A la veille des prochaines Assises de la Fiscalité qui se tiendront le 3 et 4 mai prochains, il y a un thème qui refait surface à l’occasion de chaque débat. Il s’agit de la « gouvernance fiscale » qui peut constituer l’une des portes d’entrée des réformes structurelles visant la mise en place d’un « modèle de développement » fondé sur l’équité et la justice fiscale.
Dans ce sillage, Transparency Maroc (TM) avec l’appui de Oxfam a mené une étude, qu’elle a rendu publique il y a quelques mois, sur les risques de corruption dans la gestion de l’impôt. Après avoir donné priorité pendant plusieurs années à la lutte contre la corruption dans le domaine des marchés publics, TM s’est penchée également sur le volet relatif aux « recettes publiques », plus particulièrement les « recettes fiscales » du budget général de l’Etat qui représentent presque 65% des dépenses publiques de l’Etat, avec une moyenne annuelle de 22% du PIB. Ce qui laisse prédire que la fraude en matière de recettes fiscales est une menace transversale pouvant porter atteinte aussi bien à l’équilibre budgétaire qu’aux principes fondamentaux que sont l’équité et la solidarité sociale.
Dans une première phase, l’étude a été volontairement limitée à un segment constitué par des « zones de risques » considérées comme les plus importantes de par les enjeux et de par le déficit de transparence dans l’ensemble du processus depuis la naissance de la norme fiscale à son application matérielle effective. Le premier travail réalisé a permis à travers une cartographie des risques, de repérer les principaux risques en examinant les processus de gestion du contrôle fiscal dans sa globalité, depuis la phase de la programmation au contrôle sur place jusqu’au recours devant les commissions fiscales, en passant par celle des accords.
Aujourd’hui, la délivrance des attestations faisant l’objet d’une dématérialisation peut contribuer positivement à la traçabilité et à plus de transparence.
Aussi, le remboursement de la TVA a-t-il récemment fait l’objet d’une externalisation au profit des banques. Il s’agit d’un pas en avant vers plus de transparence. Mais le recouvrement forcé, niche importante de corruption et zone à haut risque demeure le « parent pauvre » dans la gestion fiscale. L’amnistie prévue par la loi de finances de l’année 2018, en matière de recouvrement, n’a malheureusement pas été intelligemment accompagnée d’une refonte du dispositif juridique en vigueur. « Le Code de recouvrement des créances publiques (CRCP) est la source principale des faiblesses constatées car contenant de nombreuses dispositions devenues « obsolescentes » et favorisant les mauvaises pratiques ou pratiques douteuses, sans oublier la faible traçabilité du processus de gestion administrative du recouvrement forcé, faiblesse inhérente aux nombreuses insuffisances et défaillances existant en matière de contrôle interne », explique-t-on dans l’étude de TM.
Il ressort par ailleurs que les faiblesses constatées dans l’ensemble des processus examinés peuvent trouver leur origine dans la norme fiscale ou au niveau organisationnel, à travers l’application effective et matérielle des règles fiscales.
Ce déphasage entre la norme et la réalité est fréquent et concerne souvent l’ensemble des impôts. Depuis plus d’une année, l’intention de procéder à une « relecture » du Code Général des Impôts, mis en place depuis 2008, a été exprimée officiellement. Néanmoins cette opération semble rencontrer des obstacles inhérents notamment à la difficulté de distinguer les modifications ayant exclusivement un objectif de simplification et d’harmonisation et celles pouvant impacter l’assiette et le calcul de l’impôt, dimension politique relevant du pouvoir législatif, et donc devant être soumise à une procédure différente.
Aussi, il a été annoncé que depuis les années 80, les réformes fiscales ont été perçues comme étant des opérations purement techniques nécessitant un savoir et une expertise. D’où la faible voire l’absence d’implication d’autres acteurs, notamment les ONG représentant les consommateurs. « L’inexistence d’un conseil consultatif des impôts » et d’associations regroupant les diverses catégories de contribuables, contribuent à la faible adhésion de l’impôt ».
La réalisation de ce projet par TM, avec l’appui d’Oxfam, a débuté en 2015. Certaines observations et recommandations ont été prises en compte au cours des trois années 2016 à 2018.
En se référant à la Loi de Finances 2018, nous énumérons :
- Dématérialisation de la formalité de l’enregistrement accomplie par les adouls, experts comptables et comptables agréés ;
- Droit de timbre : restriction du champ d’application et dématérialisation du mode de recouvrement. Le droit de timbre est susceptible d’être objet de falsification surtout avec les nouvelles technologies de l’information et de communication ;
- Institution de l’obligation de joindre à la déclaration du résultat fiscal un état des ventes par clients professionnels. L’application de cette mesure devra contribuer à une avancée qualitative du système d’information de l’administration fiscale en la dotant d’un outil performant de contrôle ;
- Refonte du régime fiscal applicable aux coopératives et aux associations d’habitation. Niche de fraude importante permettant de détourner l’impôt. C’est aussi une « zone grise » où l’abus de droit est flagrant. Cette nouvelle mesure est favorable au développement de la concurrence loyale dans le secteur de l’immobilier et doit contribuer au développement d’un environnement économique plus transparent ;
- Institution d’un régime/cadre fiscal régissant la cessation temporaire d’activité des entreprises…
Et la liste est loin d’être terminée. A ce titre, en se basant sur les avancées constatées au cours des dernières années à travers de nouvelles dispositions, TM a élaboré une matrice des risques tout en faisant des recommandations.
La matrice suivante présente les principaux risques relevés par l’équipe-projet et les recommandations susceptibles d’éclairer les acteurs officiels, en particulier les parlementaires, et d’alimenter les prochaines réformes à envisager. En effet, de par les dispositions de l’article 39 et 71 de la Constitution, c’est, en principe, le pouvoir législatif qui a le dernier mot dans le domaine fiscal. Cette matrice a pour objectif aussi de servir de base de plaidoyer pour les associations partageant les mêmes objectifs que Transparency Maroc, en matière de développement de la transparence et de renforcement de l’intégrité des divers intervenants dans la gestion de l’impôt.
Entre autres recommandations, nous pouvons citer :
- Paiement en espèces : Ce mode de paiement est un facteur favorable important dans la fraude fiscale et la corruption. Il doit être limité au maximum dans toutes les transactions et encadré juridiquement, avec la mise en place de mécanismes d’alerte et de « taxes fiscales décourageantes ». Toute transaction doit être appuyée par des pièces justificatives traçables (comportant des identifiants obligatoires et les informations clés de l’opération). La généralisation du système de facturation doit être un objectif stratégique partagé communément par tous les départements et acteurs publics et privés concernés.
- TVA non apparente : Il s’agit là plus d’une « subvention déguisée » que d’un remboursement. Le mode actuel de remboursement de la TVA dite non apparente, comporte un risque élevé de fraude fiscale (la traçabilité du paiement des achats des produits agricoles n’est pas exigée) et de corruption. Ce système peut être supprimé et remplacé par des aides publiques directes et ciblées sur la base de contrats programmes. Cette option est conforme à la lettre et l’esprit aussi bien de la loi organique des finances qui prône la transparence budgétaire que du dispositif régissant le partenariat public privé.
- TVA sur les exportations : Généralisation de l’externalisation de l’opération de remboursement de la TVA, pas seulement dans la phase finale de paiement, sur la base d’un cahier de charges, avec un système de contrôle a posteriori. De cette manière, l’administration fiscale sera appelée à se concentrer quasi exclusivement sur son métier central qui est le contrôle au sens le plus large, ce qui n’est qu’une réponse adéquate à la nature déclarative du système fiscal…