Avant tout, le genre de travail présenté ici ne devrait pas être fait par un Professeur de Province à la retraite mais, dans un pays qui se respecterait, devrait être assumé par une institution étatique respectable et fiable qui obtiendrait directement les données énergétiques du Maroc de leurs sources primaires et publierait leur détail en temps réel avec les nécessaires prospectives de court, moyen et long terme.
Pour rappel, le Maroc est interconnecté à ses voisins du Nord et de l’Est avec qui il échange de l’électricité :
- avec l’Algérie de 1988 au 01/11/2021 avant sa fermeture unilatérale par le voisin de l’Est (47 km entre Oujda et Ghazaouet sous 225 kV en fait achevée en 1975, puis 65 km entre Oujda et Tlemcen sous 225 kV en 1992 et enfin 232 km entre Bourdim et Hassi Ameur sous 400 kV achevée 2009),
- avec l’Espagne sans discontinuité depuis 1997 (d’une vingtaine de km sous 400 kV dont la plus grande partie sous le Détroit de Gibraltar entre Ferdioua, près de Ksar Sghir, et Tarifa en Espagne).
Contrairement à l’interconnexion avec l’Algérie qui a toujours servi de secours, celle avec l’Espagne est commerciale et, historiquement, a autant servi à combler les déficits de production du Maroc qu’à être exploitée comme une opportunité commerciale aux heures où les prix de l’électricité de marché européen sont au plus bas.
QUE DIT L’ESPAGNE ?
La Figure 1 montre, une vue d’Espagne de l’évolution mensuelle des imports (en bleu foncé) et des exports (en bleu clair) d’électricité du et vers le Maroc[1] durant les 23 derniers mois en plus des programmations pour février 2024 par Red Eléctrica de España. Question d’habitude, les marocains sont habitués à aller chercher les informations d’échanges d’électricité en Espagne et les températures journalières historiques auprès de la NOAA américaine et combien d’autres choses… Heureusement que le ridicule ne tue pas !
Figure 1 Vus de l’Espagne, les exports (en bleu clair) et les imports (en bleu foncé) d’électricité du Maroc
Mais revenons à notre Figure 1. La courbe en trait continu qui y est représentée indique bien que Red Eléctrica de Españaenvisage que le solde des échanges se rapproche progressivement du zéro après la pointe du mois d’Août 2023 et que le mois de février verra encore une baisse sensible de l’ensemble des échanges (somme absolue des imports et exports). Qu’il me soit permis de rappeler que 2022 a été une année exceptionnelle[2], [3] à cause de la décision unilatérale algérienne de cesser la livraison de gaz naturel et du temps se poursuivra au-delà qu’il a fallu pour y pallier. La question qui reste posée : cette amélioration de la balance en faveur du Maroc ira-t-elle au-delà de février ? – Nous allons voir plus bas que nous partageons tout à fait cette amélioration de la balance en faveur du Maroc, mais pour l’ensemble de l’année 2024.
Il va de soi que les exports de l’Espagne de la Figure 1, de signes négatifs, coïncident avec les imports du Maroc qui, en tant qu’apport d’électricité au bilan national seront traités avec un signe positif par la suite.
QUE DIT LE MAROC ?
La Figure 2 l’évolution mensuelle du mode de satisfaction de l’électricité nette appelée. Les données de l’intervalle {4èmetrimestre 2023, 2024} sont nos propres estimations calculées par estimation des valeurs corrigées de leur variation saisonnière et annuelle. Ceci est fait pour chaque famille des centrales participant à la production électrique. L’électricité nette appelée de 2024 est, elle aussi, calculée par estimation des valeurs corrigées de leur variation saisonnière et annuelle.
De la différence entre :
- la demande à l’entrée du réseau électrique en électricité nette appelée (trait noir) d’une part,
- et la production par les différents modes représentés (différentes couleurs) d’autre part,
il ressort le besoin en solde positif des échanges d’électricité représenté en hachures rouges verticales.
Figure 2 Evolution mensuelle du mode de satisfaction des besoins en électricité nette appelée
La Figure 3 montre l’évolution mensuelle du solde global des échanges d’électricité avec les voisins. Cette Figure 3illustre d’autant mieux les soldes des échanges qu’on y voit même les soldes négatifs (exportés) qui n’apparaissent aucunement en Figure 2.
Figure 3 Evolution mensuelle du solde des échanges d’électricité avec les voisins
La Figure 3 permet de voir comment la mise en service à Safi des deux turbines à vapeur au charbon à chaudière ultra supercritique qui a permis au Maroc de sortir de la phase importatrice avant fin 2018 pour y retourner au début de 2022 à cause des raisons précitées. L’année 2024 verra sans doute le retour des quelques mois avec un solde exportateur, même s’il est probable qu’il y ait encore un été avec des soldes importateurs, pour des raisons que nous avons déjà exposées[4]. Malgré la baisse catastrophique de la production hydroélectrique, cette amélioration sera obtenue grâce au retour à un rythme de production normal des centrales à cycle combiné au gaz naturel de Tahaddart et Aïn Beni Mathar mais aussi aux récentes mises en service graduelles dans l’éolien[5].
COMMENT FINRAIT L’ANNEE 2024 ?
La Figure 4 montre l’évolution annuelle des flux d’import et d’export d’électricité avec les voisins. On y perd certes le niveau de résolution mensuel mais on voit ici tous les quantitatifs échangés et non les soldes.
Figure 4 Evolution annuelle des flux d’import et d’export d’électricité avec les voisins
Les valeurs indiquées pour l’année 2024 indiquent que le solde devrait être pratiquement nul, soit une prévisions de +66 GWh importés face aux +1850 GWh auxquels auraient sans doute fini le solde des échanges de 2023… avec les bénéfices qu’en tirera le pays en 2024 en termes du coût moyen de l’électricité nette appelée, de l’amélioration de la valeur ajoutée du secteur de l’électricité et de besoins en devises (entre 0.5 et 4 milliards de Dh selon les heures auxquelles les prélèvements importés seront faits).
Par Amin BENNOUNA, sindibad@uca.ac.ma
[1] Site web de Red Eléctrica de España, tel que consulté le 07 Février 2024, https://www.ree.es/es/datos/intercambios
[2] Amin Bennouna, « Quelques news 2022 sur le solaire marocain et une mise au point sur… le nucléaire« , EcoActu, 27 Avril 2022, https://www.ecoactu.ma/news-2022-solaire-marocain-nucleaire/
[3] Amin Bennouna, « Comment l’ONEE a-t-elle surmonté les obstacles à la satisfaction de la demande en électricité en 2022 ?« , EcoActu, 19 Avril 2023, https://ecoactu.ma/onee-surmonte-obstacles-satisfaction-electricite/
[4] Amin Bennouna, « Au 3ème trimestre 2023, la hausse de la demande électrique a été satisfaite par la hausse des renouvelables« , EcoActu, 07 Novembre 2023, https://ecoactu.ma/t3-hausse-demande-electrique/
[5] Amin Bennouna, « Les faits marquants de l’éolien 2023 ne suscitent pas la liesse auprès de la presse !« , EcoActu, 02 Février 2024, https://ecoactu.ma/aits-marquants-eolien-2023/