Ecrit par Imane Bouhrara I
A la veille de la célébration du 1e mai, et surtout à l’approche de l’échéance de la généralisation de retraite dans le cadre de l’État social, peut-on s’attendre à une annonce majeure relative au dossier de la réforme des retraites ? Un dossier qui semble encore entouré de plusieurs zones d’ombre, l’état d’avancement des travaux sur le sujet se faisant à huis clos avec quelques déclarations par-ci et par-là qui ne donnent pas le contenu des propositions à ce sujet et une posture sceptique des syndicats. La commission thématique consacrée à la réforme des retraites entame ce mardi une première réunion entre l’argentier du royaume et les syndicats. Dernière ligne droite ?
Résolument, le gouvernement d’Akhannouch est celui des patates chaudes, on lui a refilé tellement de dossiers plus brûlants les uns que les autres. L’un des plus épineux est celui de la réforme de la retraite enclenchée depuis plus de dix ans et qui accuse actuellement du retard notamment la réforme en deux pôles prévue initialement au 1e semestre 2023.
A ce stade, la réforme ne peut plus être retardée en raison d’un autre chantier encore plus important celui de la couverture sociale particulièrement la généralisation de la couverture retraite en 2025 et qui concerne 5 millions de travailleurs.
En effet, cet élargissement ne peut intervenir avant l’aboutissement de la réforme globale de la retraite au Maroc dont découle la pérennité des fonds de retraite. Autrement ça serait une gabegie ! Mais les syndicats refusent toute proposition de nature à sacrifier les intérêts des travailleurs.
A la veille du 1e mai, et surtout l’approche de l’échéance de la généralisation de retraite, peut-on s’attendre à une annonce majeure relative au dossier de la réforme des retraites notamment d’un accord entre gouvernement et syndicats ?
Il y a lieu de signaler qu’avant même la tenue du dernier round du dialogue social, le chef du gouvernement a tenu le 19 mars une séance de travail consacrée à l’examen de la réforme des systèmes de retraite, annonçant que le gouvernement entend la mettre en œuvre au courant de l’année en cours, selon une approche participative avec les partenaires sociaux, en préparation du prochain cycle de dialogue social.
Au cours de cette même séance de travail à laquelle ont participé la ministre de l’Économie et des Finances et le président de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale, la ministre a présenté en détail la situation actuelle des fonds de retraite, caractérisés par leur multiplicité et leurs différentes structures et cadres réglementaires.
Elle a également présenté des scénarios de réforme possibles qui prennent en compte les intérêts de tous les salariés et assurent la pérennité des fonds de retraite afin de consolider les fondements de « l’État social ».
Cela supposerait donc que ces scénarios ont été détaillés avec les partenaires sociaux afin justement de respecter l’échéance 2024 de mise en œuvre de cette réforme. En réalité, à l’issue du dialogue social, il a été décidé de mettre en place des commissions thématiques qui aborderont chacune un dossier à part et le sujet de la réforme de la retraite sera approfondi par des réunions de la commission thématique dédiée. Une première réunion est prévue ce jour entre la ministre de l’Économie et des Finances et les syndicats et une délégation de l’UMT y prendra part et à ce sujet nous avons joint Miloudi Moukharik, le Secrétaire général de l’UMT qui d’emblée souligne que le problème de la retraite au Maroc est ailleurs et réagit à la possibilité d’une mise en œuvre de cette réforme en 2024. Pour lui, le gouvernement peut avancer les dates qu’il veut mais aucune réforme ne se fera au détriment des droits des travailleurs pour le desiderata d’un gouvernement ou d’un ministre particulièrement s’il s’agit d’un relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans ou d’une baisse des pensions pour les bénéficiaires.
« Lors des réunions avec le chef du gouvernement, nous avions discuté des principes généraux notamment l’augmentation des salaires, la baisse de l’impôt sur les salaire et la loi organique sur la grève. Et concernant la retraite, l’UMT refuse de parler de réforme rappelant le principe constant d’exclure de mettre toutes les caisses de retraite sur le même palier puisqu’il y a des caisses qui sont excédentaires qui ne connaîtront de déficit qu’en 2060 tel le RCAR et même la CNSS avec des milliards déposés auprès de la CDG même avec la généralisation de la couverture sociale. Aussi, on nous parle d’une certaine crise qui reste à vérifier de la CMR. Avec le gouvernement Benkirane, l’expérience a démontré et nous les avions alerté à l’époque, que la réformette entamée n’a servi à rien parce qu’on s’est pas attaqué au fond du problème. En tous cas, l’UMT continue à dire que porter l’âge de la retraite à 65 ans ne doit pas être obligatoire mais facultatif. Aussi, baisser les pensions de retraite entre 25% et 30% est injuste. Enfin, on dit non à l’augmentation des cotisations à 28 % et après à 32% aussi bien pour les fonctionnaires que les non-fonctionnaires… la question que l’UMT pose est de savoir où est passée l’épargne des cotisants ? », déclare Miloudi Moukharik qui estime qu’il s’agit plus d’un problème de gouvernance des caisses. Sans oublier les arriérés de l’État dont une partie a été réglée à l’époque de Driss Jettou et depuis rien.
Il déplore la politique de placement notamment dans des opérations d’investissement qui n’ont permis aucune rentabilité bien au contraire à commencer par l’opération BNDE. Il donne un autre exemple de l’investissement dans le secteur de l’immobilier et l’hôtellerie dans l’opération Fadesa ou encore l’achat de 4 CHU pour 6,5 Mds de DH contre un loyer qui reste à déterminer.
« Pour avancer sur le dossier de la retraite, et à l’issue du dernier round de dialogue social, le chef du gouvernement a mandaté la ministre des Finances pour entamer les réunions avec les syndicats et le ministre chargé du Budget nous a assuré que les décisions seront prises de manière collective et concertée pour trouver des solutions appropriées », explique Miloudi Moukharik.
La grande question qui demeure est de savoir si les différentes parties parviendront à un accord de sorte que la mise en œuvre de cette réforme se fasse cette année même.
Sur un autre registre, OTRAGO avait souligné dans un rapport dédié à la réforme des retraites que la structure révisée à travers l’étude présentée par le gouvernement comprenait un ensemble de changements majeurs dans la structure et le système des fonds de retraite, dont le plus important est l’adoption d’un plafond unifié pour le système de base égal à deux fois le salaire minimum tant dans le secteur public que dans le secteur privé, ainsi que l’introduction d’une pension complémentaire obligatoire et une autre pension complémentaire pour ceux qui en ont les moyens, en supprimant le pourcentage et en le remplaçant par des points… entre autres changements.
Le rapport d’OTRAGO alerte sur la faiblesse du système de base approuvé pour le calcul du seuil d’indemnisation de la retraite et l’hypothèse incompréhensible concernant la retraite complémentaire ultérieure et son caractère obligatoire pour certaines catégories et l’entité chargée de la gérer et de la surveiller.
Il rappelle par ailleurs l’épineuse problématique des arriérés de l’État (25 Mds de DH) et note l’absence de vision concernant l’amélioration des rendements des investissements des caisses, ni l’amélioration de leur efficacité et l’évaluation de leur fiabilité et ce malgré les recommandations de la Cour des comptes ou le rapport de la commission d’enquête au sein du Parlement à ce sujet.
En effet, l’approche de réforme à sens unique repose uniquement sur trois mesures (relèvement de l’âge de la retraite, réduction des indemnités de retraite, et augmentation de la valeur des cotisations, sans propositions sur l’amélioration de la politique de placements ou sur la gouvernance des caisses.
Pour une réforme juste, globale et durable, Otrago propose d’adopter un programme de réforme à moyen terme d’au moins 10 ans tout en reconsidérant les lois régissant la gestion des réserves des fonds de retraite de manière à augmenter le rendement de leurs investissements d’au moins 8 ou 9% par an et à améliorer leur contribution au financement de l’économie nationale.
Autre recommandation, la suppression de l’exception accordée à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale dans la gestion de ses fonds de réserve, afin qu’elle puisse augmenter ses rendements, résoudre le problème du déficit et accroître la durabilité de ses réserves.
Aussi, cette réforme des retraites doit être menée dans le cadre des orientations de réforme globales et appropriées pour chacun des systèmes de retraite, de la Caisse de compensation, de l’impôt sur le revenu et une amélioration du tarif national de référence, pour garantir que la réforme n’affecte pas le pouvoir d’achat des retraités.
Sans oublier d’exonérer les salariés et les salariés de plus de 55 ans de tout impact d’une réforme attendue et de mettre en place des dispositions fiscales solidaires précises pour le financement du chantier de la protection sociale particulièrement la généralisation de la retraite.
C’est dire que plusieurs difficultés s’érigent face à une réforme globale et durable de la retraite auxquelles le gouvernement devra trouver des solutions en urgence au risque de jouer indéfiniment les prolongations.