La stratégie énergétique du Maroc a certes commencé à donner ses fruits. En se fiant aux chiffres, les énergies renouvelables ont permis au pays de réduire sa dépendance énergétique nationale qui est passée de 98% en 2009 à 93,9% en 2017 non pas sans conséquence sur les importations et par conséquent sur la balance commerciale. Toutefois, pour élargir cet impact il est nécessaire d’accélérer la mise en place de la loi 13-09 notamment l’axe qui concerne l’ouverture du marché de la production et de la commercialisation de l’électricité à partir de sources renouvelables au secteur privé.
Il s’agit de donner la possibilité de vendre l’énergie excédentaire produite et l’annonce du principe d’ouverture du marché de l’électricité des sources renouvelables vers la basse tension.
Conscient des défis à relever dans ce domaine et de la nécessité d’accélérer le rythme du renforcement du cadre réglementaire, la tutelle travaille sur l’amélioration du cadre réglementaire et législatif régissant les ER. « Nous finalisons un projet, mené il y a quelques mois, pour améliorer le cadre législatif et réglementaire régissant les ER, afin de tenir compte de l’évolution du secteur à l’échelle nationale et internationale », avait récemment déclaré Mohamed Ghazali, Secrétaire général du ministère de l’Energie et des Mines.
L’objectif de cette réforme, comme expliqué par ce dernier, est d’améliorer encore la bancabilité des projets d’énergies renouvelables, de renforcer l’attrait du secteur, de simplifier et de dématérialiser les procédures d’autorisation et de garantir la stabilité et la viabilité des institutions opérant dans ce secteur.
C’est cette fiabilité de l’ONEE qui bloque l’ouverture du réseau à la basse tension aux particuliers depuis maintenant 3 ans soit depuis l’adoption de l’amendement de ladite loi. Rappelons que le Maroc est en retard notamment par rapport à d’autres pays à développement similaire dont certains ont atteint 40% d’autoproduction.
Il faudra toutefois attendre les conclusions de l’étude que l’ONEE doit réaliser comme demandé par Aziz Rebbah, ministre de tutelle, pour identifier les nouveaux services à développer pour compenser le financement de la basse tension avant d’espérer cette ouverture.
Aussi, le ministère a-t-il initié un autre projet en faveur des grands consommateurs d’énergie électrique en lançant une étude sur l’autoproduction. Il sera question d’examiner les textes réglementaires relatifs à l’autoproduction afin d’élaborer un texte d’application fixant les termes et conditions qui régissent les autorisations de production d’électricité, a précisé Mohamed Ghazali.
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10 Avril 2020 Autoproduction d’électricité renouvelable : pour qui est fait le texte du Projet de Loi en gestation ?
par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Il semble utile de faire un bref rappel de faits plus ou moins récents et utiles à la compréhension de la suite :
– En 2010, la Loi 13/2009 sur les Énergies Renouvelables est adoptée par le Parlement. Par une omission d’autorisation, elle interdit tacitement à 10 millions d’abonnés d’injecter de l’électricité, solaire fût-elle, dans le réseau électrique de basse tension (220V) des douze distributeurs d’électricité du pays.
– En 2015, l’amendement 58/2015 qui est adopté par le Parlement vient lever cette interdiction tacite par une légalisation explicite.
– Le 10 février 2020, le Département de l’Énergie envoie un courrier à différents « partenaires » pour les consulter sur le texte d’un Projet de Loi sur l’Autoproduction d’Électricité au Maroc :
o Les photocopies de fax de mauvaise qualité dudit texte qui ont été transmis auxdits « partenaires » sont d’une qualité inacceptable au 21e siècle (elle rend rébarbative la lecture et fastidieux tout travail d’amendement éventuel). Entretemps, l’auteur l’a numérisé et il est téléchargeable .
o Ledit texte comporte beaucoup de répétitions et de détails de gestion quotidienne (registres et autres) qui n’ont rien à faire dans un texte de Loi mais qui auraient parfaitement eu leur place dans un Décret d’Application et même parfois dans une simple Circulaire Ministérielle.
o Pour hautement technique qu’il soit, ledit texte laisse, ici et là, planer une confusion entre diverses notions parfois pas du tout courantes dans les bases de l’électricité.
– En mars 2020, en plein État d’Urgence Sanitaire, le Département de l’Énergie décide d’accélérer le processus de consultation par des conférences restreintes avec différents « partenaires » sur ledit Projet de Loi sur l’Autoproduction d’Électricité. Certes, la vie continue pendant le confinement mais quelle coïncidence !
La Rédaction du deuxième paragraphe du Préambule trahit tout de suite l’esprit du texte puisqu’il s’agit : « d’encadrer la production de l’énergie électrique à des fins d’autoconsommation, en permettant son développement » (l’encadrement d’abord, le développement n’étant que permis sans être recherché). En conséquence, le texte est rédigé comme s’il était le premier au monde, en faisant fi du propre Code Pénal marocain (voir plus bas) mais aussi de toutes les expériences étrangères qui ont commencé l’injection d’électricité renouvelable sur, justement, le réseau de basse tension parce qu’il s’avérait que c’était là qu’il y avait le moins de problèmes techniques. Les répétitions et les détails de gestion quotidienne qui figurent dans ce texte de projet de Loi sur l’Autoproduction d’Électricité ressemblent à autant de « poudre aux yeux » pour empêcher d’y voir l’essentiel ou du moins pour essayer de le diluer :
– Sur le plan technique : Alors que le réseau électrique est, normalement, déjà dimensionné pour transporter la puissance souscrite vers le consommateur, le texte du Projet de Loi décide que chacune des installations d’autoproduction d’électricité renouvelable soit individuellement limitée à la puissance souscrite par l’abonné. Or, dans tout quartier, l’électricité produite sera consommée localement car ses bâtiments n’injecteront jamais tous et à pleine puissance en même temps puisqu’ils en consommeront eux-mêmes une partie, c’est ce que les électriciens appellent le « foisonnement ». Considérant ce « foisonnement », pourquoi ne pas plafonner à 300% ou à 200% de la puissance souscrite ? – Les motivations sont simples, on veut limiter tant que possible les quantités d’électricité que les abonnés pourraient produire par eux-mêmes. Par ailleurs, dans son empressement à vouloir tout « encadrer », le texte ne s’attarde guère sur la qualité de l’électricité renouvelable que l’Autoproducteur pourrait injecter dans le réseau.
– Sur le plan financier : Le Projet de Loi n’est pas du tout orienté vers le comptage différentiel (« net-metering ») où l’abonné paye, à la fin du mois, la différence nette positive entre l’électricité qu’il a consommée et celle qu’il a produite (pas de rémunération d’excédents). Sommes-nous donc si riches pour préférer rémunérer les excédents d’énergie électrique que l’abonné aurait injectée dans le réseau ? – On devinera que ce n’est pas pour rémunérer plus cher l’électricité solaire injectée (comme cela s’est fait en Europe et ailleurs), mais, au contraire, pour que la production solaire de l’abonné soit payée moins cher que celle qu’il consomme. Ceci a une certaine légitimité étant donné que l’électricité solaire injectée dans le réseau est devenue moins chère que celle qui est payée par les abonnés et qu’il faut veiller à la santé financière de nos distributeurs d’électricité (là est le vrai problème que le texte ne cite pas). Plutôt que de déléguer plein pouvoirs à un Décret sur cette affaire, on aurait pu, par exemple, arrêter ce prix au tarif de vente de l’ONEE aux distributeurs aux heures pleines ou, à défaut, à un très gros pourcentage de celui-ci ou bien encore 0.20 Dh HT en-dessous de celui-ci. On a déjà vu, dans notre pays, le flop qui pouvait être fait lorsqu’on laissait le réglementaire fixer les prix de rachat d’excédents, notamment ceux de l’électricité éolienne que l’ONEE rachetait dans le cadre du projet « EnergiePro » bien moins cher que ses propre coûts d’électricité conventionnelle. Méthode curieuse d’encourager les énergies renouvelables ?
– Sur le plan de la gestion : Le texte du Projet de Loi annonce, plusieurs fois, que le distributeur concerné « réservera les capacités requises » sans annoncer comment il sera procédé à cette « réservation », ni même préalablement défini ce qui était entendu par ces « capacités requises ». Et pourtant, dans son Article 2, le texte du Projet de Loi n’est pas avare de définitions puisqu’il rappelle même les plus basiques (« basse », « moyenne » et « haute tension » ainsi que celle du « réseau électrique national ») en omettant celle de ces « capacités requises ». Ce qui est certain, c’est que les distributeurs y semblent consacrés juges et partie au point que l’Article 17 confère à leurs agents des pouvoirs assimilés à ceux de la Police Judiciaire. Ledit texte inclut aussi de nombreux détails de mise en œuvre qui auraient été en bien meilleure place dans un Décret d’Application ou même dans une simple Circulaire Ministérielle. Par exemple, le texte du Projet de Loi répète plusieurs fois que le déclarant d’une installation de production se voit attribuer un ordre de priorité déterminé par la date et l’heure enregistrée de réception de la demande de raccordement etc… Bref, avant même de commencer, on a déjà l’intention de légaliser la limitation des autorisations au point qu’il y aura une liste d’attente et, si on connaît son tour lorsqu’on est dans une salle d’attente, ici, le §3 de l’Article 3 stipule qu’il faudra en faire la demande. Ceci, sans compter moult détails qui, par leur présence, dénotent plus une volonté de ralentir par « encadrement » le processus que de « permettre » le développement de l’autoconsommation annoncé dans le Préambule. Avec autant de détails de mise en œuvre dans la Loi, on ne comprend pas qu’on ait délégué à la voie réglementaire la décision de fixer la puissance solaire maximale d’une installation à raccorder sur le réseau de basse tension.
– Rétroactivité : L’Article 27 introduit même une rétroactivité de la Loi aux installations antérieures (donc, réalisées entre 2015 et la mise en application de la Loi pour la basse tension).
– Sanctions : En régime de consommation, les abonnés à la moyenne tension dépassant la puissance souscrite sont soumis à de simples pénalités qui d’ailleurs font l’objet d’optimisation alors que tous les abonnés autoproducteurs dépassant la puissance souscrite deviennent des délinquants qui s’exposent à des amendes et des peines allant jusqu’à un an de prison. Enfin, faisant fi du Code Pénal, on a voulu que la dissimulation ou la falsification de documents liés à cette Loi fassent l’objet de peines spécifiques.
Le texte, dans son ensemble, laisse la porte grande ouverte à des blocages qui rendraient la Loi inapplicable. L’empressement à accélérer le dialogue avec les partenaires dans les circonstances particulières de ce mois de mars 2020 peut, à juste titre, paraître suspect. Alors pourquoi le fait-on ? Sans doute souhaite-t-on présenter ce Projet de Loi sur l’Autoproduction à un Parlement quia beaucoup plus urgent à traiter et l’adoptera sans doute avec peu de débats. L’ONEE, cette fois en tant que représentant des distributeurs d’électricité a déjà assuré la place de Directeur de l’Électricité au Ministère de l’Énergie et la place du Directeur de l’Autorité Nationale de Régulation de l’Électricité à des « anciens de la maison », qu’ils réintégreront sans doute à la fin de leur fonction… Imaginons un instant que l’ANRT ait été lancée par un ancien de l’ONPT (IAM) avec un Directeur des Télécoms à l’ex-MPTT lui aussi ancien de l’ONPT (IAM) ! Le Lobby des distributeurs d’électricité du Maroc (publics, communaux et privés) aura ainsi fait ce qu’il fallait pour verrouiller le système de conception et de débat du Projet de Loi sur l’Autoproduction d’électricité ainsi que la possibilité de blocage réglementaire ultérieure (via le même tandem des Directions de l’ANRE de l’Electricité du MEMEE et). Hélas, non ! Si ce projet de Loi est adopté, le Maroc ne sera pas applaudi pour la régulation de son secteur de l’électricité comme il l’a été pour celle de son secteur des télécommunications.
Maintenant, pourquoi ce Lobby a-t-il préféré une Loi à une procédure Réglementaire par Décret ? – Si les conditions sont réunies pour faire adopter un tel texte, une Loi adoptée compliquera le moyen d’en sortir et constitue donc la meilleure façon, pour les distributeurs d’électricité, de se prémunir contre la dissémination de solaire photovoltaïque sur le toit des constructions du Maroc et la crainte d’un manque à gagner, qui constitue le mobile de tout ceci.
Il ne faut pas se leurrer, le retard à légiférer sentait le roussi depuis longtemps et c’est bien la guerre sous-marine menée par les distributeurs d’électricité (publics, communaux et privés) contre les intérêts de leurs propres abonnés qui a nécessité tout le temps qui s’est écoulé depuis la Loi 13/09. Goliath contre David, le combat semble perdu d’avance mais le Ministre, le Secrétariat Général du Gouvernement et la Primature laisseront-ils le Lobby des distributeurs d’électricité du Maroc imposer ses intérêts contre ceux des citoyens et contre la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Avec 61% d’électricité au charbon, le kWh produit au Maroc reste encore très polluant malgré tous les efforts consentis (759 gCO2/kWh en 2019).
Je suis prêt à tout débat public face à tout concepteur de ce projet de Loi sur l’Autoproduction d’électricité.
On pourra malgré tout avoir bonne conscience et, surtout, se préparer à un dialogue en 2030 :
– En 2020, nous avons fait le nécessaire : le Maroc a SA Loi sur l’Autoproduction d’électricité, fût-elle solaire pour les abonnés au réseau électrique de basse tension, c’est-à-dire pour pratiquement tous les citoyens.
– Ah bon ? Et pourquoi, 10 ans après, ce n’est toujours pas très répandu au Maroc, bien que les coûts de production d’électricité solaire y soient compétitifs et que les grands projets solaires eux s’y développent bien ?
– Les marocains ne se sentent pas concernés par l’environnement et n’ont pas assez d’argent pour investir.
– Ah bon ? Et pourtant 60% des marocains sont propriétaires de leur logement en majorité individuels ?
– Vous êtes mal informé, c’est seulement 58%. Ce sujet est épuisé. Y-a-il une question sur un autre sujet ?