Interviewé par Imane Bouhrara I
Dans le cadre de la préparation du PLF 2026, l’Alliance des Économistes de l’Istiqlal (AEI) a émis une série de recommandations allant du soutien au pouvoir d’achat au développement équitable du rural en passant par la fiscalité ou le développement de l’investissement. Zakaria Garti, membre de l’AEI, décrypte certaines de ces mesures mais aussi les défis qui peuvent se poser pour un PLF 2026 qui affiche de grandes ambitions.
EcoActu.ma : La lettre de cadrage du PLF 2026 affiche des ambitions inédites. Sont-elles réalistes pour autant au vu du contexte actuel aussi bien marocain que mondial ?
Zakaria Garti : En effet, la lettre de cadrage du PLF 2026 témoigne d’une ambition affirmée : concilier justice sociale, développement territorial harmonieux, investissements massifs et gestion rigoureuse des finances publiques. Elle prévoit la mobilisation de plus de 350 Mds de DH, avec des projets structurants comme la ligne à grande vitesse, la modernisation des aéroports, et le développement des filières d’énergies vertes.
Cette dynamique traduit une volonté de soutenir la croissance et de réduire les disparités territoriales, notamment en allouant 60 % des investissements publics aux zones rurales. Les grands agrégats macro-économiques semblent d’améliorer avec une croissance qui devrait s’établir aux alentours de 4.5% et un déficit budgétaire acceptable en dessous de 3.5%. Et il ne faut pas déroger pas à la sacro-sainte règle des équilibres budgétaires !
Toutefois, cette ambition est confrontée à la capacité du pays à mobiliser les fonds nécessaires dans un contexte international complexe. Ce contexte est marqué par des tensions géopolitiques accrues, des déséquilibres budgétaires, l’endettement des grandes puissances, des incertitudes économiques et commerciales, la montée du protectionnisme, les perturbations climatiques et la multiplication des catastrophes naturelles.
Ces facteurs pourraient entraîner un ralentissement de la croissance mondiale, affectant potentiellement la demande extérieure et les investissements dirigés vers le Maroc.
À titre d’exemple, l’accord récent entre les États-Unis et l’Europe, couplé aux discussions sur un éventuel accord de libre-échange (FTA), risque de rediriger les flux d’investissements vers les USA, au détriment de pays comme le Maroc.
Il est donc crucial d’en anticiper les conséquences sur notre compétitivité et l’attractivité de notre économie et c’est pour cela que l’Alliance des Economistes de l’Istiqlal (AEI) propose plusieurs mesures pour afin de stimuler le dynamisme de l’initiative privée.
On note que l’Etat va investir davantage massivement. La puissance d’investissement de l’État suffit-elle à enclencher la dynamique que l’on espère pour intégrer le cercle des pays émergents ? Autrement, quels sont les mesures parallèles à mener pour atteindre un tel objectif, notamment en impliquant le privé ?
Ce n’est un secret pour personne, mais l’État a toujours été (heureusement et malheureusement) la locomotive en matière d’investissement. L’investissement massif de l’État au Maroc est un levier important pour son émergence économique, mais ne suffit pas à lui seul.
Pour intégrer durablement le cercle des pays émergents, des mesures complémentaires sont indispensables afin que cet effort d’investissement « ruisselle » vers le secteur privé.
Ainsi, l’AEI propose une série de mesures transverses pour impliquer le secteur privé : libérer les énergies productives en levant les obstacles réglementaires et en accélérant la mise en œuvre de leviers clés, comme la charte de l’investissement, notamment pour les PME. Il est également crucial de reconsidérer le dispositif de l’auto-entrepreneur en élargissant les seuils de chiffre d’affaires annuels et en simplifiant les démarches de passage vers des formes d’entreprises plus adaptées.
De plus, l’AEI recommande de labelliser et d’accompagner les entreprises innovantes en collaboration avec des instituts de recherche. Le développement du capital humain est également primordial, via des investissements massifs dans l’éducation, la formation professionnelle et l’adéquation formation-emploi.
L’AEI propose d’augmenter la contribution maximale de l’ANAPEC aux formations dans le cadre du programme Taehil, d’élargir l’éligibilité aux candidats non diplômés, d’augmenter le plafond d’éligibilité au programme Tahfiz, et d’encourager l’emploi formel en appliquant un taux réduit de cotisations à la CNSS. Nous suggérons également de créer une Bourse d’emploi auprès de l’ANAPEC pour faire face à la pénurie de compétences dans certains secteurs, de mener une campagne d’inscription en ligne des chômeurs auprès de l’ANAPEC.
Enfin, l’AEI propose d’associer de façon supplémentaire le secteur prive aux investissements massifs dans les infrastructures et ce en encourageant un recours plus large aux Partenariats Public- Privé (PPP) dans un cadre transparent et régulé, ainsi que la poursuite de l’encouragement de la préférence nationale.
Venons-en au pouvoir d’achat, l’AEI a proposé une série de mesures dans ce sens. Mais la question qui demeure est de savoir les chances de les voir aboutir surtout que l’Istiqlal fait partie de la majorité ?
L’AEI s’adresse non seulement au gouvernement, mais également au parti de l’Istiqlal et à ses députés, qui seront appelés à débattre du PLF 2026 au sein du parlement une fois celui-ci déposé. Il n’existe aucune contradiction entre faire partie d’une majorité gouvernementale et interpeller les décideurs, y compris ceux du Parti, concernant le PLF ou toute autre loi. Ceci est l’essence même du fonctionnement sain d’une démocratie. Le travail de l’AEI en la matière continuera après le dépôt du PLF au parlement.
Revenons au pouvoir d’achat. L’AEI met en avant la nécessité de soutenir le pouvoir d’achat des ménages, considérant qu’en 2025, malgré une stabilité relative des prix après plusieurs années d’inflation, le niveau général reste supérieur à la période pré-COVID.
Pour ce faire, l’AEI recommande de poursuivre la réforme de l’impôt sur le revenu (IR) en ciblant les revenus modestes, de soutenir les parents dans la scolarisation en concrétisant les déductions fiscales pour les frais de scolarité, de combattre la spéculation pour réduire les prix des produits de première nécessité, et d’encourager des mécanismes d’épargne favorables à la classe moyenne (PEE, PEL).
L’objectif est de renforcer le pouvoir d’achat des ménages, de favoriser l’équité fiscale, et de stimuler l’épargne et l’investissement.
La fragilité fiscale rend plus urgente encore la réflexion sur la qualité et le ciblage des dépenses. Comment le PLF 2026 peut-il à votre avis répondre à cette équation complexe ?
Si par fragilité vous entendez la pression fiscale « inégale » en défaveur de la classe moyenne, l’efficacité limitée des dépenses fiscales, ainsi que la nécessité de rationaliser et maîtriser les dépenses d’investissement, alors je suis d’accord avec vous.
C’est pourquoi l’Alliance recommande de poursuivre la réforme de l’impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les tranches intermédiaires qui n’ont pas encore bénéficié pleinement de ces ajustements (par exemple : un gain de 4 % pour un salaire net de 8 500 dirhams par mois).
Nous proposons d’élargir la tranche de revenu soumise au taux plafond de 34 %, de 180 000 à 240 000 DH, et d’introduire des clauses contractuelles ou conventionnelles permettant une revalorisation automatique des salaires en fonction de l’évolution de l’indice officiel du coût de la vie (ICV). Concernant les dépenses fiscales, nous suggérons de procéder à une révision périodique du système et d’ajuster les modalités d’octroi de certaines subventions, en privilégiant les PME dans tous les secteurs.
Enfin, la rationalisation et la maîtrise des dépenses liées aux projets d’infrastructure, ainsi que le renforcement de la discipline budgétaire, sont essentiels dans la réflexion de l’AEI. Pour cela, il est nécessaire de définir des critères de priorisation des investissements, fondés sur une évaluation préalable des résultats socio-économiques attendus. La création d’un comité indépendant chargé du suivi et de l’évaluation de la soutenabilité des finances publiques, de la conformité aux règles, ainsi que de l’efficacité des politiques publiques, serait également souhaitable.
Pour finir, le rural. Ne pensez-vous pas que les propositions que l’AEI sont dans ce sens limitées au vu de la disparité qui existe entre le rural et l’urbain au Maroc ?
Je vous l’accorde. Les mesures que nous proposons pour le monde rural, aussi détaillées soient-elles, ne sont pas suffisantes face à la disparité qui existe entre le rural et l’urbain au Maroc.
C’est pourquoi notre analyse et nos suggestions s’inscrivent dans une approche holistique, intégrant des propositions concrètes pour la mise en œuvre d’une nouvelle génération de programmes territoriaux (conformément aux Hautes orientations royales), qui dépassent la logique de rattrapage infrastructurel et adoptent des approches innovantes, centrées sur le capital humain, l’équité sociale et la valorisation des atouts régionaux. Par ailleurs, réduire les disparités régionales passe aussi par l’augmentation et la diversification des ressources et recettes territoriales.
C’est pourquoi l’AEI propose que, dans le cadre de la régionalisation avancée, il soit essentiel de permettre aux régions de générer des ressources propres pour financer des projets structurants, en complément de l’État.
Cela inclut : obtenir un retour sur investissement via la contribution à des projets communaux et publics, créer des sociétés foncières pour favoriser l’emploi avec un coût foncier réduit, encourager l’investissement local par la participation à des projets de capital-investissement, et établir une redevance minière, accompagnée d’un plan cadastral minier et de provisions pour la reconstitution des gisements.
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