corruption, passant de la 73ème à la 97ème place mondiale en cinq ans, ce qui reflète une augmentation de la corruption dans divers secteurs.
Cela ne semblerait pas inquiéter le gouvernement, puisque le rapport de l’Instance nationale de la prévention et de la lutte contre la corruption pour l’année 2023 a souligné le manque d’implication des institutions gouvernementales et administratives dans la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre la corruption établie depuis plusieurs années.
Les équilibres financiers, un enjeu majeur
Le gouvernement doit concilier les engagements en matière de développement, tels que l’amélioration des infrastructures, des projets énergétiques et hydriques, le développement des secteurs de la santé et de l’éducation, ainsi que l’amélioration du pouvoir d’achat et des revenus des citoyens, tout en maintenant la discipline budgétaire et en réduisant le déficit, cela rend la recherche de nouvelles ressources indispensable, que ce soit par une augmentation plus efficace et plus équitable des recettes fiscales, ou par l’encouragement des investissements étrangers directs qui peuvent contribuer au financement des grands projets, ainsi que par la mobilisation des financements internationaux, que ce soit à travers des prêts à conditions avantageuses ou des partenariats avec des institutions financières mondiales.
Cependant, ces options nécessitent une gestion prudente pour éviter que les niveaux d’endettement n’atteignent des seuils non soutenables (le taux d’endettement du Maroc atteint 69 % du produit intérieur brut), ce qui pourrait affecter la notation de crédit du pays et limiter sa capacité à emprunter à des conditions favorables à l’avenir, estime Otrago.
Protection sociale : la durabilité financière demande une large adhésion au chantier
Le chantier de la protection sociale lancé par le Maroc fait face à un défi majeur en matière de durabilité financière, avec un coût estimé à environ 51 milliards de dirhams par an, financé par les contributions de l’État ainsi que par les cotisations des adhérents, cependant, un rapport de la Cour des comptes a révélé un dysfonctionnement majeur dans le mécanisme de collecte des cotisations, les recettes ne représentant que 27 % du total des adhérents ciblés.
Aujourd’hui, le défi est l’amélioration de l’attractivité de ce projet nécessite des mesures efficaces pour mieux communiquer sur ses avantages et renforcer la justice sociale entre les différentes catégories, incitant ainsi les citoyens à s’engager et à contribuer davantage à ce système, sans ces réformes, le projet reste soumis à une pression financière croissante qui pourrait compromettre sa durabilité, mettant en péril l’atteinte de ses objectifs visant à améliorer et étendre la protection sociale aux populations les plus vulnérables.
Grogne sociale : la source oreille n’est pas la solution
Le gouvernement d’Aziz Akhannouch fait face à une situation de mécontentement social sans précédent dans plusieurs secteurs, où la montée des revendications sociales des citoyens pour des augmentations de salaires, une amélioration du niveau de vie et la préservation du pouvoir d’achat place le gouvernement devant de grands défis. Répondre à ces revendications exige une augmentation des budgets alloués aux programmes sociaux, ce qui augmente les risques d’engagements financiers pour le gouvernement.
À ces défis s’ajoute l’impact de la hausse des prix et de l’inflation sur le pouvoir d’achat des citoyens, le Maroc a récemment connu une augmentation significative des prix, notamment des denrées alimentaires et de l’énergie, ce qui a eu un effet négatif sur le quotidien des familles marocaines, souligne Otrago.
L’inflation est l’un des principaux facteurs qui affaiblissent le pouvoir d’achat, rendant difficile pour les citoyens de subvenir à leurs besoins essentiels. Ainsi, la recherche de la stabilité sociale devient essentielle pour garantir aux Marocains des conditions de vie dignes.
Cela nécessite l’adoption de politiques économiques efficaces, incluant des réformes structurelles visant à renforcer la croissance économique et à créer des opportunités d’emploi, le gouvernement doit également améliorer les conditions de vie des catégories les plus vulnérables, y compris celles qui travaillent dans les secteurs informels.
Par conséquent, le gouvernement doit faire preuve de sérieux dans la gestion de ces défis et adopter des approches inclusives impliquant tous les acteurs sociaux, y compris les syndicats et les organisations civiles, afin de parvenir à un équilibre entre les demandes des citoyens et la capacité de l’État à y répondre. La réussite dans ce domaine aurait des effets positifs sur la stabilité sociale et économique du Maroc, renforçant la confiance des citoyens et réalisant les objectifs de développement durable.